Alors que la manifestation annuelle de l’Andeva a lieu ce 13 octobre, le manque d’informations quant à la présence d’amiante dans les écoles, révélée par Lyon Capitale en 2014, est toujours criant. Aucune cartographie des matériaux amiantés n’est disponible. Un déficit d’information qui met en danger les élèves comme les enseignants.
Des dizaines de millions de tonnes d’amiante sont encore contenues dans les bâtiments construits avant 1997. Parmi eux les écoles, collèges et lycées sont évidemment concernés. “Des milliers d’établissements scolaires contiennent toujours de l’amiante”, titrait cette semaine Basta Mag, citant l’enquête publiée par Lyon Capitale en 2014. Enquête qui révélait la présence d’amiante dans 80% des écoles lyonnaises.
Trois ans plus tard et alors que l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) organise ce vendredi sa mobilisation annuelle à Paris, rien n’a vraiment changé donc. L’amiante est toujours présent dans les établissements. Les pouvoirs publics tardent à entamer les travaux de désamiantage. Et les parents d’élèves, comme les enseignants, demeurent mal informés. Alors même que les enfants sont un public plus vulnérable et que des enseignants développent des maladies liées à l’amiante.
Des informations bien gardées
“Nous demandons depuis plusieurs années une cartographie et un état des lieux précis des bâtiments scolaires qui contiennent des matériaux amiantés”, raconte Liliana Moyano, présidente de la FCPE, au Lanceur. “Pourtant, les DTA [dossiers techniques amiante, NdlR], qui permettent de localiser les matériaux amiantés, de connaître leur état et de savoir si des travaux ont été demandés, sont censés être accessibles”, explique Alain Bobbio, de l’Andeva. Ces documents sont détenus par les propriétaires des bâtiments concernés. En l’occurrence, les villes, pour les écoles, et les conseils départementaux et régionaux, respectivement pour les collèges et les lycées.
Dans la pratique, les élus font dans la rétention d’information. “Nous avons de grande difficultés à obtenir les diagnostics, poursuit Liliana Moyano. Si bien que nous ne disposons pas aujourd’hui d’une cartographie fiable, hormis les remontées des militants de terrain, au coup par coup.” “Nous revendiquons la mise en application de la demande de Claude Got [responsable, désigné par le gouvernement, de la mission Amiante de 1998] de créer une cartographie nationale à laquelle tout nouvel élément serait agrégé, rappelle Serge Moulinneuf, de l’Andeva. Cela permettrait que l’ensemble des citoyens soit informé.” Alain Bobbio évoque l’idée d’un site Internet qui recenserait les bâtiments contenant des matériaux amiantés. Un outil d’accessibilité des données “comme pour la consultation du cadastre”, qui permettrait d’“ajouter un contrôle citoyenneté” aux contrôles institutionnels.
“Des enseignants meurent”
À ce déficit d’information s’ajoute un manque de volonté sur le désamiantage. “Il n’y a pas vraiment d’avancée, selon Alain Bobbio. Si certains décideurs se plient au principe de précaution et ferment les classes, voire les écoles, concernées, quelle que soit leur étiquette politique, ils restent minoritaires. La plupart sont dans le déni.” Déni alimenté, selon lui, par des “analyses biaisées”. “Dans certains cas, les analyses sont effectuées dans des conditions éloignées de la réalité, c’est-à-dire lorsque les élèves ne sont pas dans les classes. Or, lorsqu’ils sont présents, la dispersion des fibres d’amiante est beaucoup plus forte”, explique-t-il. La FCPE milite pour que l’Éducation nationale repense entièrement le bâti scolaire, sous le prisme de la transition écologique notamment. Mais, sur l’amiante, “aujourd’hui il n’y a pas de démarche globale”, indique sa présidente. Et pour cause : “Il n’y a aucune contrainte légale de faire enlever les éléments d’amiante non friable, insiste Serge Moulinneuf. Il s’agit d’actions volontaires des élus, ou liées à la pression de parents d’élèves.” “Le désamiantage ne devient un argument que lorsqu’il coïncide avec la volonté de revoir la carte scolaire, ironise Lilana Moyano. Dans les Ardennes, où je vis, cela a servi à supprimer plusieurs collèges.”
Pourtant, la dangerosité de l’exposition à l’amiante est avérée depuis longtemps. Notamment pour les enfants, “dont le système respiratoire est plus proche du sol et qui sont donc plus exposés à l’amiante contenu dans les dalles de sol [principal élément contenant des matériaux amiantés dans les écoles françaises]”, critique Serge Moulinneuf. Sans compter leur plus grande vulnérabilité. “Un enfant qui aurait été exposé dans les premières années de sa vie a malheureusement le risque, à long terme, de développer la maladie”, confiait ainsi le pneumologue Paul de Vuyst, spécialiste des maladies de l’amiante à l’hôpital Erasme de Bruxelles, à la RTBF en 2015.
La question concerne évidemment aussi les enseignants, “qui passent leur vie à l’école”, souligne Alain Bobbio. “Aujourd’hui, des enseignants meurent du mésothéliome [cancer de la plèvre]”, ajoute Serge Moulnineuf, cette maladie qu’il qualifie de “bête féroce des pathologies liées à l’amiante”. Le Syndicat national des enseignants du second degré (Snes) veut alerter sur ce risque, notamment à la lumière du cas de Claude Aufort. Enseignante retraitée, elle a développé un mésothéliome et a été reconnue comme victime de l’amiante et indemnisée par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva).
“D’autres collègues risquent d’être victimes de l’amiante dans les prochaines années”, prévient-elle. Comme le note Serge Moulinneuf, “pour développer le mésothéliome, il n’y a pas de seuil de durée ni de quantité d’exposition à l’amiante”. Les enseignants-chercheurs de Jussieu en savent quelque chose. Omniprésent sur le campus, le minerai aurait causé la mort de 45 enseignants et étudiants. Avec, à terme, une centaine de victimes possibles. Pourtant, en septembre, la cour d’appel de Paris a annulé les mises en examen dans ce dossier emblématique.