Révélations – En Paca, le tourisme pèse lourd, normal qu’il paie son principal promoteur en retour. D’autant que Bruno James, directeur du comité régional de tourisme, s’est taillé une situation sur mesure : augmentation turbo, avantages variés, golden parachute, rien n’est trop beau pour saluer l’inestimable talent de ce fidèle de l’ex-président du conseil régional. En toute discrétion, jusqu’à… planquer des pièces quand l’Inspection générale des services débarque !
Après la respiration démocratique, l’action : au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, la nouvelle mandature regroupée autour du LR Christian Estrosi peut compter sur plusieurs organismes associés pour appliquer son programme. Parmi ceux-ci, le comité régional de tourisme (CRT), désormais présidé par le Marseillais Renaud Muselier.
L’objet de cette association, déclarée le 26 février 1988 et régie par la loi du 3 janvier 1987, précise son champ d’intervention : “assurer la préparation et la mise en œuvre des actions de promotion touristique”, “élaborer le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs” et “assurer la mise en œuvre de la politique du tourisme”.
408 981 euros pour “risque structurel”…
Ce vendredi 25 mars 2016, le CRT réunit son conseil d’administration à 9h30, au Club du Vieux-Port. À l’ordre du jour de la séance, l’élection du bureau, la mise en place de la commission des marchés ou encore un futur déménagement dans de nouveaux locaux. Mais également l’adoption des comptes 2015 et du budget prévisionnel 2016. Les participants sont notamment invités à approuver une provision de 408 981 euros pour “risque structurel”. Gageons que les administrateurs seront curieux de découvrir ce que cache cette mystérieuse ligne budgétaire… Pour comprendre, un bond de quelques années en arrière s’impose.
Tout démarre le 30 avril 2009. Ce jour-là, Jean-Marc Coppola appose sa signature au bas d’un document qui porte les armes de la région Paca en en-tête. Allié de premier plan de Michel Vauzelle au sein de la majorité de la gauche plurielle, le vice-président communiste de l’assemblée régionale a également hérité de la présidence du comité régional de tourisme. Ce 30 avril 2009, un second paraphe noircit la feuille blanche à côté de celui de l’élu : Bruno James est officiellement directeur général du CRT. Il vient de signer son contrat de travail.
Un bon petit soldat
Avant de s’improviser expert du tourisme, James a longtemps dirigé la communication du conseil régional, où il a fini au grade de directeur général adjoint, et le service des moyens généraux. Arrivé au conseil régional dans les bagages de Michel Vauzelle, il est un très proche de l’ancien maire d’Arles.
Membre de la garde rapprochée de celui qui fut le premier porte-parole de Mitterrand, il a été pendant une double décennie de toutes ses campagnes électorales. Il était le grand ordonnateur des meetings, réglant le bal de ces grand–messes dans lesquelles son grand homme faisait apprécier ses talents oratoires d’homme de gauche. Un entrain exercé avec le désintéressement du militant, puisque non rémunéré. À croire que son salaire au conseil régional suffisait amplement à ses besoins, ou que cet incontestable dévouement justifie sa superbe carrière.
La rémunération du nouvel homme fort du tourisme provençal est fixée à 9 423,04 euros mensuels. Elle tient compte de la situation antérieure de James au conseil régional. Le contrat prévoit également une majoration d’indemnité de résidence (3 % du salaire brut de base), la mise à disposition d’un véhicule de fonction ou encore d’un téléphone mobile.
En dépit d’un traitement qui en ferait saliver plus d’un, le directeur du CRT estime ses qualités insuffisamment reconnues. Par chance, ses employeurs partagent cette très haute opinion de leur salarié. Le 8 septembre 2009, quatre mois après la signature du CDI, un avenant réévalue sa rémunération. Nettement : désormais, il percevra 11 832,94 euros bruts par mois.
À ce tarif, James peut donner la pleine mesure de son talent et de son professionnalisme. Il va avoir l’occasion de l’exprimer.
Rémunération sous “observations”
Trois ans se sont écoulés quand on frappe à la porte du comité régional de tourisme. Au numéro 61 de la Canebière, en ce mois d’octobre 2012, personne n’est surpris. Bien élevés, les visiteurs ont prévenu de leur passage. Depuis plusieurs mois. Pierre Meffre (nouveau président, en remplacement de Coppola) a reçu le 16 décembre 2011 un courrier l’en informant. Dans une lettre recommandée du 2 octobre 2012, la patronne de l’Inspection générale des services, qui vient contrôler la gestion du CRT, a ensuite listé les éléments à produire.
Cinq jours durant, les 17, 18, 19, 22 et 29 octobre 2012, Bruno James est aux petits soins avec les fonctionnaires, qu’il guide et accompagne dans ses locaux. Une disponibilité qui lui vaudra en retour des remerciements très urbains des visiteurs.
Mais, si on est entre gens civilisés, le boulot reste le boulot. Et une inspection… une inspection. Forcément, les limiers de l’IGS ne manquent pas de saluer le traitement dont le directeur bénéficie : “une augmentation très conséquente de près de 30 % (28,43 %) de sa rémunération, avantages en nature inclus” (comparée à son dernier salaire au conseil régional), notent-ils. On ne saurait mieux dire.
À la lecture de leur rapport définitif, rendu le 17 avril 2013, on apprend que cette belle générosité est censée compenser la perte du logement de fonction dont l’intéressé bénéficiait. Une justification (du CRT) contestée par les contrôleurs, qui concluent sur cette sentence : “La politique de rémunération fait l’objet d’observations.”
Les petites cachotteries du directeur
On le voit, le travail des visiteurs d’octobre se veut sans compromission. C’est sans doute pour cette raison que la page de garde de leur rapport est barrée de la mention “Confidentiel”. L’audit est également réputé complet. “L’association (…) a présenté l’ensemble des documents réclamés dans le cadre du présent contrôle”, se félicitent les rédacteurs en page 14. Et de préciser, pour la liste des “documents présentés” : “les contrats de travail et leurs avenants, les curriculum vitæ, les notes de frais, les avantages en nature”… Pourtant, en dépit de ce satisfecit, les inspecteurs ont manqué une information détonnante, qu’ils auraient sans doute appréciée à condition d’en avoir été… informés.
Quelques semaines plus tôt, Bruno James a fait ajouter un nouvel avenant – une obsession… – à son contrat de travail. Cette fois, l’affaire est réglée sur deux pages, et le logo de la région Paca apparaît en petit, en bas à gauche. Cet avenant n° 2 propulse monsieur le directeur général dans une nouvelle dimension. Digne des entreprises du grand capital, puisqu’il s’est fait tailler sur mesure un superbe parachute doré. Le document, dont nous disposons d’une copie, distingue deux cas de figure : en cas de licenciement “à compter de 3 ans d’ancienneté” (autrement dit au moment de la signature de l’avenant), Bruno James touchera “dix-huit fois le montant de la moyenne des salaires bruts perçus depuis l’embauche y compris les gratifications annuelles”. Et, au-delà de “5 ans d’ancienneté”, ce sera “vingt-quatre fois le montant de la moyenne des salaires bruts perçus depuis l’embauche y compris les gratifications annuelles”.
Très généreuse, la clause a de quoi rendre jaloux les fonctionnaires les mieux notés, le droit des collectivités ne prévoyant aucun dispositif de ce type pour ses serviteurs. Il est vrai que les employés du CRT disposent de contrats de droit privé. À cette réserve près – elle est de taille – que le financement quasi exclusif de l’organisme par de l’argent public impose un parallélisme des formes dans la politique salariale et la gestion des ressources humaines.
Un directeur très capital
Les deux signataires (James et Meffre, son président) sont parfaitement conscients de l’exorbitance de cet avantage, puisque le document précise qu’il “se substitue aux indemnités de même nature prévues par la convention collective des organismes de tourisme applicable”. Le contrat d’embauche initial ne prévoyait d’ailleurs qu’une “indemnité correspondant à 12 mensualités calculées sur la base de son dernier mois de salaire ou sur la moyenne des six derniers mois de salaires bruts si celle-ci est plus avantageuse”. Une misère, donc, sur laquelle les fonctionnaires de l’IGS n’auront pas pu se prononcer. Regrettable, évidemment. Guère partageur, Bruno James a fait le nécessaire pour protéger son mirobolant parachute doré.
Les contrôleurs partis contrôler ailleurs, reste un dernier obstacle : pour toucher le pactole le moment venu, monsieur le directeur général doit en faire valider le principe par son conseil d’administration. L’alerte étant passée près, il va dans un premier temps laisser dormir son précieux avenant dans un tiroir fermé à double tour. On n’est jamais trop prudent.
Le premier mais le dernier…
Au bout de vingt-six mois, l’occasion se présente enfin : le 12 février 2015, les administrateurs se retrouvent au siège de l’association après déjeuner. À peine installés, on leur remet quatre pages consacrées aux “questions administratives et financières”, qu’on s’est bien gardé de communiquer en amont. Cette fois, il s’agit d’approuver “la nouvelle rédaction des contrats de travail” des salariés. Une curiosité, puisque le CA n’a en principe à connaître de contrat que celui de son directeur…
Dans le document présenté, les avantages de chaque agent sont listés. Logiquement, on démarre par le haut de la hiérarchie : d’abord le secrétaire général, puis le directeur du marketing, et ainsi de suite. Étonnamment, le cas de Bruno James ne vient qu’à la fin, après les secrétaires et agents de service. Mais l’essentiel est ailleurs : le conseil d’administration valide enfin le beau parachute doré. Dans l’affaire, le plus drôle reste la justification de cette tartuferie : cette inédite validation des contrats a été proposée pour se mettre en conformité avec… les recommandations de l’IGS. Du très grand art, on le voit.
Découvrir la façon dont une association financée quasi exclusivement par la région a assuré le train de vie d’un proche de Michel Vauzelle, au prix de curieuses acrobaties, a de quoi étonner. Surtout si on a de la mémoire : en 2013, un cinglant rapport de la chambre régionale des comptes avait étrillé la politique associative du conseil régional, qui a servi à nourrir des clientèles électorales pendant des années à coup de subventions. Ces pratiques avaient conduit à la condamnation de Sylvie Andrieux, toujours en 2013.
Le procès de l’ex-vice-présidente de Michel Vauzelle, que nous avions suivi, avait laissé aux observateurs l’étrange sentiment que la députée PS avait servi de lampiste pour solder un système qui ne se réduisait nullement aux égarements d’une brebis isolée. À l’époque, son collègue de l’Assemblée nationale était miraculeusement passé entre les gouttes, après avoir été un temps placé sous statut de témoin assisté dans ce dossier d’associations bidon.
L’affaire James rappelle un précédent aux contours similaires : en 2009, le CRT de Bretagne avait été pointé du doigt après des révélations du Canard enchaîné. Nos confrères avaient découvert un parachute doré de 404 000 euros accordé au directeur de l’établissement pour lui faire avaler son licenciement – après vingt-neuf ans de service, tout de même.
Au final, le régisseur préféré de Michel Vauzelle a bien mené sa barque. Récapitulons : des conditions salariales dignes du privé, des documents volontairement cachés à l’Inspection générale des services, un golden parachute validé en sourdine des années après sa signature… En période d’austérité, alors que l’argent public fait défaut, que les dotations de l’État aux collectivités se réduisent drastiquement et que le projet de loi El Khomri envisageait de plafonner les indemnités prud’homales à 15 mois, l’histoire prend un relief singulier… Pendant plus de deux ans, James aura patienté pour que son parachute doré soit validé, prêt à servir en temps utile. Le temps utile, en cette année 2016, l’intéressé semble l’estimer venu, après le changement de majorité à la tête du conseil régional Paca.
En Provence, les marins le savent, naviguer c’est prévoir le sens du vent. En bon gestionnaire, Bruno James a tout prévu : c’est lui qui a fait provisionner les fameux 408 981 euros de “risque structurel” inscrits au budget prévisionnel. On a compris pour quel usage.
Et pour quelles poches.