La France a dû se plier aux exigences du CIO pour obtenir l’organisation des JO 2024. Cela se traduit par quelques adaptations législatives. Une loi passée en première lecture à l’Assemblée nationale à la veille de Noël autorise ainsi plusieurs dérogations en matière d’urbanisme et de publicité. Outre les panneaux 4×3 sur les bâtiments historiques, le texte prévoit de privatiser en faveur du CIO certains mots de la langue française…
Un cadeau empoisonné ? L’attribution de l’organisation des JO 2024 à Paris, fin 2017, a été suivie de nombreuses critiques de la part des détracteurs du projet, pointant principalement le coût de l’organisation. Ces critiques ont trouvé un nouvel écho quelques semaines plus tard, avec une proposition de loi, débattue par l’Assemblée nationale le 20 décembre, qui offre au CIO plusieurs dérogations par rapport au droit français. Le but étant de respecter le contrat passé entre la ville hôte et le CIO. “Ce texte déroge à certaines lois actuellement en vigueur, grâce au concours bienveillant de la représentation nationale”, a pointé la CGT. Outre des largesses en matière d’urbanisme et de publicité, le texte que l’Assemblée et le Sénat doivent valider les 14 et 15 mars, privatise certains mots de la langue française.
L’article 2 de la loi modifie ainsi le Code du sport en autorisant une expropriation sémantique de la langue française. En plus de l’hymne, la devise, le logo, etc., le Comité national olympique et sportif français est dépositaire des termes “jeux olympiques”, “olympique”, “olympiade”, “olympisme”, “olympien”, “olympienne”. Toute utilisation commerciale de ces mots sera donc proscrite. L’objectif : renforcer la propriété intellectuelle du CIO… et faire la part belle à ses généreux sponsors officiels. Que les fans de l’Olympique de Marseille et de l’Olympique lyonnais se rassurent : grâce à leur antériorité, les clubs pourront continuer d’exploiter leur nom. À condition de conserver leur nom entier. Un slogan mentionnant seulement le terme olympique ou olympien serait ainsi répréhensible.
Il y a cinq ans, pourtant, le législateur se montrait bien plus sévère à l’encontre du CIO, au moment de tirer le bilan des JO 2012, organisés à Londres, aux dépens de Paris. Un rapport sénatorial notait alors que “les règles de protection des marques fixées par le CIO apparaissent clairement excessives”. Citant l’écrivain britannique Jonathan Coe : “l’idéal olympique de sportivité et de fraternité entre les peuples percute de plein fouet la nouvelle éthique consumériste”. “Il apparaît en fait que l’idéal olympique semble bien oublié et que la tendance soit bien la suivante : de plus en plus de coûts pour les organisateurs et de plus en plus de recettes pour le Comité international olympique”, poursuit le rapport.
Du Trocadéro à Versailles, de la pub partout
Adaptation aux doléances du CIO également en matière publicitaire. Grâce à une dérogation au Code de l’environnement, les monuments historiques de la capitale, normalement protégés, pourront se parer des couleurs des sponsors officiels. Idem pour les “monuments naturels”, “sites classés” ou autres “immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque”. Une dérogation effective dans un périmètre de 500 mètres autour des sites olympiques, certes. Mais, des sites, il y en a une bonne dizaine dans la capitale et à ses portes. La publicité, les (télé)spectateurs en souperont donc du champ de Mars et de la tour Eiffel à Roland-Garros, en passant par les Champs-Élysées et l’Arc de Triomphe, les jardins du Trocadéro, le Grand Palais ou le château de Versailles.
“Il ne faudrait pas que Paris se transforme en Las Vegas ou en un écran géant de publicité qui dérangerait les habitants, avait prévenu le député LR de l’Oise Maxime Minot, en commission. Satisfaire à tout prix les annonceurs en faisant de Paris une vitrine de publicité n’est pas le bon moyen pour faire de cette fête un rassemblement populaire.” Michel Larive, député France Insoumise de l’Ariège, déplore encore “une pollution visuelle notoire avec des impacts certains sur la biodiversité et sur le paysage”.
Mais les propositions visant à réduire le rayonnage du périmètre à 250 ou 200 mètres ont été rejetées. “Les engagements pris devant le CIO et les finances du COJOP [Comité d’organisation pour les Jeux olympiques et paralympiques]”, priment pour la rapporteure LREM – et ex-handballeuse professionnelle – Aude Amadou. “Les organisateurs des Jeux prétendent mettre en œuvre un événement écologique et responsable ; nous proposons donc de les aider en ce sens”, ironise Michel Larive. Brigitte Kurster, élue de la 4e circonscription de la capitale, pointe quant à elle une ingérence dans les prérogatives de la mairie de Paris.
Expropriation, enquêtes publiques, litiges : la grande simplification
Pour s’affranchir de tout risque de retard dans les travaux d’infrastructure, le texte amendé par le Sénat prévoit aussi de simplifier les procédures. Notamment en matière d’accaparement des terrains nécessaires à leur réalisation. Le “Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique peut être appliqué en vue de la prise de possession immédiate des terrains, par le bénéficiaire de la déclaration d’utilité publique, de tous immeubles non bâtis ou bâtis dont l’acquisition est nécessaire à la réalisation du village olympique et paralympique”, dispose l’article 9. Outre cet ouvrage, situé en Seine-Saint-Denis, le pôle médias mais aussi l’ensemble des ouvrages “nécessaires aux compétitions des Jeux olympiques et paralympiques de 2024” bénéficieront de cette dérogation.
“Même si vouloir accélérer les procédures peut sembler légitime en pareil cas, il n’est pas admissible que cela se fasse à la hussarde, pointe la CGT. Efficacité ne rime pas forcément avec rapidité (…) il y a danger à procéder ainsi.” Cette impatience se répercute également sur les enquêtes publiques, qui seront effectuées par voie électronique. “Ce projet se veut le moyen de faciliter l’organisation des Jeux olympiques, il est en réalité porteur de graves négations des principes du droit”, dénonce le collectif “Non aux JO”.
Mais il n’y a aucune raison que cette soumission aux exigences du CIO ne se poursuive pas. Rappelons que la France s’est portée garante à hauteur de 1,2 milliard d’euros vis-à-vis du CIO et 93 millions vis-à-vis du COJO, en cas d’annulation totale ou partielle des Jeux. Autant dire que les infrastructures se feront, quoi qu’il en coûte en termes de législation.