Pour défendre les droits humains et dénoncer les atrocités qui se déroulent quotidiennement en Syrie et en Irak, un groupe d’étudiants a créé son propre média en ligne. Souvent au péril de leur vie, ils informent sur les crimes perpétrés et sur la situation économique et sanitaire des populations syrienne et irakienne.
“Reste calme et ne rejoins pas l’Etat Islamique”, un poster passible de mort pour qui oserait l’afficher dans la capitale syrienne de Daech, Racca. C’est pourtant l’une des actions du groupe Sound and Pictures, créé à la mi-janvier 2015 par une poignée d’étudiants syriens. Aujourd’hui, le média citoyen qui revendique son indépendance par rapport à tout groupe politique ou militaire couvre la plupart des zones contrôlées par l’Etat Islamique et informe également sur les zones libérées. Leur site, principalement en langue arabe, est traduit en anglais et parfois en français grâce à l’aide de journalistes anglophones ou francophones.
Avec des infographies et grâce au recoupement des informations fournies par leurs sources, les militants pour les droits de l’homme de Sound and Pictures se penchent d’abord sur la condition des civils sur le terrain : nombre de morts de la main de Daech, de l’armée de Bachar al-Assad, des bombardements russes et occidentaux, mais aussi les exactions commises par les combattants kurdes syriens, les YPG. “Nous voulons montrer au monde ce qu’il se passe en Syrie et en Irak, explique Aghiad al-Kheder, l’un des cofondateurs du groupe. Beaucoup de gens ne le savent pas vraiment, on entend que l’Etat Islamique est avec la révolution syrienne et que Bachar al-Assad combat le terrorisme, nous voulons donner des informations qui permettent à chacun de décider qui est le plus grand terroriste.”
Racca n’est pas la seule ville massacrée en silence
Aghiad est originaire d’Albokamal, une ville proche de la frontière irakienne. Cet étudiant souhaitait devenir instituteur, la vie en a décidé autrement. Pendant un moment, il travaille au sein du média “Raqqa is being slaughered silently” (en français, “Racca est massacré en silence”). Ce groupe est né de la volonté de Syriens de montrer, au péril de leur vie, les crucifixions et les conditions de vie au sein de la capitale syrienne autoproclamée de l’Etat Islamique. Déclaré “ennemi de Dieu” par l’EI, le média a perdu de nombreux collaborateurs et travaille désormais essentiellement depuis une ville turque proche de la frontière syrienne.
Si, comme Aghiad, une dizaine d’activistes se trouvent désormais en Europe, la majorité de leurs informateurs sont encore basés en Syrie et en Irak. Diverses raisons ont poussé Aghiad à quitter “Raqqa is being slaughetered silently”, l’une d’entre elles est que Sound and Pictures montre également ce qu’il se passe dans les villes de Deir-ez-zor, d’Alep, Mossoul, Anbar, Homs ou Palmyre : “Nos amis risquent leur vie pour informer sur la situation, c’est pourquoi nous sommes extrêmement vigilants et leur apportons depuis l’étranger des conseils pour assurer leur sécurité personnelle, pour faire une caméra cachée sans se faire repérer, mais aussi pour utiliser le réseau Internet sans que l’Etat Islamique puisse tracer quoi que ce soit.”
Grâce à leur compte Twitter et leur page Facebook suivie par plus de 15 000 personnes, le groupe informe quasiment en instantané sur les zones de bombardement ou la fermeture de cafés Internet par Daech. Alors que Reporters sans Frontières publie aujourd’hui son classement annuel, déplorant un net recul de la liberté de la presse partout dans le monde, l’initiative courageuse de Sound and Pictures montre que de nombreux citoyens sont prêts à risquer leur vie dans l’espoir d’informer sur les crimes de guerre et les conditions humanitaires en Syrie et en Irak.
Contre-propagande : un combat d’idées
“Les combattants se déplacent dans différents pays, ils vont de la Syrie à l’Irak, se rendent en Egypte ou en Europe. Leurs idées partent avec eux. Même si des combattants sont tués chaque jour par les frappes aériennes, ces frappes ne tuent pas les idées.” Pour Aghiad, il est essentiel de combattre les mentalités terroristes pour y mettre fin. Il souligne à ce titre que l’Etat Islamique distille ses idées dans les esprits des enfants pour perpétuer sa tyrannie : “Ces gens utilisent les croyances religieuses pour accaparer le pouvoir. Si leurs idées restent dans les esprits, nous verrons éclore de nouveaux groupes radicaux et extrémistes comme Daech une fois qu’ils seront détruits.” Aghiad rêve d’un pays libre et démocratique débarrassé de tout groupe terroriste ou radical et déplore que le conflit puisse se déplacer en Europe.
Le 18 novembre, Sound and Pictures a publié un article à propos des attentats de Paris. Un de ses membres avait en effet signalé sur Twitter la tenue d’une conversation concernant les attaques dans un café Internet proche de Deir-ez-Zor : “Nous avons essayé d’alerter, mais personne ne nous a entendus. Nous continuerons d’essayer de sauver des vies civiles en Europe si nous pouvons le faire. Beaucoup de gens prient pour nous et l’Europe a sauvé nos familles et nos amis, car beaucoup d’Irakiens et de Syriens y vivent désormais. Nous nous devons d’aider l’Europe comme elle l’a fait.” Le groupe voit les choses en grand : Sound and Pictures espère devenir une organisation internationale de lutte contre le terrorisme dans de nombreux pays. Pour cela, leur arme principale restera l’information et l’espoir de provoquer un éveil des consciences sur la dramatique réalité d’un terrorisme grandissant, aux quatre coins de la planète.