Alors qu’en France des militants se battent pour que soient publiées les mesures du rayonnement électromagnétique de nos téléphones portables, outre-Atlantique la justice californienne a imposé au ministère de la Santé de publier les informations dont il dispose au sujet de la dangerosité de ces ondes. Des informations dont cette institution, a priori garante de la santé publique, dispose pourtant depuis de nombreuses années.
La cour suprême de Sacramento a statué début mars. Le ministère de la Santé californien devra publier ses conclusions en matière de danger des ondes émises par les téléphones portables. Logique, semble-t-il, pour une institution ayant vocation à protéger la santé publique. Or ces données sont gardées secrètes depuis 2010. Elles confirment pourtant les risques pour la santé engendrés par les champs électromagnétiques qu’émettent les téléphones portables. Une situation qui rappelle celle de la France, où les lanceurs d’alerte Marc Arazi et Fabienne Ausserre demandent la publication des mesures de ces émissions.
L’Agence nationale des fréquences radio (ANFR) détient un document dans lequel sont compilés les résultats des tests effectués sur 95 modèles. Mais pour l’heure ces données ne sont pas accessibles. Une situation qui pourrait changer. Après avoir reçu un avis favorable de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) à leur demande de publication du rapport, les deux lanceurs d’alerte ont saisi le tribunal administratif. L’audience a été fixée au 19 avril.
Rétention d’information
Les informations du ministère de la Santé californien s’appuient sur de nombreuses études suggérant que “l’utilisation à long terme de téléphones cellulaires peut augmenter le risque de cancer du cerveau et d’autres problèmes de santé”, écrivait le San Francisco Chronicles début mars. Les données du ministère stipulent qu’il est conseillé aux utilisateurs de garder les appareils loin du corps, de passer des appels courts, si possible, sinon d’utiliser le haut-parleur ou des écouteurs. Pas franchement rassurant. C’est pourquoi le département de la Santé voulait conserver ces informations secrètes, afin d’éviter une “panique inutile”, selon ses propres termes. “Cela aurait peut-être sauvé quelques vies si ces directives avaient été publiées il y a sept ans”, a commenté Joël Moskowitz, chercheur à l’université de Berkeley. “Il y a une incroyable synchronicité, nous sommes dans les mêmes problèmes de manque de transparence”, remarque Marc Arazi.
Le système est obsolète parce qu’il teste quelque chose qui n’est pas pertinent au regard de la manière dont nous utilisons nos téléphones”
Notons au passage que, si les mesures concernant le rayonnement donnent des résultats conformes aux normes en vigueur, ils sont caducs, car effectués dans des conditions éloignées de celles d’utilisation. À au moins 5 millimètres de la peau, quand la majorité des personnes utilisent et conservent leur téléphone à une distance plus faible, si ce n’est au contact de la peau. Sans compter qu’aux États-Unis ce sont les constructeurs eux-mêmes qui fixent la distance à laquelle la mesure doit être effectuée. Samsung, par exemple, demande de mesurer le rayonnement de son Galaxy 7 à 1,5 cm. Alors certes, les constructeurs respectent les règles du jeu qu’ils fixent, mais celles-ci n’ont aucune valeur puisqu’elles ne reflètent pas la réalité d’usage.
Dans les conditions d’utilisation, la limite est “fortement dépassée”, explique l’enquête de la journaliste canadienne Wendy Mesley, spécialiste de ces questions depuis vingt ans. Pour elle, “le système est obsolète parce qu’il teste quelque chose qui n’est pas pertinent au regard de la manière dont nous utilisons nos téléphones”.
Un texte caché au fond de l’iPhone
L’enquête de Wendy Mesley illustre l’hypocrisie des pouvoirs publics, qu’ils soient nord-américains ou français. Elle explique notamment que, si les constructeurs doivent informer les utilisateurs des risques potentiels des appareils, très peu de personnes ont accès à ces informations. Elles sont en réalité cachées dans les téléphones, dans un texte peu accessible et mal indiqué en termes de chemin. Si bien que 81% des personnes interrogées n’avaient aucune idée de l’existence de recommandations concernant la distance d’utilisation. Dans ce texte caché, on apprend que l’iPhone, par exemple, doit être transporté “à au moins 5 millimètres de votre corps pour s’assurer que les niveaux d’exposition restent au niveau ou en dessous des niveaux testés”. Preuve du manque d’information, 67% des personnes interrogées ont dit utiliser leur téléphone directement contre le corps.
81% des personnes interrogées n’avaient aucune idée de l’existence de recommandations concernant la distance d’utilisation
Éclairant quant à la puissance de l’industrie de la téléphonie. Laquelle tente de peser de tout son poids pour éviter que ne soient divulguées des informations susceptibles de refroidir un consommateur si prompt à acquérir les éternels “nouveaux modèles”. “Ils sont à la recherche de toutes les excuses possibles pour maintenir le statu quo”, confie un ancien directeur de Microsoft Canada. À Berkeley et San Francisco, par exemple, l’industrie de la téléphonie a lutté contre la volonté municipale de mettre en place un affichage dans les magasins de téléphonie stipulant les dangers potentiels des produits. San Francisco a craqué, Berkeley non. Si bien que, depuis 2014, des écriteaux sont installés sur les comptoirs des boutiques.
Mais, en matière de téléphonie, les organismes de santé publique nord-américains n’ont pas le monopole de la rétention d’information. En France, l’ANFR refuse de communiquer les résultats de mesures effectuées sur 95 téléphones au contact de la peau. Dans les conditions réelles d’utilisation, donc. Pourtant, 89% des modèles testés sur ce mode opératoire avaient un rayonnement supérieur aux normes françaises.