Les 8 milliards d’euros investis dans la protection de l’enfance chaque année ne permettent pas de combler les lacunes du système français. Placements abusifs, manque de contrôle, difficulté de passage à l’âge adulte… Alors que la France est un des pays qui place le plus, l’action de l’Aide sociale à l’enfance est régulièrement décriée.
À l’approche de la Journée internationale des droits de l’enfant, ce dimanche 20 novembre, le scandale des “enfants volés d’Angleterre” a fait les gros titres de la presse cette semaine. Des enfants abusivement placés sur le simple soupçon que leurs parents présentent un “risque potentiel” – de pauvreté, bien souvent. Un peu comme cela avait été le cas en Suisse jusque dans les années 1980.
En France, la protection de l’enfance “gère” quelque 273.000 enfants placés. Elle constitue un poste de dépense important, huit milliards d’euros par an. Mais elle a aussi ses failles. Le dernier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la situation à Mayotte l’a prouvé tout récemment. Dans l’océan Indien, “les réponses de l’ASE [l’Aide sociale à l’enfance, NdlR] ne sont pas adaptées aux enjeux”, sur une île dont la moitié de la population est mineure.
Dans l’Hexagone aussi, des voix s’élèvent. Des travailleurs sociaux aux enfants ayant eux-mêmes été placés, en passant par certains parents s’estimant lésés, l’ASE, bras armé des départements dans la gestion de la protection de l’enfance, fait l’objet de bien des critiques. Parmi elles, résonne notamment celles d’associations qui luttent contre ce qu’elles appellent le “placement abusif”. L’ex-directeur de l’Igas lui-même, Pierre Naves, leur a d’ailleurs fourni un argument de poids en reconnaissant à deux reprises que la moitié des placements pourraient être évités.
Placements abusifs ?
Ces abus ont également été évoqués par la Commission nationale consultative des Droits de l’homme (CNCDH), dans un avis rendu en 2013 : “Si la CNCDH ne remet pas en cause le principe des placements d’enfants, ces derniers se révélant nécessaires et légitimes dans de nombreux cas (…) elle rappelle que de nombreuses études montrent que le recours au placement hors de la cellule familiale est trop souvent utilisé de manière abusive.” La CNCDH note encore que “le nombre de mineurs placés en France est, en proportion, supérieur à celui de nombreux autres pays européens”.
En Isère, Rachel est aujourd’hui séparée de ses trois enfants après qu’elle a indiqué à des médecins qu’elle pensait ses enfants souffrant d’autisme. Ces derniers ont été placés. Elle-même atteinte d’une forme d’autisme, leur mère ne les voit qu’en visite encadrée. Le jugement a été confirmé en appel alors que la coordinatrice du centre de ressources Autisme Rhône-Alpes a effectivement diagnostiqué des formes d’autisme chez les trois enfants.
Les associations décrient par ailleurs la tendance générale de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) à conserver un enfant placé dans le système de la protection de l’enfance. Le Comité élargi de défense de l’individu et des familles (Cedif) avance par ailleurs que seuls 20% des placements font suite à une maltraitance avérée. Reste que l’anticipation est une des clés du dispositif de protection. Les conséquences du non-placement pouvant s’avérer dramatiques également. L’affaire Marina Sabatier ou le procès, cette semaine, de la mère de la petite Fiona de Riom viennent crûment le rappeler.
“Manque de contrôle”
Plus d’un enfant sur deux placé par l’ASE l’est en famille d’accueil, et près de 4 sur 10 en “établissement”, selon les chiffres du dernier rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (octobre 2016). Dans la réalité, les parcours sont moins linéaires.
Placé à la naissance, Lyes Louffok a connu plusieurs familles avant d’être envoyé en foyer. Une expérience douloureuse qu’il a racontée dans un livre paru en 2014, Dans l’enfer des foyers (titre miroir à celui de Samira Bellil, Dans l’enfer des tournantes). Son histoire illustre les dysfonctionnements de l’ASE. Placé à la naissance en “pouponnière”, Lyes est pris en charge par une famille d’accueil aimante. Mais, lorsque cette dernière déménage dans le Sud, l’institution lui interdit de la suivre et l’oriente vers une seconde famille, dont il qualifie la mère de “marâtre”. Après un passage par une troisième famille, il est finalement orienté vers un foyer. “L’enfer”, donc, avec ses cerbères. Ces grands qui le battent. Plus tard, il repassera par plusieurs familles d’accueil, jusqu’à sa majorité. Aujourd’hui jeune adulte, il est devenu travailleur social et milite pour les droits des enfants.
De par son parcours, Adrien Durousset, qui avait présenté à Lyon Capitale son livre Placé, déplacé lors de sa sortie au printemps dernier, centre lui sa critique sur les familles d’accueil. Il revient notamment sur son placement dans une famille qui n’a selon lui pas été capable de l’accueillir dans de bonnes conditions – “Cela s’est fini en tentative de suicide à 15 ans”, raconte le jeune homme, qui poursuit aujourd’hui des études de comptabilité. Il regrette l’absence de formation des familles d’accueil ainsi que le manque de contrôle : “Il n’y a pas de contrôle approfondi, pas de contrôle inopiné dans les structures d’accueil et aucune critique indépendante.”
La loi établit que c’est aux délégations régionales de la protection judiciaire de la jeunesse (DRPJJ) que revient ce rôle de “contrôle pédagogique, administratif et financier des personnes, établissements et services publics et privés prenant en charge directement des mineurs et jeunes majeurs confiés par l’autorité judiciaire”. Or, la Cour des comptes indiquait en 2009 que les contrôles demeuraient très rares. De plus, précisait-elle dans son rapport, ils “restent centrés sur le secteur public, de moins en moins impliqué dans la prise en charge des mineurs en danger” (ce sont souvent des associations qui gèrent les établissements d’accueil). “Ainsi, développait le rapport, entre 2002 et 2007, 70% des 39 contrôles de l’inspection concernaient des établissements du secteur public.” Et la Cour de conclure avec force : “Au rythme actuel, un établissement du secteur associatif sera contrôlé en moyenne tous les vingt-six ans.”
Émancipation plus difficile
Un questionnement est en cours sur la protection de l’enfance, porté notamment par ceux qui, comme Adrien ou Lyes, parlent de leur vécu. “On s’en est sortis et on pose la question du bien-être de l’enfant.” Mais tous ne s’en sortent pas, loin s’en faut. À la charnière du passage à l’âge adulte, là où s’arrête l’accompagnement, l’émancipation est dure pour les jeunes majeurs qui ont grandi placés. Et qui n’ont pas de “capital mobilisable” (pas de soutien financier, professionnel ou social de proches). “Des trajectoires de fin de placement dramatiques”, souligne Adrien Durousset.
Pour preuve, une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) a établi en 2006 que “les personnes ayant été “placées” sont largement surreprésentées parmi les populations sans domicile (estimées à 23% sur cette enquête de l’Insee, à comparer à 2% en population générale logée), en particulier parmi les plus jeunes (35% parmi les 18-24 ans)”. Une situation qui n’est cependant pas spécifique à la France.
Le législateur tente de corriger cette difficulté. C’est le sens de l’article 19 de la loi du 14 mars dernier sur la protection de l’enfance, qui instaure la création d’un compte bloqué jusqu’à 18 ans pour chaque enfant placé. Ce compte sera alimenté par l’allocation de rentrée scolaire, perçue chaque année.