Depuis un an et demi, Philippe Pascot et trois autres citoyens ont rassemblé une “véritable armée” pour qu’une loi oblige les candidats aux élections à présenter un casier judiciaire vierge, à l’image de 396 autres métiers en France. Le 1er février, cette loi a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale : une “victoire du peuple sur les élus” pour cet ancien adjoint au maire d’Évry.
“Il ne faut pas oublier que les élus sont nos employés, les employeurs, c’est nous !” Chapeau vissé sur la tête, Philippe Pascot, ex-adjoint au maire d’Évry, a déclaré la guerre aux élus en prise avec la justice. “Je ne tape pas sur la droite, je ne tape pas sur la gauche, je tape sur le système. Je veux juste que la loi soit la même pour tout le monde et que les lois ne soient pas différentes pour les élus et ceux qu’ils sont censés représenter”, explique-t-il. Dans trois ouvrages successifs, Philippe Pascot rappellera les noms de 1.200 élus qui ont été pris “les doigts dans la confiture”. “Aujourd’hui, lorsqu’un élu est condamné, sa fonction constitue plutôt une circonstance atténuante et je constate qu’ils sont beaucoup moins condamnés que le citoyen lambda. Pourtant, un élu qui profite de sa fonction pour tricher, détourner de l’argent ou harceler des femmes, cela devrait selon moi être une circonstance aggravante : le boulot d’un élu, c’est d’être exemplaire.”
Il y a un peu plus d’un an, Philippe Pascot s’associait à Xavier Jandot, dit Danjou, professeur à Lyon, Yannick Talhouët, contrôleur de projet sur des plateformes pétrolières au Congo, et Jean Bolt, retraité à Paris. Tous les quatre, ils décident de mobiliser les citoyens, en particulier sur Internet, pour pousser les députés à mettre sur la table le projet de loi visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection. “Lors de ma première émission sur le sujet, j’ai réalisé que les gens pensaient que c’était déjà le cas, que les candidats aux élections législatives, sénatoriales, municipales ou régionales devaient présenter leurs casiers, comme tous les candidats à un concours de la fonction publique. Un certain fatalisme a ensuite pu prendre le dessus: on me disait que ça ne servait à rien, que tous les élus sont pourris et que les députés ne voteraient jamais cela pour ne pas se tirer une balle dans le pied. Pour moi, c’est le contraire, cette loi peut redonner de la moralisation à la politique.”
“La démocratie est aussi basée sur un rapport de force”
En effet, l’accueil des députés sur ce projet de loi n’est pas des plus chaleureux. Sur les 577 élus de l’Assemblée, seule une poignée tend la main dès le départ et soutient cette revendication : Isabelle Attard, Eva Sas, Olivier Falorni, Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan. “Certains ont accepté de faire des photos avec un panneau entre les mains en disant qu’ils étaient pour cette loi et ces photos ont fait le buzz sur Internet. À partir du moment où l’on a répandu cette thématique sur les réseaux sociaux, des citoyens ont commencé à interpeller les élus dans les réunions et dans la rue, en leur demandant s’ils étaient pour ou contre l’obligation d’un casier judiciaire vierge pour se présenter à une élection. Certains ne répondaient pas et partaient en courant. Plus je remontais en haut de la pyramide pour rencontrer des élus, que ce soit à gauche ou à droite, certains étaient complètement contre, soit parce qu’ils étaient déjà mis en examen dans une affaire, soit parce qu’ils pensaient qu’ils pourraient l’être un jour. Mais, au fur et à mesure, de nombreux élus étaient obligés de dire qu’ils étaient pour. Quand vous demandez s’il est normal que pour travailler dans une mairie il faille un casier vierge mais que ce n’est pas obligatoire pour diriger cette même mairie, l’argument est imparable. D’une manière ou d’une autre, ils ont été obligés de céder”, indique Philippe Pascot.
C’est d’ailleurs après avoir été interpellée dans des réunions à propos de la pétition en ligne lancée par Philippe Pascot et ses collègues que la députée de l’Hérault Fanny Dombre-Coste deviendra rapporteuse de cette loi. En parallèle, sur Internet, des centaines de courriels sont envoyés chaque semaine à certains députés pour qu’ils réagissent sur le sujet et s’en emparent. “J’ai monté un petite armée de 400.000 personnes sur les réseaux sociaux, et nous allons rester très vigilants sur l’examen de cette loi par le Sénat.”
Si Philippe Pascot regrette d’avoir à en arriver là en démocratie, il rappelle que cette dernière est aussi un combat, un rapport de force : “Il ne faut pas croire que la démocratie est uniquement basée sur la conscience des gens, c’est un rapport de force, un combat de tous les jours. Il y a toujours des personnes qui sont là pour étouffer la démocratie, donc il faut la défendre. Il ne faut pas oublier qu’Hitler a été élu et donc que la démocratie peut engendrer la dictature. Les gens se servent de la démocratie pour installer la dictature si l’on ne fait pas attention, donc c’est vraiment un combat.”
“Les élus ont fait traîner les choses, ils ne sont pas fous !”
Si cette loi ne s’appliquera sans doute pas dès les prochaines élections législatives, c’est bien parce que le texte a été déposé sur le tard et doit désormais être examiné par les sénateurs, qui seront eux aussi concernés par le casier judiciaire vierge. “Comme les campagnes ont commencé, les règles ne peuvent pas être changées en cours de route, il aurait fallu pour cela déposer la loi il y a six mois. Les élus ont fait traîner les choses, ils ne sont pas fous. Comme d’habitude, ils cèdent, mais à reculons. Dans la loi, un article implique que, si un élu est condamné par la justice pendant son mandat, il est déchu automatiquement. Mais l’important, c’est qu’il vaut mieux empêcher les élus condamnés par la justice de se présenter que de les obliger à démissionner. La politique n’aime pas le vide, donc à partir du moment où un élu ne pourra pas se présenter à une élection pendant trois ans ou cinq ans, il va être remplacé. Dans ma tête, j’espère que ces remplacements amèneront des gens “plus propres”. Il sera difficile ensuite pour les élus condamnés de revenir en politique, même si au bout d’un moment le casier s’efface et c’est tout à fait normal.”
Adoptée en première lecture à l’Assemblée, cette loi devrait mettre de l’ordre, selon Philippe Pascot : “Le peuple sait lire et les gens en ont tellement marre qu’ils s’organisent en dehors des partis. Il faut se battre pour que la vie politique soit plus saine, car, si on ne se bat pas, on ne gagne pas des batailles.”