À la suite des attaques meurtrières de janvier dernier, le 9 décembre est appelé à devenir la Journée de la laïcité et à être célébrée comme telle dans les établissements scolaires. Le choix de la date correspond à la promulgation de la loi de séparation des Églises et de l’Étatpar le président de la République en 1905. Il n’entre pas dans notre propos de discuter de la pertinence de la relation avec la laïcité d’un massacre perpétré dans les locaux d’un journal et d’un attentat visant un supermarché spécialisé dans la vente de produits cacher. Suivant l’ambition portée par la science du droit, il s’agit d’approcher la réalité de principes énoncés par la loi de 1905, qui n’est ni toute la laïcité, ni que la laïcité.
Didier Blanc, Université de la Réunion
La loi de 1905 n’est pas toute la laïcité : égalité et neutralité
L’analyse de la loi de 1905 est souvent obscurcie sous l’effet des passions. Leur expression a hissé ses travaux préparatoires au rang des grandes heures parlementaires de la Troisième République. Les débats sont précédés de réflexions conduites par une commission parlementaire constituée en 1903. Des divisions se forment en son sein, non sur la nature des rapports entre l’État et les cultes – le principe de séparation est acquis à l’automne 1904 – mais sur la forme de cette séparation. Un esprit de compromis se dessinant entre parlementaires libéraux et anticléricaux, le projet présenté par Aristide Briand est finalement approuvé par la Chambre des députés le 3 juillet 1905 par 341 voix contre 233 et au Sénat le 6 décembre suivant par 181 voix contre 102. La durée d’élaboration de la loi illustre l’âpreté des débats tandis que le niveau élevé de l’opposition parlementaire témoigne de la persistance des différends et de la pleine mesure des enjeux.
Ils se concentrent dans l’article 2 de la loi : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Cette disposition célèbre et célébrée tient lieu d’affirmation de la laïcité. Pourtant le terme est absent de la loi et ne parcourt qu’épisodiquement les débats. En réalité, deux principes exprimés négativement sont posés. Le premier est celui de la non-reconnaissance officielle des cultes, le second celui de leur non-subventionnement. Ici se forge non seulement la neutralité de l’État à l’égard des cultes, constitutive juridiquement de la laïcité, mais leur égalité aux yeux de l’État. Aucun ne fait l’objet d’un traitement particulier contrairement au Concordat. De sorte que la loi de 1905 réalise un double mouvement aboutissant à un chacun chez soi. Les Églises sortent de l’État, le culte perd sa qualité de service public, l’État sort des Églises, elles retrouvent une liberté touchant à leur organisation et fonctionnement. Pourtant cette séparation n’a rien d’absolu, certaines dépenses continuent de relever des budgets publics comme celles « relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics » (lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons) et « les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant » sont laissés gratuitement à la disposition des associations cultuelles.
Loin de fixer le moment fondateur d’une laïcité à la française, la loi vient clore un mouvement engagé un quart de siècle auparavant et marqué par la transformation de la France, « fille aînée de l’Église », en société sécularisée. Aux yeux des partisans de la laïcité compte, plus que la séparation des Églises et de l’État, celle de l’Église et de l’école publique, celle-ci préparant à partir de 1879 celle-là : l’école laïque comme ciment de l’État laïque. De plus et sans exhaustivité une série de textes, œuvre législative d’une République de républicains, poursuit l’objectif d’une sécularisation comme la loi du 12 juillet 1880 supprimant l’obligation de chômer le dimanche et les jours de fêtes religieuses, celle du 27 juillet 1884 autorisant le divorce ou encore celle du 7 juillet 1904 excluant les congrégations religieuses de l’enseignement. D’autres textes, dépourvus de portée juridique, comme la fameuse lettre de Jules Ferry aux instituteurs de 1883 éclairent l’esprit du temps. Sans dénier à la loi un effet sur les comportements sociaux, la séparation entre les Églises et l’État s’accorde à la pensée dominante du temps, elle n’est pas imposée par le haut.
L’impression contraire prend sa source d’une part dans la mise en œuvre agitée et tragique de la loi et d’autre part dans le refus du Vatican jusqu’en 1924 d’appliquer la loi. Elle n’est pourtant pas selon l’heureuse formule de Briand « braquée sur l’Église comme un revolver » ; la loi de 1905 n’a pas pour seul matériau la laïcité.
La loi de 1905 n’est pas que la laïcité : liberté
On l’oublie souvent, mais la loi de séparation s’ouvre sur l’affirmation d’un principe inhérent aux droits de l’Homme : la liberté de conscience. Déjà exprimée en 1789 et pour l’essentiel reconnue tout au long du XIXe siècle, la liberté de conscience englobe la liberté religieuse, qui pour ne pas être formelle implique la liberté de pratiquer sa foi. Aussi la loi de 1905 se distingue-t-elle par le libre exercice des cultes que l’État s’engage à garantir et dont il sanctionne pénalement les violations. En conséquence, la neutralité issue de son article 2 cède devant la liberté des cultes : l’indifférence de l’État à leur égard n’est pas leur ignorance. La liberté des cultes est distincte de la laïcité, les deux notions sont étrangères l’une de l’autre.
Ni toute la laïcité, ni que la laïcité, la loi de 1905 n’est pas plus qu’une loi, seulement une loi. Grande cependant par les principes qu’elle renferme : la liberté de conscience et sa déclinaison en libertés religieuses et d’exercice des cultes ; la non-reconnaissance officielle des cultes prolongée par leur non-financement.
Il revient à la Constitution du 27 octobre 1946 fondant la Quatrième république d’inscrire la laïcité parmi les normes suprêmes de notre système juridique. Il est toutefois plus aisé de commémorer une grande loi de la République, au risque d’une « totemisation » abusive, qu’une Constitution sur les décombres desquelles est née notre Cinquième République. De même, est moins risquée la mobilisation autour d’une France laïque que le rappel d’autres de ses caractères aux allures de promesses : la République est aussi « démocratique et sociale ».
Didier Blanc, Professeur des Universités, Université de la Réunion
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.