C’est une compagnie qui navigue en eaux troubles entre le port de Saint-Malo et les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey. Depuis des années, elle emploie des marins français qui sont privés de couverture chômage ou maladie. La CGT vient de porter plainte au pénal contre la société Condor Ferries et ses filiales pour travail dissimulé, fraude fiscale ou encore abus de biens sociaux.
“Nous sommes dans un no man’s land social.” Nous l’avions interviewé en mars 2016 (lire notre entretien). Le marin breton Erwann F. dénonçait l’absence de couverture chômage ou maladie au sein de son entreprise, Condor Ferries. Tous les jours, le bosco embarquait à Saint-Malo et assurait la liaison entre les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey avant de rentrer le soir, chez lui, à Saint-Malo. Mais sa société, Condor Ferries, qui appartient à la banque d’investissement australienne Macquarie (actionnaire des autoroutes Paris-Rhin-Rhône), est basée à Guernesey, un paradis fiscal, et ses bateaux battent pavillon aux Bahamas. Le contrat de travail d’Erwann F. et de tous les marins français de Condor Ferries ne dépend pas du droit français.
Selon nos informations, cette situation a poussé en mars dernier la Fédération nationale des syndicats de marins CGT à porter plainte au pénal devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo contre la société Condor Ferries et ses filiales, pour travail dissimulé, fraude fiscale, prise illégale d’intérêts, marchandage, non-respect de la législation de la Sécurité sociale, publications de bilans inexacts ou encore abus de biens sociaux.
“Une compagnie fondée à Guernesey par deux Guernesiais”
Contactée par Le Lanceur en mars dernier, la société Condor Ferries, qui assure le transport de près d’un million de voyageurs par an, dont 450 000 sur le trafic France, se justifiait en rappelant que “Condor Ferries est une compagnie maritime fondée à Guernesey par deux Guernesiais”. Le service de communication de Condor ajoutait que “tous les membres d’équipage, parmi lesquels des Français, ont donc un contrat d’engagement maritime de Guernesey et sont engagés pour travailler à bord des navires Condor entre les îles anglo-normandes, l’Angleterre et la France. Les contrats sont passés avec nos employés qui les signent en toute connaissance de cause lors de leur arrivée dans l’entreprise”.
Les marins bretons salariés de Condor, qui représentent aussi le combat de tous les marins français travaillant sur des bateaux immatriculés à l’étranger, ont déjà obtenu une première victoire en novembre 2015. À partir du 1er janvier 2017, ils seront rattachés à l’Enim, la caisse sociale des marins français. Ils auront le droit à la couverture maladie et à la retraite, mais n’auront toujours pas accès au chômage et à la formation, comme tout travailleur français. Un cheval de bataille pour la CGT. “Quand les marins rentrent tous les soirs chez eux en France, ils doivent dépendre du droit français, nous explique Isabelle Jarry, avocate pour la CGT dans cette plainte pénale. Le pavillon est une fiction.”