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4 milliards d’euros : le vrai prix de l’Euro 2016

7 mars 2016  Par Paul Terra


À maintenant moins de 100 jours de l’Euro de football que la France organise, le pari économique semble perdu d’avance. La compétition doit booster l’économie nationale de 1,2 milliard d’euros. Mais pour devenir pays hôte de cette manifestation, la France a dépensé 4 milliards d’euros pour ses stades. Une somme délirante en grande partie due au recours à des partenariats public-privé.

 

Mercredi 2 mars, la France du football s’est réunie pour lancer le grand compte à rebours de l’Euro 2016. À J-100 de cet événement qui devrait attirer 2,5 millions de spectateurs, le président du comité d’organisation, Jacques Lambert, qui avait occupé les mêmes fonctions pour la Coupe du Monde de 1998, a vanté les mérites d’une compétition de football qui va permettre à la France de booster aussi son économie. S’appuyant sur un rapport du Centre de droit et d’économie du sport de l’université de Limoges, il avance une manne de 1,2 milliard d’euros et 26 000 emplois créés sur un an. Les recettes sont principalement générées par la vente de billets, les nuitées d’hôtels et les fan-zones (bar à ciel ouvert pour les supporters).

Avant de se voir attribuer l’organisation de la compétition, l’ancien président de la FFF (Fédération française de football) se montrait bien plus optimiste : Jean-Pierre Escalettes avançait une somme de 2 milliards d’euros. La France ne fera donc pas mieux que l’Euro 2012, qui avait rapporté 1,2 milliard d’euros à la Pologne et à l’Ukraine, pays organisateurs. Mais, pour arriver à créer ce milliard d’euros, la France a dû en dépenser bien plus. À 100 jours du coup d’envoi de l’Euro 2016, économiquement, le match est déjà perdu.

L’Euro, un prétexte pour les stades

Dans son étude d’impact, le CDES comptabilise à 1,7 milliard d’euros les investissements dans les stades qui accueilleront les matchs de football. Après avoir épluché les contrats et délibérations des 10 villes sites de l’Euro 2016, Le Lanceur arrive à un tout autre montant : 4 milliards d’euros. La France avait candidaté à l’accueil de cette compétition pour renouveler un parc d’enceintes sportives vétustes et loin des standards internationaux.

L’Allianz Riviera, à Nice © Valery Hache / AFP

L’Allianz Riviera, à Nice © Valery Hache / AFP

Pour faire mousser le dossier de candidature française, la France a donc lancé un vaste programme de rénovation de ses stades (à Marseille, Lens, Paris, Toulouse et Saint-Étienne) ou de construction (Lille, Nice, Lyon et Bordeaux). Dans toutes ces villes, l’Euro 2016 a eu un effet d’accélérateur sur ces projets. Deux stades seulement (Lyon et Lille) avaient été amorcés avant que la France ne candidate à l’organisation de l’Euro 2016. Dans la foulée, Philippe Seguin, le défunt président de la Cour des comptes, avait rendu un rapport prônant la construction de nouvelles enceintes. En eux-mêmes, ces équipements liftés ou flambant neufs ont coûté 1,7 milliard d’euros. Auxquels il faut ajouter les créations de lignes de transport en commun pour les villes qui ont bâti de nouveaux stades : près de 300 millions d’euros injectés à Lyon autour d’un projet privé (l’OL a financé la construction de son enceinte), 170 millions à Lille, 65 millions à Nice et 90 à Bordeaux.

Marseille, un contrat à un milliard

Mais ce sont surtout les quatre enceintes construites ou rénovées sous le régime du partenariat public-privé (PPP), aussi appelé contrat de partenariat, qui font exploser la facture de l’Euro 2016. À Marseille, pour réaliser les 268 millions d’euros de travaux de rénovation du stade Vélodrome, la municipalité s’est engagée dans un PPP d’un montant que la chambre régionale des comptes de PACA estime à 1 milliard d’euros. Les différentes collectivités locales et l’État ont apporté 50 % du prix des travaux et un groupement du BTP (Arema) a complété le tour de table. Dans son contrat, l’entreprise gère et entretient l’équipement durant 31 années. Elle s’engage aussi à reverser 500 millions d’euros à la Ville de Marseille sur les recettes générées par le stade Vélodrome. Le coût net du PPP pour la commune sera donc de 500 millions d’euros, soit près de deux fois le montant des travaux. La ville doit ainsi verser un loyer de 18 millions à la société Arema, une filiale de Bouygues. Une prestation qui englobe l’entretien, l’exploitation et la participation de Bouygues au tour de table des travaux de rénovation à hauteur de 50 %. L’Olympique de Marseille loue pour 4 millions, agrémentés d’une part variable en fonction de ses recettes de billetterie le stade à la ville. La municipalité doit au final sortir 14 millions d’euros par an pendant 31 années.

La différence entre le montant des travaux et l’addition finale s’explique par le recours au PPP. Il s’agit d’une sorte de contrat de leasing. La collectivité, n’ayant pas les moyens de financer la rénovation du stade, a demandé à Bouygues d’avancer la somme manquante et de la rembourser sur 31 ans. Mais cet outil induit des surcoûts. Comme la rémunération des actionnaires. Pour les travaux du stade Vélodrome, les 103 millions d’euros injectés par Bouygues, via sa filiale Arema, se transforment au terme du contrat en 278 millions d’euros. Comme l’explique les magistrats de la chambre régionale des comptes de PACA, c’est comme si la ville de Marseille avait emprunté à 8,25%. En empruntant elle-même, la commune aurait économisé 93 millions d’euros.

L’équivalent d’un prêt à 15% à Bordeaux

À Nice, Bordeaux et Lille, trois autres stades construits en partenariat public-privé, le même mécanisme est à l’œuvre. Dans la ville d’Alain Juppé, les 183 millions d’euros de construction du stade se transforment ainsi en un contrat de 540 millions d’euros. Une fois retranché le loyer réglé par les Girondins de Bordeaux et l’intéressement de la ville aux recettes du Matmut Atlantique, la municipalité va débourser 120 millions d’euros sur les 30 ans. Comme à Marseille, le remboursement des emprunts contractés par le constructeur Vinci constitue une part importante de ce montant. Selon une association de contribuables locaux (Trans’Cub), Vinci facture sa mise de départ à un taux de rémunération de 15 %. Sur les 183 millions de travaux, les collectivités locales et l’État avaient apporté 75 millions d’euros.

A Lille, un loyer trop cher pour le club

Le stade le plus cher de l’Euro 2016 a été construit à Lille. Il a aussi été le premier livré. Le coût total du PPP et des travaux d’accessibilité approche le milliard d’euros, d’après les opposants au stade Pierre-Mauroy. Le coût du stade est, lui, de 370 millions. Pendant 31 ans, la métropole lilloise va régler un loyer annuel d’environ 10 millions, alors même que l’argent public a apporté près de la moitié du montant initial des travaux. Mais les choses pourraient se corser encore plus. Cette somme prend en compte l’intéressement versé par la société titulaire du PPP aux recettes et le loyer payé par le club de foot. Mais le contrat prévoit qu’en cas de mauvais résultats sportifs et d’affluence, le manque à gagner repose sur la métropole de Lille. Le président du Losc demande d’ailleurs la baisse de son loyer.

Plus au sud, à Nice, un rapport de la chambre régionale des comptes fixe à 400 millions d’euros sur 30 ans le coût du PPP pour la municipalité (le stade lui-même a coûté 217 millions d’euros).

Ces projets consistent à aller chercher des tiers financeurs et à bâtir des usines à gaz (Philippe Seguin)

Ironie de l’histoire, le programme de rénovation des stades français a été articulé autour des préconisations de Philippe Seguin. Mais, dans les actes, les collectivités locales n’ont pas suivi les recommandations de l’ancien président de la Cour des comptes qui évoquait en ces termes les partenariats public-privé : Ces projets consistent à aller chercher des tiers financeurs et à bâtir des usines à gaz, en oubliant que celui qui emprunte pour le compte de l’État le fait à un coût plus élevé.”

2 milliards pour l’UEFA

Au total, ce sont donc près de 4 milliards d’euros qui auront été investis, aux deux tiers par l’argent public, pour la modernisation du parc des stades français. Une somme que les retombées économiques ne pourront pas absorber. L’Euro 2016 profitera donc aux majors du BTP qui ont construit les stades et signés des PPP pour les prochaines années. L’UEFA, l’association qui organise la compétition, s’en sort bien aussi. Grâce notamment aux droits télévisés, elle devrait empocher près de deux milliards d’euros pour un mois de compétition. Elle n’a pas versé un centime pour la construction de stade dont elle a fixé un cahier des charges rigoureux. Pour les collectivités locales qui se sont engagés dans des contrats de partenariat, l’histoire ne s’arrêtera pas au soir de la finale de l’Euro le 10 juillet. Elle va continuer pendant trente ans.

 









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