À Metz ce jeudi soir, le lanceur d’alerte Karim Ben Ali et le journaliste Denis Robert ont témoigné de leurs combats après avoir mis en lumière des pratiques d’ordinaire confinées dans l’obscurité, le silence et l’opacité.
“Arcelor a pollué pendant des années. Maintenant, ils ont arrêté ces déversements sauvages.” Pour Karim Ben Ali, s’il y a une victoire, elle est amère. Confronté à des produits chimiques sans les protections nécessaires, l’ex-intérimaire (pour Suez Sanest) a perdu le goût et l’odorat. Après avoir contacté plus de 160 entreprises – et s’être vu offrir sur un plateau télévisé une formation par le chef cuisinier Thierry Marx en septembre 2019 –, Karim Ben Ali n’a toujours pas décroché un emploi, même en mission temporaire. Dans la région, il est blacklisté depuis qu’il a diffusé une vidéo montrant le déversement d’un camion entier de produits chimiques issus de l’aciérie de Florange. “Lorsque Emmanuel Macron dit qu’il faut traverser la rue pour trouver du boulot, pour moi c’est un désert qu’il faut traverser. On a pu me répondre que les patrons n’embauchent pas de balance. Et Arcelor, dans nos régions, c’est très important.”
Le père de famille est aussi victime de représailles : après s’être fait violemment agresser, il raconte s’être aperçu, une fois au volant, que les roues de sa voiture avaient été desserrées. L’histoire de Karim Ben Ali est “emblématique de la difficulté à témoigner dans ce pays, déplore Denis Robert. Dans son affaire, il y a un combat à mener pour la vérité”. Karim Ben Ali a été “déçu” par les syndicats, comme par l’État. “Quand j’entends le Gouvernement sur l’écologie, confie-t-il, je me dis qu’avant de gratter les gens au chômage, il faudrait gratter un peu les industriels qui polluent. En tant que chauffeur, j’en ai vu, des choses… Je roule depuis que j’ai 18 ans et j’en ai 37. Faire sagement le tri de sa poubelle chez soi ne sert à rien face à ce que font les industriels.”
À l’écoute de son témoignage, le journaliste Denis Robert retrouve un peu de sa situation au moment de l’affaire Clearstream, lorsque, accablé de procédures judiciaires, il a lui aussi traversé une période difficile pour avoir rendu publiques des informations censées rester dans l’ombre. “Malheureusement, le problème est le message envoyé : celui qu’il n’y a que des coups à prendre à dénoncer ce genre d’affaires”, dit-il. Première cause de ces scandales, selon lui : la puissance des multinationales face à l’absence d’une justice transnationale.
“Personne ne s’est levé pour dire stop”
Malgré le sacrifice de dix ans de sa vie, passés à se défendre en justice pour avoir écrit sur la banque des banques, Clearstream, Denis Robert est de retour avec un véritable polar financier autour du duo de milliardaires belge et canadien, Albert Frère et Paul Desmarais. Une enquête menée avec la journaliste financière Catherine Le Gall. “Les Prédateurs [titre de son livre], ce n’est pas la révélation d’un scandale, mais de plusieurs scandales et du mécanisme qui a permis à des sociétés détenues par deux milliardaires de se nourrir de l’argent des États. Albert Frère et Paul Desmarais, partis presque de rien, sont devenus de vrais requins de la finance. Ils travaillent à deux niveaux : le lobbying politique pour racheter Gaz de France, et leur besoin d’avoir des liquidités, notamment par la revente de la chaîne de hamburger Quick à la Caisse des dépôts et consignations, banque d’État française”, présente l’auteur.
En partant de la vente de Quick “à un moment de vacance du pouvoir”, les journalistes ne s’attendaient pas à ce que leur enquête les mène jusqu’au plus grand scandale de corruption du Brésil, l’affaire Petrobras, ainsi que sur le continent africain avec les mines d’uranium de la société Uramin, vendue à Areva. “Ce qui est incroyable dans ces affaires, souligne-t-il, c’est que personne ne s’est levé pour dire stop.” Alertée à plusieurs reprises à propos de la vente de Quick, la justice française ne s’est pas non plus saisie de l’affaire.