Le Lanceur

Barclays fait amende honorable envers un lanceur d’alerte

Figure de la finance internationale, l’Américain Jes Staley s’est excusé devant le conseil d’administration de la banque pour avoir tenté d’identifier un lanceur d’alerte au sein du groupe. Dans un communiqué, Barclays a annoncé que le directeur général verrait prochainement apporter à sa rémunération un ajustement “très significatif”.

Le bonus de 1,3 million d’euros versé à Jes Staley en 2016 ne devrait pas être le même après l’ouverture d’une enquête à la banque Barclays par le gendarme financier du Royaume-Uni (FCA) et le régulateur bancaire (PRA). Son directeur général, l’Américain Jes Staley, est soupçonné d’avoir tenté de découvrir l’identité d’un lanceur d’alerte au sein du groupe.

En juin 2016, une lettre d’un salarié avait été adressée au conseil d’administration évoquant des soupçons de favoritisme dans le recrutement d’un cadre, suivie d’une lettre similaire envoyée à un cadre dirigeant. Dans les deux courriers, le rôle joué par Jes Staley dans ce recrutement était évoqué.

Parmi les lanceurs d’alerte sur le système bancaire international, la nouvelle est plutôt bien perçue. “Une enquête doit être ouverte de toute manière, peu importe s’il s’agit d’une petite alerte ou d’un grand scandale”, commente Rudolf Elmer, ex-commissaire aux comptes suisse, banquier pendant vingt ans au sein de la banque privée Julius Bär puis aux îles Caïman avant de tenir un rôle de lanceur d’alerte auprès de Wikileaks et de se trouver face aux tribunaux helvètes. “La Suisse ne peut pas se permettre d’avoir des lanceurs d’alerte dans la finance ou dans les anciennes industries : ce serait un désastre. Les alertes en Suisse ou en Europe, en général, sont plutôt rares, le mieux reste encore au Royaume-Uni pour le moment, mais ailleurs la protection des lanceurs d’alerte n’existe pas vraiment dans l’industrie privée”, poursuit-il.

Le Royaume-Uni continue ainsi de faire figure de bon élève en termes de protection des lanceurs d’alerte. En France, lors du vote de la loi dite Sapin II, Nicole Marie Meyer, responsable de l’alerte éthique pour l’ONG Transparency International, rappelait que la France rattrapait un retard avec l’adoption d’un statut général du lanceur d’alerte, “que les Anglais ont mis en place dès 1998”.

Honest mistake”

 

Suite à la réception des deux courriers d’alerte au sein de la banque Barclays, Jes Staley aurait demandé aux services informatiques de “faire le nécessaire” pour retrouver l’auteur de la lettre. “La stratégie classique qui consiste à trouver qui est le lanceur d’alerte ne vise pas forcément la personne elle-même, mais peut permettre de stopper l’alerte. Il s’agit aussi d’identifier la source pour trouver des arguments pour dire ensuite que ce que dénonce le lanceur d’alerte constitue de fausses allégations”, explique Rudolf Elmer, qui ne manque pas de rire face à ce que la banque considère comme une “erreur involontaire”, honest mistake en anglais. En effet, le salarié à l’origine de la lettre a entretemps obtenu le statut de lanceur d’alerte et Jes Staley, selon la banque, ignorait que la loi britannique interdit le fait de vouloir retrouver l’identité d’un lanceur d’alerte.

Certaines enquêtes ne vont jamais jusqu’au tribunal, pour protéger un système qui produit des emplois et de l’argent”

 

Dans son communiqué, Barclays, qui a essuyé il y a quelques années un scandale de manipulation des taux interbancaires du Libor (London Interbank Offered Rate), indique qu’une fois l’enquête de la FCA et de la PRA terminée, le montant de la pénalité financière infligée à Jes Staley serait donné. Le directeur général aurait déjà reçu un blâme de son employeur ; quant au lanceur d’alerte, il n’a pas pu être identifié.

Si l’ouverture de cette enquête a permis à la banque de communiquer en faveur de la protection des lanceurs d’alerte, Rudolf Elmer émet quelques doutes sur cette volonté affichée de transparence car la présente alerte ne pointe pas un problème systémique de la banque mais un comportement particulier. “J’ai appris qu’en pratique les enquêtes peuvent dépendre de l’alerte elle-même, notamment si elles pointent un problème systémique au sein des banques, des pratiques qui ne sont pas acceptables au niveau de l’éthique, ou pire, au niveau de la loi. Nous savons que beaucoup de pratiques sont dissimulées de manière parfois criminelle, avec une énorme pression sur les employés. Certaines enquêtes ne vont jamais jusqu’au tribunal, pour protéger un système qui produit des emplois et de l’argent. Lorsque ce sont des affaires d’argent, pour être tout à fait honnête, le problème de mon point de vue de banquier est une devise assez répandue : Tout est autorisé pour faire de l’argent, à condition de ne pas se faire attraper.”

 

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