La femme de l’homme d’affaires a été condamnée pour simulation frauduleuse début février par le TGI de Paris. Une opération de dissimulation ayant pour but d’échapper à une dette de plusieurs dizaines de millions d’euros des époux envers différents services des impôts. Au cœur du contentieux, une histoire rocambolesque d’acquisition, à Neuilly-sur-Seine, d’un hôtel particulier appartenant à un noble anglais, ex-PDG de L’Oréal, et loué à un joueur du PSG.
Avec le printemps 2018, le butin du clan Tapie pourrait bien fondre comme neige au soleil. Alors que l’invraisemblable plan d’étalement sur six ans du remboursement des 404 millions du Crédit Lyonnais est actuellement réétudié par la justice – la décision a été mise en délibéré au 10 avril –, c’est désormais le fisc qui rattrape les époux Tapie. Et pour un contentieux conséquent. Dominique Tapie, la femme de l’ex-propriétaire de l’OM, a été condamnée le 5 février pour simulation frauduleuse. En cause, l’achat d’un bien immobilier d’une valeur de 15 millions d’euros par une société détenue à 99% par Dominique Tapie. Société qui n’a servi que de “prête-nom” dans le but d’échapper aux créances fiscales du couple, selon le jugement du TGI de Paris, dont Le Lanceur s’est procuré une copie.
En 2012, la SNC Dolol rachète à un noble anglais, ex-PDG de L’Oréal, un hôtel particulier situé à Neuilly-sur-Seine, en bordure du bois de Boulogne, pour 15,2 millions d’euros. Cette société est la propriété de Dominique Tapie à 99%, les parts restantes appartenant à son fils, Laurent Tapie. Mais, pour le service des impôts du 6e arrondissement, à qui Dominique Tapie doit 2,6 millions d’euros, et celui du 7e arrondissement, à qui elle doit 12,9 millions, cet achat via la SNC représente une simulation frauduleuse. “Les demandeurs soutiennent que Mme Tapie a acquis le bien litigieux sous couvert de la société Dolol, société écran, afin de faire échapper son patrimoine immobilier aux actions en recouvrement de ses créanciers”, écrit le TGI de Paris dans l’exposé des motifs du jugement. Des créances devant lesquelles le couple est solidaire et qui datent du début des années 1990, alors que Bernard Tapie était perçu comme un as de la finance. Reste que cette situation financière, très probablement connue en haut lieu, n’a pas empêché l’homme d’affaires d’entrer au gouvernement en 1992.
Une société “prête-nom”
L’opération aurait eu pour but d’échapper à une incroyable dette fiscale. Pour le fisc, l’achat aurait dû être effectué au nom de Mme Tapie, qui doit aussi 13,7 millions d’euros au fisc au titre de l’ISF et de l’impôt sur le revenu – soit une dette totale et solidaire avec son époux de 29,2 millions d’euros. Pour les services des impôts, la SNC a agi comme un “prête-nom”. De son côté, Dominique Tapie fait valoir qu’il n’y avait “aucune volonté de dissimulation” de sa part puisque les créances fiscales évoquées “ont été rejetées par le juge commissaire du tribunal de commerce de Paris, par un jugement du 20 octobre 2009”. Elle précise avoir déposé deux réclamations contentieuses auprès des services des impôts des 6e et 7e arrondissements.
Le jugement assure néanmoins que la société Dolol s’est “substituée” à Mme Tapie pour l’achat de l’hôtel particulier. Pour preuve, c’est bien le nom de Dominique Tapie qui apparaissait sur l’acte notarié de promesse de vente. Dominique Tapie, qui a mis en garantie du prêt de 16 millions d’euros contracté par la SNC Dolol pour l’achat du bien deux assurances-vie à son nom. De ce prêt, elle a en outre remboursé de sa poche l’intégralité des échéances de la première année. L’épouse de l’ex-ministre de la Ville effectuait des virements depuis son compte personnel juste avant ou après les prélèvements, précise le jugement du TGI. À partir de 2013, l’immeuble est loué par un joueur du PSG, mais le loyer, de 23.000 euros mensuels, ne couvre pas l’intégralité du montant des échéances, et les virements de Dominique Tapie continuent d’affluer sur les comptes de la SNC.
Simulation frauduleuse
Autant d’indices qui tendent à prouver que le véritable propriétaire du 21/23 rue du Bois-de-Boulogne à Neuilly n’est autre que Dominique Tapie. Dernier élément à charge, ces factures Veolia directement libellées au nom de Mme Tapie entre décembre 2012 et janvier 2013. Le TGI estime ainsi la preuve apportée aux accusations des services des impôts, à savoir que, “nonobstant cette acquisition apparente, le bien litigieux a en réalité été financé par Mme Tapie et que cette dernière a eu la volonté de créer la confusion sur le véritable propriétaire afin de le faire échapper au gage des créanciers”.
Le TGI de Paris a donc donné raison aux services des impôts. “La simulation, destinée à masquer l’identité du véritable propriétaire du bien immobilier, apparaît caractérisée”, peut-on lire dans le jugement, qui souligne “l’imbrication totale des éléments d’actif et de passif de la personne morale et de son associée majoritaire, qui se comporte comme la véritable propriétaire de l’immeuble”. Il est impossible de “distinguer son patrimoine propre de celui de la personne morale”, ajoute le jugement. Et “l’existence d’une dette fiscale importante préexistant à l’acquisition du bien litigieux” d’achever la démonstration. Dominique Tapie est ainsi condamnée à réintégrer l’hôtel particulier de Neuilly dans son patrimoine personnel. Elle a fait appel de cette décision.
Quid des 404 millions ?
Effet domino, la réintégration de ce bien au patrimoine de Mme Tapie pourrait avoir un impact sur la fameuse affaire qui oppose son mari au Crédit Lyonnais, puis au CDR, depuis des décennies. Alors que l’homme d’affaires, aujourd’hui gravement malade, a été définitivement condamné en mai 2017 à rembourser les 404 millions d’euros qui lui ont été versés au terme d’un arbitrage frauduleux, il a obtenu l’étalement du remboursement sur six ans. Un accord inouï – et contesté – qui fait l’objet d’une procédure en appel dont la décision sera connue le 10 avril.
Or, ce plan de remboursement basé sur un audit des avoirs du clan Tapie, effectué par un cabinet choisi et ami, est censé être adossé à de solides garanties financières. Garanties parmi lesquelles figurent la SNC Dolol et ses avoirs. Problème, la société va se retrouver amputée, par la décision du 5 février, de 15 millions de patrimoine immobilier. De quoi fragiliser un plan déjà bancal. La SNC Dolol qui, comme la société GBT de Tapie, fait l’objet d’une procédure de sauvegarde risque d’exploser en vol avec la réintégration de son principal avoir au patrimoine de Dominique Tapie. Il faudrait donc que l’épouse de Bernard Tapie se porte caution en son nom du plan de remboursement, via la mise en gage de l’hôtel de Neuilly. Or, cet immeuble est également convoité par les services des impôts.