Le jour même où le parlement européen vote la directive “secret des affaires” et juste après l’escroquerie Numéro 23, chaîne TNT fantôme tombée dans l’escarcelle de l’homme sans frontières Patrick Drahi, voila que Patrick Bloche, député socialiste hélas méconnu du grand public, donne une interview au Point et détaille sa future proposition de loi sur “la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias”. Fichtre ! C’est quoi ça ?
En France, dès qu’on rencontre un problème, on bricole une loi au titre bien ronflant. Qu’elle soit appliquée ou applicable, que les décrets soient publiés ou non, qu’elle arrive après la bataille, là n’est pas la question. Il faut montrer à l’opinion qu’on s’agite, qu’on réagit, qu’on ne reste pas les bras croisés. Ainsi, face aux concentrations dans les médias, dont plus personne ne sait précisément qui les contrôle en bout de chaîne, entre holdings au Panama et sociétés-écrans à Guernesey, notre élu a eu l’idée de réinventer le fil franco-français à couper le beurre. Vous pensiez que la légiférante aiguë était une maladie sarkozyste ? Que nenni ! Les socialistes ne sont pas en reste, qui y ajoutent une logorrhée chronique, mélange de résignation “libérale” et de grandiloquence “progressiste”.
Patrick Bloche est à ce titre un archétype parfait. Tout ce qui se passe, c’est bien sûr “la faute aux autres”, à pas de chance ou encore aux gouvernements précédents, qui ont “déstabilisé durablement l’audiovisuel public”, jure le député, qui ajoute : “Avec ce nouveau texte, nous voulons qu’on puisse dire à la fin du quinquennat de François Hollande que les médias sont plus indépendants et que la liberté et le pluralisme ont progressé.” Il était temps de se réveiller…
Car les concentrations – de Bolloré à Drahi- ont déjà eu lieu ! Qu’à cela ne tienne : M. Bloche se concentre à son tour et dégaine une loi qui va enfin permettre de “compléter le dispositif sur les médias en prenant en compte la recomposition du paysage médiatique”. Résumons-nous : a) Les médias se concentrent, dans des conditions parfois plus que douteuses et au mépris de toutes les lois, conditions que nous avons-nous-même dénoncées sans relâche depuis 2011. b) La représentation nationale assiste passivement au spectacle et organise tout au plus colloques et comités Théodule pour dénoncer les méchants patrons trop riches c) Quand le train est bien passé, M. Bloche réfléchit et élabore une loi pour empêcher les trains de passer… Tradition typiquement française, qui nécessite un certain brio et une sacrée dose d’hypocrisie, il faut en convenir.
C’est comment qu’on freine ?
Dans cette interview digne de Bouvard et Pécuchet -que ne renierait pas non plus Raphaël Mezrahi et qu’on devrait lire et relire les jours de déprime !- le député a des fulgurances magnifiques. Ainsi : “C’est bien d’avoir des principes, mais comment fait-on concrètement ? Nous ne voulons pas revoir les dispositifs et rebuter les investisseurs”, affirme-t-il, tout penaud. Il est vrai que s’il ne sait pas comment procéder “concrètement” à l’instant “t”, on ne peut que lui conseiller de continuer à constater les dégâts a posteriori.
Puis il se fait tout miel et déroule le tapis rouge au duo Drahi-Weill, après avoir fait mine de s’étrangler en commission des Affaires culturelles à l’Assemblée nationale le 6 avril dernier, à l’occasion du revirement du Conseil d’Etat sur l’affaire Numéro 23 : “Pour qu’il y ait pluralisme, il faut des investisseurs, poursuit-il. Par exemple, Patrick Drahi, après son accord avec Alain Weill, possède un peu de tout : presse écrite (L’Express, Libération…), télévision (BFM TV, RMC Découverte), radio (RMC, BFM Business) et aussi télécoms avec SFR-Numéricable. On ne va pas faire de comptes d’épiciers. On ne va pas lui dire “Vous ne pouvez pas posséder plus de tant de quotidiens ou chaînes de télévision”.”
Ben non. On ne va surtout pas lui dire ça. Ne comptez pas sur nous en tout cas. On ne va pas non plus faire de comptes d’épiciers. Tout est parfaitement clair désormais. Si les Français l’avaient su avant, c’eût été encore plus clair – eux qui avaient compris que les socialistes luttaient ardemment contre “la BFMisation des esprits” et la finance, “l’ennemi sans visage”.
Emporté par sa fougue, Patrick Bloche, qui siège (entre autres) aux côtés de Pascal Houzelot (Numéro 23), Matthieu Pigasse (Le Monde) et Mathieu Gallet (Radio France) au conseil d’administration du Châtelet, veut aussi légiférer parce que, quand même, “l’affaire Panama Papers montre l’importance de la protection des sources”, dit-il sans sourciller, alors même que la France a refusé le droit d’asile à Edward Snowden, le lanceur d’alerte qui avait révélé au monde entier les détails de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques.
Tous ensemble, tous ensemble ! Ouais ! Ouais !
Mais le meilleur arrive. Grâce à M. Bloche, le journaliste mécontent de son patron pourra bientôt user de son nouveau “droit d’opposition”. La clause de conscience ? À la poubelle ! Demain, avec la loi sur “la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias”, le salarié va pouvoir parler d’égal à égal avec Bolloré et lui dire, les yeux dans les yeux : “Vincent, tu vois, je te le dis comme je le pense, le conflit récent a moins porté sur le contenu éditorial d’ I>Télé que sur la programmation d’un certain nombre de magazines d’investigation sur Canal+. Là franchement tu déconnes et si ça continue faudra que ça cesse parce que je te traînerai aux prud’hommes. Et puis j’aime pas trop ton air supérieur et sûr de toi.”
Dans cette loi magnifique, que nous sommes avides d’appliquer, ce sera chouette, on pourra enfin créer des “comités de diversité comme chez NextRadioTV”, ou encore “un comité d’éthique comme chez Canal”, avec, en prime “un cadre législatif” qui portera “le nom de comité pour l’indépendance et le pluralisme des médias”. Ces comités seront “mis en place par les directions et devront exister dans tous les médias écrits ou audiovisuels”, nous promet le député… Vite, c’est où qu’on signe ?
Enfin, M. Bloche compare les journalistes et les politiques et ne trouve pas ça franchement terrible. Il explique qu’en France les premiers “s’en sortent à peine mieux” que les seconds, “avec un pourcentage de confiance aux alentours d’un tiers”. Avant de conclure : “Nous espérons bien que ce texte redonne confiance à nos concitoyens dans les médias, car c’est un élément essentiel du pacte démocratique.” Dans les médias, c’est difficile à dire. Mais dans la classe politique, après avoir lu Le Point, c’est certain. Avec Bloche, le changement, c’est après.