La Cour d’appel de Lyon décidera le 24 octobre si la loi Sapin 2 censée protéger les lanceurs d’alerte est applicable à la situation de Laura Pfeiffer, inspectrice du travail, qui avait révélé les pressions subies de la part de Tefal, avec le concours de son supérieur hiérarchique. Une grande première pour ce texte adopté en 2016, qui pourrait illustrer le manque d’ambition du Législateur, tant les critères prévus sont étroits et restrictifs.
“Un débat très, très juridique autour du statut du lanceur d’alerte”. Les aiguilles de l’horloge en pierre de la salle d’Agusseau ont déjà fait quelques tours depuis le début de l’audience, ce 12 septembre 2019, au palais de justice de Lyon, quand le ministère public se lève. Pour la première fois depuis son adoption en 2016, la loi Sapin 2 est amenée devant une cour d’appel, invoquée par un lanceur d’alerte condamné pour ses révélations.
Laura Pfeiffer, en l’occurrence, a été reconnue coupable de “recel d’atteinte au secret des correspondances” et de “violation du secret professionnel” par le tribunal correctionnel d’Annecy puis la cour d’appel de Chambéry. Elle a été condamnée à 3500 euros d’amendes avec sursis pour avoir transmis au Conseil national de l’inspection du travail (Cnit) et aux syndicats des documents et des échanges de mails devant prouver la collusion entre la direction départementale de l’inspection du travail et les dirigeants locaux de Tefal (lire ici). Mais la cour de cassation a annulé le jugement, selon le principe de la rétroactivité des lois pénales plus douces. Sapin 2 en l’occurence.
Collusion
Ce n’était donc pas de la réalité des pressions subies ou non par l’inspectrice du travail qu’avait à juger la cour. Non, ce n’est que le statut de lanceur d’alerte de Laura Pfeiffer qui fera le verdict, mis en délibéré au 24 octobre. Si la justice lui octroie ce statut, elle sera relaxée. Et tous les lanceurs d’alerte français pourraient s’appuyer sur une jurisprudence favorable. L’intersyndicale qui soutient l’inspectrice du travail aujourd’hui en fonction en Guadeloupe, avait d’ailleurs réuni plus de 200 personnes sur le parvis des 24 colonnes, pour marquer le coup.
Pourtant révéler des faits de collusion entre une entreprise, parmi les principaux employeurs locaux – le “phare économique de la ville”, dira Me Henri Leclerc défendant Laura Pfeiffer -, et la direction départementale de l’inspection du travail locale, ne garantit pas le statut de lanceur d’alerte à Laura Pfeiffer. On notera au passage que le parquet d’Annecy a classé sans suite les plaintes sur ces collusions. Et quand bien même l’information revêt un intérêt public évident, les critères de la loi Sapin sont bien plus restrictifs.
Victime et lanceur d’alerte
“Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance”, dit son article 6.
“Pour être désintéressé, le lanceur d’alerte ne doit donc pas être affecté par le trouble qu’il dénonce”, a plaidé Me Joseph Aguera, conseil de Tefal et plusieurs de ses cadres, partie civiles à l’audience. Ce qui reviendrait à disqualifier toute victime du statut de lanceur d’alerte. Ce caractère désintéressé, il faut donc l’entendre au sens financier du terme, rétorque plus tard Me Sophie Geistel, de l’autre côté de la barre, s’appuyant sur les arguments de l’avocat général près la cour de cassation. “Le principe d’indépendance d’inspecteur du travail est reconnu comme fondamental du droit du travail, poursuit l’avocate. Il y a un intérêt public a être informé d’un telle collusion entre industriel et haut fonctionnaires”.
Passé les diatribes répétées contre la presse et la “lessiveuse médiatique”, Me Aguera a plaidé le conflit personnel entre Laura Pfeiffer – “qui ne devient lanceuse d’alerte qu’en désespoir de cause”, attaque-t-il – et son supérieur Philippe D. Conflit justement né des pressions subies par l’inspectrice après sa remise en cause de l’accord sur les 35 heures de l’usine Tefal de Rumilly, répond la Défense. Reste que l’intérêt à dénoncer les pressions demeure intact pour Me Gestel. “Au bout de la troisième audience, je suis toujours admirative de vous entendre expliquer à quel point il est normal d’entraver les actions de l’inspectrice par tous les moyens”, ironise-t-elle.
Quelle jurisprudence pour les lanceurs d’alerte ?
Plus que le fond, ce sont donc les conditions du lancement de l’alerte qui ont été débattues. Notamment le respect de la procédure prévue par l’article 8. Ce dernier stipule que le signalement doit être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, dans un premier temps. Ce que n’a pas manqué de souligné la partie civile. Cependant en cas d’absence de réaction, “celui-ci est adressé à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels “, dit le texte. Or, Laura Pfeiffer a prévenu le Cnit, instance administrative où siègent des magistrats, ainsi que les syndicats, en l’absence d’ordre professionnel, comme l’a souligné la Défense.
Laura Pfeiffer s’est défendue d’avoir porté à la connaissance du public les éléments dont elle disposait et a assuré les avoir transmis uniquement au Cnit et aux syndicats face à la compromission de sa hiérarchie. “J’avais ma hiérarchie contre moi et la société qui complotait avec ma hiérarchie”. La quadragénaire le sait, le verdict rendu le 24 octobre donnera une indication claire à tous les lanceurs d’alerte français sur la portée de la loi Sapin 2, censée les protéger. C’est aussi pour cela qu’elle se bat.