Les “milliards du roi”, Libexit ou méga-contrat DONAS pour Don Arabie Saoudite. Toute une série de termes pour qualifier un contrat de livraison d’armement français aux conséquences diplomatiques et économiques encore largement incertaines.
Des véhicules de l’avant blindé, des missiles, des hélicoptères, des patrouilleurs et autres systèmes d’artillerie français du contrat DONAS se retrouveront-ils entre les mains de l’armée saoudienne pour sa propre guerre régionale au Yémen ? C’est ce qu’il semble se profiler depuis le retournement de veste du royaume wahhabite en février dernier. Discuté pendant un an avant d’être signé officiellement en novembre 2014, le contrat d’armement tripartite avait tout pour séduire les industriels et les politiques français : l’Hexagone modernisait et augmentait l’équipement militaire des forces armées libanaises pour contenir les menaces islamistes (Daech et le Front Al-Nosra) et la facture de 2,4 milliards d’euros revenait dans les poches de la France, gracieusement payée par l’Arabie saoudite.
De quoi réjouir les principales entreprises françaises d’armement mais aussi les politiques avec un combo : emplois, bénéfices et rayonnement de l’industrie militaire sur fond de lutte antiterroriste et d’aide à un allié dans la tourmente, le Liban. La première livraison a lieu en avril 2015 à Beyrouth avec 48 missiles Milan. La prochaine livraison devait s’effectuer au printemps prochain. 20 % du montant de la facture aurait déjà été réglé à la France, difficile désormais de ne pas honorer les commandes réglées ou de s’asseoir sur le reste du matériel à vendre : 250 véhicules de combat et de transport, 3 navires de combat corvettes, 24 camions d’artillerie, des drones ainsi que différents matériels de surveillance des frontières et de communication. Des contrats à propos desquels le Parlement français, contrairement à d’autres pays européens, n’est absolument pas associé.
Punir le Liban, mais pas les entreprises françaises
Coup de théâtre le 19 février dernier, l’Arabie saoudite suspend le contrat DONAS, supposé s’échelonner encore sur quatre ans. Le ministre des Affaires étrangères met en cause une “mainmise du Hezbollah [chiite] sur l’État libanais”. Un coup dur pour les industriels français. Selon les estimations de Kepler Chevreux, Thalès pourrait à lui seul perdre 500 millions d’euros si le contrat était annulé aujourd’hui. L’annonce fait l’effet d’une bombe dans les relations entre le Liban et l’Arabie saoudite. Après avoir laissé mariner l’affaire pendant quelques semaines, le ministre des Affaires étrangères saoudien prend à cœur de rassurer ses partenaires français au début du mois de mars. Non, les entreprises françaises ne seront pas pénalisées, les commandes seront tout simplement livrées… à l’armée saoudienne. Bien plus engagée dans sa guerre régionale contre les rebelles chiites au Yémen que dans la lutte effective contre Daech, le royaume place encore un peu plus la France dans une position déjà clairement et ouvertement pro-sunnite. Les contrats juteux ont de plus en plus raison sur une éventuelle et hypothétique indépendance diplomatique de la France dans un conflit historique entre sunnites et chiites, a priori propre au monde musulman.
Vers une atteinte au droit international
Si la France livre effectivement une partie du contrat DONAS à l’armée saoudienne pour éviter un cataclysme au sein de son industrie militaire, elle pourrait se trouver en position de violation du droit international. Depuis l’adoption du Traité de commerce des armes (TCA) – que la France fut l’un des premiers pays à ratifier – le droit international interdit aux pays signataires le transfert d’armes qui pourraient servir à commettre des violations graves des Conventions de Genève comme des attaques dirigées contre des civils ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux. Et, depuis le début de l’engagement de l’Arabie saoudite dans le cadre d’une coalition au Yémen, les accusations de violations de ce type sont nombreuses et émanent notamment du Parlement européen, d’Amnesty International ou de Médecins sans frontières. Ces atteintes ont même été confirmées par un panel d’experts de l’ONU saisi sur ces questions. Par sa décision, l’Arabie saoudite a transformé le contrat DONAS en véritable plaie pour la France, qui devra très rapidement trouver une solution en accord avec le droit international, sans froisser ses précieux amis saoudiens ni les puissants industriels français…