Des élus de la Métropole et de la ville de Grenoble ont-ils favorisé un entrepreneur afin qu’il obtienne un marché public ? Si ce marché n’a finalement jamais vu le jour, le parquet de Grenoble se penche de nouveau sur l’affaire après avoir classé le dossier “sans suite”.
Le monde des marchés publics est pavé de bonnes intentions. À Grenoble, si l’ambition de démocratiser le vélo assisté électriquement est parfaitement en phase avec une politique écologique, la manière dont certains élus ont pu souhaiter le faire semble moins “propre”. Des méthodes qui auraient poussé un fonctionnaire à transmettre plus de 80 échanges internes et documents confidentiels au parquet de Grenoble par l’intermédiaire de Pascal Clerotte du Groupe d’analyses métropolitaines (GAM). Dans ces documents, que Lelanceur.fr a pu consulter, apparaît d’abord un lobbying intense de la part de Maël Bosson, un doctorant qui bénéficierait de “l’oreille particulièrement fine” de certains élus écologistes de la ville et de la Métro de Grenoble. Au vu de ces contacts privilégiés et d’un intérêt marqué de la part de Yann Mongaburu, vice-président de Grenoble Alpes Métropole aux déplacements, président du syndicat mixte de transport en commun (SMTC) et conseiller municipal, les fonctionnaires de la Métro semblent avoir travaillé d’arrache-pied pour que le projet d’expérimentation de kits qui transforment des vélos classiques en vélos assistés électriquement puisse voir le jour dans la Métropole, quitte à s’arranger avec le doctorant-entrepreneur avant qu’il ne monte une start-up afin que son éventuelle offre puisse coller au plus près des exigences d’un futur marché public. Contacté, Maël Bosson a indiqué “avoir des urgences à gérer et ne pas être disponible” pour répondre aux questions.
Une concurrente “gentiment” écartée et un élu directeur de la start-up
Quelques semaines après l’élection des écologistes à la ville de Grenoble, en 2014, Maël Bosson s’attelle à activer son réseau pour tenter de faire financer par la collectivité l’expérimentation d’un “vélo électrique intelligent” sur “une flotte de Métrovélos” via le laboratoire universitaire GIPSA Lab. Rencontré sur les bancs de la prépa’, Raphaël Marguet, élu sur la liste d’Eric Piolle, lui apportera son aide. Il diffuse à plusieurs élus des documents “confidentiels” sur ce projet. Des documents : “diffusables, mais de manière raisonnée. En effet, ce sont les travaux que Maël Bosson souhaite partager avec les élus, mais qui peuvent être un peu sensibles dans le sens où il y a une possible création d’entreprise derrière pour lui et pour d’autres…” Un drôle de message de la part de celui qui deviendra moins d’un an plus tard le directeur général d“Ebikelabs”, la start-up créée par Maël Bosson. À l’époque, le projet de Maël Bosson et du laboratoire de recherche visait à améliorer des kits déjà vendus à 500 euros chez Décathlon afin d’en équiper, si l’opportunité se présentait, des vélos de la Métropole grenobloise. Dans un autre document confidentiel, Maël Bosson ira jusqu’à demander à “mettre en place un appel d’offres pour s’équiper de Métrovélos assistés électriquement” avant de détailler les critères qui feront que son équipe “pourra répondre avec la meilleure offre”.
Quelques mois plus tôt, la direction des affaires juridiques de la Métro avait pourtant été assez claire : impossible de passer un contrat “sans publicité ni mise en concurrence” pour une expérimentation. Impossible également de faire bénéficier Maël Bosson d’un “partenariat d’innovation”, son système ne répondant pas à cette définition puisqu’il s’appuyait sur un kit déjà disponible sur le marché. Un état de fait qui aurait poussé Yann Mongaburu, président du SMTC, à demander en mars 2015 à une fonctionnaire “de répondre gentiment négativement” à l’entreprise Nexange, qui avait manifesté son intérêt pour électrifier 100 vélos de la Métro, avant que l’élu n’interroge les services sur “l’avancée de la contractualisation de l’expérimentation avec le laboratoire de l’Université et la start-up associée”. Selon les échanges de mails, l’élu aurait également, quelques mois plus tard, poussé ses services à adapter une demande de subvention à la région Auvergne-Rhône-Alpes en fonction de ce qu’envisageait Maël Bosson. “Yann Mongaburu relance régulièrement pour relancer (sic) le projet d’expérimentation […] il en a parlé avec Eliane Giraud- sénatrice de l’Isère et conseillère régionale- “pour la convaincre de financer”.”Il faut y aller” aurait indiqué Yann Mongaburu selon un échange de mails entre fonctionnaires de la Métro. Si Yann Mongaburu n’a pas souhaité répondre directement aux questions, il a transmis au site lelanceur.fr une demande d’exercice d’un droit de réponse à l’attention du site place Gre’net, premier média à avoir relayé l’affaire. Dans ce courrier, Yann Mongaburu dénonce plusieurs “approximations grossières”, dont celle qui aurait consisté à confondre les travaux de Maël Bosson dans le cadre du laboratoire universitaire GIPSA LAB et ceux dans le cadre de sa start-up. “Si Monsieur Bosson apparaît dans les échanges avec les services à compter de janvier 2014, c’était en tant que membre de ce laboratoire de recherche universitaire, lauréat d’un appel à projet du CNRS, et aucunement en tant que fondateur de la start-up de valorisation de la recherche Ebikelabs, qui n’existait pas en 2014” écrit-il. Pourquoi alors avoir demandé à ses services “l’avancée de la contractualisation de l’expérimentation avec le laboratoire de l’Université et la start-up associée” si cette start-up n’avait aucun rapport avec le projet d’expérimentation ?
Une affaire d’abord classée par le parquet ?
Lorsque ces échanges et documents internes sont transmis à la justice, le parquet de Grenoble aurait classée l’affaire sans suite en quelques semaines, justifiant que la plainte n’était pas admissible dans sa forme, puisqu’il s’agissait d’un mail avec une quantité de pièces jointes à télécharger. Après réflexion et suite à la publication de plusieurs éléments de l’affaire sur le site place Gre’net, le vice-procureur aurait décidé de rouvrir le dossier avec une enquête préliminaire. Selon Pascal Clérotte, du groupe d’analyse métropolitain (Gam) “il n’y a pas besoin de marché public pour que l’infraction de trafic d’influence soit caractérisée si des moyens interdits par la loi ont été mis en œuvre”. Si la start-up de Maël Bosson et de Raphaël Marguet indique désormais se tourner plutôt vers d’autres partenariats car “la Métro est une structure de 5000 employés et qu'[eux] sont une start-up de 10 personnes” selon les mots de l’entrepreneur, ils pourraient prochainement être entendus par la justice. D’un autre côté, dans la demande de droit de réponse envoyée au site lelanceur.fr par Yann Mongaburu, l’élu estime que les documents ont été “collectés irrégulièrement auprès d’un agent de la métropole grenobloise par Monsieur Clérotte” et de préciser que “puisque le Procureur de la République semble avoir ouvert une enquête préliminaire, je me tiens évidemment à sa disposition pour dissiper les accusations sans fondement de Monsieur Clérotte, en revenant aux faits et aux faits pleinement”. En attendant les résultats de l’enquête, tous les protagonistes sont naturellement présumés innocents.
Demande de droit de réponse de Yann Mongaburu à Place Gre’net by Le Lanceur on Scribd