Un contrat signé en 2015 par les ministres Emmanuel Macron et Ségolène Royal avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes prévoit une augmentation des tarifs à partir de 2019 pour compenser le gel des prix décidé en 2015. L’actuel chef de l’Etat a tout fait pour tenir cet accord secret, mais le lanceur d’alerte grenoblois, Raymond Avrillier a réussi à obtenir sa publication après des années de combat administratif. Le document prévoit aussi l’allongement de la durée des concessions, pourtant décriées de toutes parts.
Raymond Avrillier n’est pas homme à lâcher prise face à l’administration. Après avoir révélé l’affaire des sondage de l’Elysée, l’ancien élu grenoblois s’attaque depuis plusieurs années à la rente concédée par l’Etat aux sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA). Il a déposé un recours, daté du 8 juillet 2019, contre la décision de prolonger les concessions. Décision prise en 2015 par la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, et le ministre de l’Economie… Emmanuel Macron. Un document public que le lanceur d’alerte a mis quatre ans à obtenir, au prix de recours juridiques en cascade. Emmanuel Macron en personne bloquant sa publication. Et pour cause, il aurait révélé une martingale particulièrement pernicieuse, et coûteuse, utilisée dans la communication des deux ministres.
Protocole d’accord entre l’Etat et les SCA by Le Lanceur on Scribd
Parmi les enseignement de ce documents, on apprend ainsi que la décision de geler les tarifs autoroutiers, annoncée en 2014 par Ségolène Royal, “pour rendre aux automobilistes un peu de justice et d’équité tarifaire”, et confirmée par Emmanuel Macron l’année suivante va en réalité faire gagner le pactole aux SCA. En effet, le protocole d’accord évoque “une compensation intégrale de l’absence de hausse tarifaire” par l’augmentation des tarifs entre 2019 et 2023. Particulièrement hypocrite de la part des deux ministres, alors que Ségolène Royal assurait que ce gel de 2015 se ferait “sans rattrapage pour l’année prochaine”. Les usagers apprécieront, les quatre prochaines années de rattrapage. “Cela représente 500 millions d’euros de surprofits !, explose Avrillier. L’intérêt d’une concession est de faire assumer le risque par le privé. Or là l’état et les usagers sont toujours perdants, et le privé toujours gagnant. Soit en augmentant les tarifs, soit en prolongeant la concession. Normalement les tarifs fixés dans le contrat et ne peuvent plus être changés”.
Macron en solo
Le protocole d’accord contient des faveurs en cascade pour les SCA. Parmi elles, une véritable assurance tout risque pour le privé. L’accord stipule que, sur le modèle de la compensation du gel de 2015, toute nouvelle taxe ou impôt concernant les SCA devra être compensée financièrement par l’Etat. Ou comment se lier les mains. Raymond Avrillier dénonce un favoritisme, d’autant plus irrégulier à ses yeux qu’au vu de leurs fonctions, ni Emmanuel Macron, ni Ségolène Royal n’étaient compétent sur ce sujet précis. “Les deux signataires, Emmanuel Macron et Ségolène Royal, n’ont pas la compétence pour engager l’état dans des dispositions fiscales, pointe-t-il. Cela aurait du passer par Michel Sapin, ministre des Finances”. Or, la signature de ce dernier n’apparaît pas au bas du document. Pas plus que celle d’Alain Vidalis d’ailleurs, pourtant ministre des Transports, qui a déclaré avoir refusé de signer cet accord comme l’a révélé France Inter dans son émission Secrets d’info (lire ici). Quant à Ségolène Royal, elle a réfuté, sur France 2, avoir signé le document, au bas duquel son paraphe est pourtant présent (lire ici).
Recours de Raymond Avrillier auprès du Premier ministre by Le Lanceur on Scribd
Tancé par les Gilets jaunes tout l’hiver sur une question des concessions autoroutières, mise à la proue de leurs revendications, Emmanuel Macron semble ainsi avoir manoeuvré en solo sur ce dossier. “L’analyse montre que ce contrat entre l’état et les sociétés autoroutières comporte des irrégularités, observe Raymond Avrillier. Au juge de dire si elles sont illégalités ou non”. Dans son recours du 8 juillet 2019, le lanceur d’alerte demande l’annulation du contrat au Premier ministre. Peu de chances que le patron de l’exécutif macronien accepte. Avrillier le sait et prévoit donc de nouvelles actions devant le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative. Un premier pour pour “excès de pouvoir en annulation des dispositions réglementaires” (sur les tarifs fixés par ce protocole) et un autre de “plein contentieux” (sur le contrat). Pour démontrer son intérêt à agir, il a conservé ses tickets d’autoroute.
Un document public bien difficile à consulter
Il aura fallu quatre ans à Raymond Avrillier pour avoir accès au protocole d’accord entre l’Etat et les SCA signé le 9 avril 2015. Le lanceur d’alerte en avait demandé la copie dès le 28 avril de la même année. Le sénateur centriste Hervé Maurey, pourtant membre de la commission du “développement durable, des infrastructures de l’équipement et de l’aménagement du territoire”, avait fait de même auprès de Manuel Valls, puis d’Emmanuel Macron. En vain. Et pour cause, l’ancien ministre de l’Economie avait tout intérêt à ne pas révéler ce qu’a réellement coûté le gel des tarifs de 2015. L’ex-banquier serait apparu bien mauvais négociateur.
Un avis favorable de la Cada et une décision du tribunal administratif en faveur de la publication du document n’ont donc pas suffit à le communiquer à Raymond Avrillier. “Il y a eu un pourvoi devant le Conseil d’Etat de la part d’Emmanuel Macron, alors ministre, pour obtenir l’annulation de la décision du TA de Paris”, explique l’ancien élu grenoblois. Le futur président de la République semble alors n’avoir vraiment pas envie que le contenu de ce contrat secret soit publié. Manque de chance, le conseil d’Etat l’a débouté de son pourvoi, donnant raison à Raymond Avrillier qui, après une énième relance auprès du ministère, a obtenu la communication du document… par la DGCCRF.
Rente
Le “protocole d’accord entre l’Etat et les SCA” prévoit l’allongement de la durée des concessions en échange de l’engagements des SCA à investir 3,2 milliards d’euros sur 10 ans. Avec une petite cerise sur le gâteau pour être parfaitement incitatif : l’augmentation des des tarifs de péage de 2019 à 2023. “Un accord très faible pour la défense des intérêts de l’État, a critiqué l’ancien secrétaire d’État aux transports, Alain Vidalies dans l’émission Secret d’Info, sur France Inter. Compte tenu du rapport de force créé par les parlementaires et l’opinion, à l’époque, la peur aurait dû changer de camp”. La concession de AREA a ainsi été repoussée de 2032 à 2036, dans la foulée, par un décret du 21 août 2015. Celle des APPR de 2032 à 2035.
Avec à la clé des surprofits importants pour les sociétés, alors que les investissement auront été amortis. APPR a en effet réalisé un chiffre d’affaire de 2,4 milliards d’euros en 2018. Un cadeau, une rente supplémentaire. “La rentabilité exceptionnelle des sociétés concessionnaires d’autoroutes “historiques” est assimilable à une rente, qui doit être davantage régulée”, soulignait d’ailleurs l’autorité de la concurrence en 2014 (lire ici). Dans l’absolu l’article 38 des contrats de concession prévoit la possibilité pour l’Etat de les dénoncer au nom de l’intérêt général. Mais il devrait alors indemniser ceux qui détiennent les concession. Un chèque évalué entre 20 et 50 milliards d’euros.
Marotte des Gilets jaunes
La crise des Gilets jaunes pourrait inciter le président à la réflexion sur ce dossier. La colère sociale a en effet mis la question de la vente et de la rente des autoroutes sur le devant de la scène. Alors que la question de la vente d’ADP est toujours sur la table. “Lorsqu’en 2015, j’ai engagé cette action j’avais eu des soutiens de gens avec qui j’étais par ailleurs en désaccord sur certains point, raconte Raymond Avrillier. Les usagers sont spoliés dans cette opération d’une part avec la privatisation par Villepin et d’autre part avec les tarifs qui offrent des surprofits aux sociétés concessionnaires. Ces soutiens se sont amplifiés au moment de la décision du conseil d’état de rejeter le pourvoi d’Emmanuel Macron avec les Gilets jaunes dont certains sont partis sur cette question.” L’ex-élu écologiste lit alors des débats intéressants, sur les réseaux sociaux notamment, des témoignages de citoyens pratiquant l’autoroute au quotidien, les premiers lésés. “Des gens qui racontaient avoir été licenciés puis avoir retrouvé du travail à 50 kilomètres d’un domicile qu’ils avaient acheté, si bien qu’ils contraints d’emprunter l’autoroute pour aller travailler, explique Raymond Avrillier au Lanceur.fr. Et que cette tarification des autoroutes représentaient pour eux une charge indue, pas prévue, qu’ils subissaient du fait de leur situation sociale”.
Privatisation des routes nationales ?
L’aberration financière de cette rente des concessions autoroutières a donc été prolongée par Emmanuel Macron, ministre. Pourtant les alertes étaient nombreuses, de la Cour des comptes (lire ici) à l’Assemblée nationale (lire ici) n passant par l’Autorité de la concurrence (lire ici). Le président ce cette dernière institution avait été on ne peut plus claire lors de son audition devant la commission des Finances de l’Assemblée (lire ici) le 17 septembre 2014 “L’État a une responsabilité historique, pointait Bruno Lasserre. S’il prolonge les concessions sans rebattre les cartes, ni reprendre la main dans les négociations, il perd le pouvoir pour très longtemps”. Qu’à cela ne tienne, le ministre Marcon fonce, pied au planché, derrière ses vitres fumées, sans un œil dans le rétro. La proposition de loi des sénateurs communistes, dont Guillaume Gontard, en Isère, et Cécile Cukierman, dans la Loire, pour la renationalisation des autoroutes (lire ici) a été balayé par la chambre haute. Pendant ce temps, les sociétés autoroutières ont entamé les démarchages en vue de l’obtention de concessions sur les routes nationales, comme le révèle une note de l’AFSA, datée d’avril 2014 et publiée par France Inter (lire ici). Une hypothèse envisagée par un amendement de la loi LOM. Sourd aux critiques qui jalonnent sa route Macron ne semble par prêt de lever le le pied.