Qu’y a-t-il dans les préservatifs ? La rédaction du Lanceur s’est posé la question et a fait analyser un échantillon. Les résultats sont préoccupants.
C’est l’histoire d’une enquête qui dure depuis des mois, où presque tout le monde se renvoie la balle sans pouvoir répondre. En France, si les cosmétiques et les aliments ont l’obligation d’afficher leurs ingrédients, ce n’est pas le cas pour les préservatifs. Et, si beaucoup s’interrogent sur la composition des sex-toys et des tampons, en ce qui concerne les préservatifs, il règne un silence assourdissant, expliqué par la nécessité de se protéger du sida et des MST.
Voici quelques mois, Le Lanceur a essayé d’en savoir plus. Las, les marques du secteur – Durex, Manix, etc. – refusaient de communiquer, en s’abritant derrière le secret industriel, le manque de temps ou en jouant tout simplement les abonnés absents. Les certifications se focalisent, elles, sur la résistance et l’efficacité du produit. Seules certaines associations environnementales évoquaient le risque de produits toxiques dans les préservatifs.
Pour en avoir le cœur net, la rédaction a fait analyser un préservatif. Le choix s’est porté sur le “Classic Jeans”, de la marque Durex, le préservatif le plus vendu en France. L’analyse a prouvé la présence de substances toxiques.
Première substance trouvée : du cyclotrisiloxane, molécule “toxique pour la fertilité, bio-accumulable [elle s’accumule dans le corps] et persistante dans l’environnement”, selon la chimiste Adèle Luria, experte en santé environnementale. Un perturbateur endocrinien, donc. À ce titre, il fait d’ailleurs partie des substances, relève Aurèle Clémencin (ancien directeur scientifique d’un site de consommation responsable), que l’association Chemical Secretariat demande de remplacer. La marque de supermarchés bio Whole Foods Market l’a aussi placée dans sa liste de substances interdites dans les produits cosmétiques.
La dose ne fait pas le poison”
Le professeur d’endocrinologie pédiatrique Charles Sultan, du CHU de Montpellier, fait remarquer de son côté que “trois des composants (le dodécane, le pentadécane et l’octadécane) retrouvés sont des hydrocarbures, donc potentiellement reprotoxiques”. Le règlement européen REACH considère ces derniers comme toxiques à l’inhalation mais pas reprotoxiques : “Ces résultats sont incontestablement préoccupants. Ils sont a priori placés dans le lubrifiant et donc très absorbables par les muqueuses du garçon et de la fille. Certes, on peut dire qu’il s’agit de quantités infinitésimales mais, avec les perturbateurs endocriniens, la dose ne fait pas le poison. Le problème aussi est que ces faibles doses s’accumulent dans le corps au fur et à mesure qu’on utilise des préservatifs. Et enfin, quid de l’effet cocktail entre ces différentes molécules ?” Le préservatif contient également du butanamine, “un irritant cutané possiblement allergène”.
Molécules “propriétaires”
Six d’entre les dix-sept composants majeurs du préservatif présentent des empreintes chimiques (“spectres de masse”) que la méthode de dépistage GC/MS mise en œuvre ne reconnaît pas parmi les 600.000 spectres de masse de référence dont le laboratoire dispose dans ses bases de données. Il s’agit en effet de molécules “propriétaires” des entreprises, protégées par le secret industriel. Le laboratoire Analytika, auteur de l’analyse, émet l’hypothèse qu’il s’agit de biocides/spermicides, un produit rajouté dans les préservatifs afin d’augmenter encore leur efficacité. Il n’est cependant nulle part précisé sur l’emballage que le “Classic Jeans” en contient.
“Sans pouvoir être plus précis, nous pensons que ces six composants non identifiables appartiennent à la formulation “biocide/spermicide”, probablement constituée d’un ou plusieurs sel(s) d’ammonium quaternaire, comme en témoigne la présence de la diméthylamine parmi les composants détectés et clairement identifiés”, indique le laboratoire dans son rapport.
Selon Aurèle Clémencin, “ces substances sont dans le collimateur des allergologues du fait de leur potentiel de développement d’allergies. C’est assez désolant de trouver des perturbateurs endocriniens dans ce type de produit. C’est évident que cela pose beaucoup de questions sur la possibilité d’un impact sanitaire. Sans compter la question des potentiels effets cocktails de l’ensemble des substances en interaction les unes avec les autres”. Le médecin Laurent Chevallier, membre du réseau Environnement Santé, relativise cependant en disant qu’on ne porte des préservatifs que peu de temps. “Ensuite, c’est sûr, il faut bien se laver après, à cause de toutes ces molécules de synthèse.” Reste à savoir combien de personnes se lavent effectivement après.
Certification et secret industriel
Comment expliquer la présence de telles substances dans un dispositif médical ? Le Code de la santé publique précise en effet que “les dispositifs médicaux sont conçus et fabriqués (…) de telle manière qu’ils ne compromettent pas, directement ou indirectement l’état clinique et la sécurité des patients. (…) Un effet secondaire et indésirable n’est admis que s’il présente un risque acceptable au regard des performances du dispositif”. Mais, concrètement, le fabricant n’a pas à fournir la liste des molécules brevetées, couvertes par le secret industriel, il faut juste qu’il apporte la preuve de l’innocuité de son produit.
Les dispositifs médicaux doivent présenter ces preuves à un organisme notifié, et non à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). En France, il s’agit du laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE). Contacté, le service de certification du LNE G-MED affirme que, pour bénéficier du sésame, les entreprises doivent notamment présenter les données de biocompatibilité de leur produit, montrer qu’il est utilisé dans des conditions de sécurité pour les personnes, le tout en tenant compte de la balance bénéfices/risques mentionnée plus haut.
“Par exemple les allergies au latex sont connues. Beaucoup de préservatifs en contiennent. Il faut voir quels sont les moyens mis en place par le fabricant pour les prévenir, comme par exemple une information sur la boîte et la notice d’utilisation. Mais les fabricants n’ont pas d’obligation réglementaire de présenter leur composition exhaustive. Ils ont par contre l’obligation de gérer les risques”, explique Cécile Vaugelade, du G-MED (groupement pour l’évaluation des dispositifs médicaux).
Contacté, Durex n’a pas donné suite à nos questions.
Pour Estelle Kleffert, membre du mouvement Générations Cobayes, une association qui sensibilise à la question des perturbateurs endocriniens, auteur de la campagne “éco-orgasmes”, ce résultat n’est pas une surprise. “On sait depuis longtemps qu’il y a des perturbateurs endocriniens dans les préservatifs. C’est une raison de plus pour alerter sur le sujet. On veut évidemment éviter les maladies sexuellement transmissibles et choisir d’avoir un enfant quand on le veut, mais le but n’est pas de mettre en danger sa fertilité à long terme ! D’autant qu’il existe des solutions saines !”
Car heureusement, en période de recrudescence du sida chez les jeunes et des maladies sexuellement transmissibles, des marques plus éthiques existent aussi aujourd’hui, qui permettent de continuer à se protéger sans s’interroger sur les conséquences à long terme de l’usage d’un préservatif. Le site Générations Cobayes renvoie ainsi vers les marques Sir Richard’s, Sustain, ou Glyde qui déclarent leur production (nous ne les avons pas testées chimiquement cependant) exemptes de produits issus de la pétrochimie, de spermicide, etc. Sortez donc “couverts”, mais sainement…