Tandis que le calendrier de la procédure civile contre les laboratoires Merck pour “défaut d’information” a été détaillé à Lyon, les patients qui n’ont pas supporté le changement de formule témoignent de la perte de confiance envers l’industrie pharmaceutique et les instances de santé.
Trouver une solution de dépannage. Marilyne* a sérieusement soufflé lorsqu’elle a réussi à mettre la main, grâce à une amie, sur une boîte de médicament qu’elle pourra utiliser lors des six prochains mois. Elle dispose désormais de l’une des options proposées par la ministre de la Santé quelques semaines plus tôt : l’arrivée sur le marché français de médicaments alternatifs au Levothyrox de Merck, en situation de monopole depuis de nombreuses années sur le marché français et qui refuse de revenir à son ancienne formule. Alors qu’un changement d’excipient a été réalisé par le laboratoire en mars dernier, des médecins, des pharmaciens ainsi que des patients estiment ne pas avoir été informés de ce changement et des risques d’effets indésirables qu’il comporte. Après la colère vient l’inquiétude de pouvoir se procurer un traitement dont les patients ne peuvent se passer puisqu’il régule leur métabolisme en remplaçant une hormone sécrétée par la thyroïde. “Après un mois et demi d’attente et six pharmacies contactées, une jeune femme a appelé à l’aide la sœur de sa belle-mère pour qu’elle se procure des boîtes à Francfort. Ne me dites pas que cela relève d’une fourniture responsable du médicament !”
Nous voulons la transparence et le droit de choisir”
Dépendante d’un traitement à base de Lévothyroxine, Maryline s’est d’abord méfiée des débats sur la nouvelle formule du Levothyrox commercialisé par Merck, prenant comme option celle d’attendre son rendez-vous chez l’endocrinologue. Un spécialiste qui lui confirmera l’intérêt pour son traitement de passer à la formule commercialisée par Sanofi pour faire cesser ses insomnies, ses maux de tête, mais également pour faire baisser sa nervosité. “Pour les pouvoirs publics, c’est bien joli de claironner que Merck n’est plus en situation de monopole, ça nous fait une belle jambe quand on voit la pagaille qui s’en suit. Surtout qu’on ne sait toujours pas pourquoi l’excipient de ce médicament a été changé. Ce que nous voulons, c’est la transparence et le droit de choisir. Quelque part, nous sommes otages de ces décisions” s’indigne-t-elle. Surtout que les importations de traitements alternatifs arrivent au compte-gouttes et sont systématiquement dévalisées dans les pharmacies. Au tribunal de grande instance de Lyon ce mardi, le directeur juridique du laboratoire, Florent Bensadoun, est resté de marbre et a rejeté la faute sur l’Agence du médicament. Selon le laboratoire, le remplacement du lactose par du mannitol a été fait suite à une “injonction de l’agence du médicament” en 2012.
Une défense étonnante, d’autant plus que l’ancêtre de l’Agence du médicament, l’AFSAPSS, comme les industriels, n’ignorent pas que les médicaments à base de Levothyroxine sont “à marge thérapeutique étroite”. En mai 2010, l’agence rédigeait ainsi une note. “Afin de prévenir tout risque de surdosage ou de sous-dosage, une surveillance est nécessaire en cas de changement entre deux spécialités à base de lévothyroxine: spécialité de référence vers spécialité générique, spécialité générique vers spécialité de référence ou spécialité générique vers une autre spécialité générique”. Ainsi, une modification même minime dans la formule ou dans le procédé de préparation peut provoquer des effets néfastes sur un certain nombre de patients (entre 5 à 7%). Face à 108 assignations au tribunal et à 2 500 dossiers en préparation, Merck devra également expliquer pourquoi les précédents à l’étranger n’ont pas été pris en compte pour informer plus spécifiquement les médecins et les pharmaciens. Dès 2007 en Nouvelle-Zélande, le laboratoire GSK, également en situation de monopole dans le pays, déplaçait son site de production du Canada vers l’Allemagne. En quelques mois, les déclarations d’effets indésirables qui étaient de 14 sur 30 ans passent à 1 400 en dix- huit mois.
Un procès prévu le 1er octobre 2018
Des effets qui seront à l’époque mis sur le compte “d’une hystérie collective” et d’un “effet nocebo” par le British Medical Journal. Convaincu qu’une substance ou une pratique médicale peut être nuisible, le patient développe des effets secondaires par cet effet inverse au placebo. Si ce dernier n’est pas contesté par l’avocat des victimes, Me Leguêvaque, l’effet nocebo ne peut selon lui pas “tout expliquer”, d’autant plus que “le défaut d’information sur les effets secondaires ne fait qu’augmenter ce type d’effet”. En 2009 au Danemark, puis en 2011 en Israël, les modifications apportées par GSK à l’Eltroxin font également scandale. Plus récemment aux Pays-Bas, en 2016, le fabricant Thyrax fait face aux mêmes effets lors du transfert de la production de la molécule fabriquée sous la licence de Merck. Le seul bon élève sera le Belge Takeda, qui a pris en 2015 de nombreuses mesures pour communiquer clairement sur les risques auprès des médecins. Des données qui font partie de l’extrait d’assignation contre Merck communiqué par l’avocat toulousain. Sur le plan civil, le procès pour “défaut d’informations” contre Merck Santé et Merck Serono se tiendra le 1re octobre 2018 à Lyon. D’autres actions se préparent également dans ce dossier. Pour l’ancienne magistrate instructrice au pôle santé publique du tribunal de Paris, l’affaire Levothyrox témoigne d’une “non-assistance à personne en danger”. Après s’être écartée de la magistrature en 2013 et avoir déclaré “ne plus croire en la Justice”. Elle soutient aujourd’hui de nombreuses victimes d’effets indésirables de la nouvelle formule du traitement Merck en tant qu’avocate.
*Le prénom a été changé à la demande de la patiente