Le Premier ministre nommé ce lundi par Emmanuel Macron fait partie des 23 parlementaires épinglés par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Sa déclaration de patrimoine de 2014 ne mentionne pas la valeur de ses biens immobiliers, ni le montant de ses indemnités d’élu local. Une mauvaise volonté cohérente avec ses prises de position au lendemain de l’affaire Cahuzac.
La campagne présidentielle a vu Emmanuel Macron marteler sa volonté de moralisation de la vie publique. Le président élu a évoqué une action législative en ce sens sous sa présidence. Le choix d’Édouard Philippe comme Premier ministre a donc de quoi étonner. Nommé ce lundi par l’Élysée, le député de Seine-Maritime avait voté contre la loi de transparence adoptée en 2013. Dans un climat post-affaire Cahuzac, Édouard Philippe avait suivi la grande majorité de ses collègues du groupe UMP à l’Assemblée.
Édouard Philippe a aussi été épinglé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour son manque de transparence, ou plutôt sa légèreté en la matière. Contactée par Le Lanceur, la HATVP confirme que le Premier ministre a reçu une “appréciation”, sorte de blâme sans incidence, dans le cadre de sa déclaration de patrimoine de 2014. Un accroc de taille pour celui qui est apparu politiquement comme le parfait trait d’union du rassemblement prôné par Emmanuel Macron. D’autant que le nouveau président a fait de la probité des élus un de ses engagements.
Valeur des biens immobiliers : “aucune idée”
Dans sa déclaration de patrimoine de 2014, Édouard Philippe a omis de préciser la valeur de ses biens immobiliers. Il note être propriétaire d’un appartement à Paris ainsi que d’un bien en Indre-et-Loire et posséder des parts dans une résidence de Seine-Maritime. Mais, dans la case valeur de ces biens, le nouveau Premier ministre indique qu’il n’en a “aucune idée”. Il a mentionné les prix d’achat, en francs parfois, mais aucune estimation actualisée de la valeur de ses propriétés. Cela malgré une relance de la HATVP. Relance ignorée par Édouard Philippe, qui a refusé d’apporter les précisions requises.
La HATVP a émis une “appréciation” pour accompagner sa déclaration de patrimoine et informer les citoyens qui voudraient la consulter d’un manque de transparence, nous explique l’instance de contrôle. Le maire du Havre se retrouve ainsi parmi les 2% de parlementaires (23 sur 1.048) épinglés par la HATVP. L’“appréciation” constitue le troisième niveau d’intervention de la HATVP, sur une échelle de quatre, avant le signalement au Parquet, inopportun dans le cas d’Édouard Philippe.
Si cette appréciation n’a pas d’impact direct, l’ONG Transparency se félicite néanmoins des effets de la loi sur la transparence. “Le rôle de la HATVP est reconnu comme inscrit dans la vie publique, note Transparency France. Les déclarations d’intérêt et de patrimoine sont dans l’actualité. Elles suscitent l’intérêt des médias et des citoyens, ce n’est pas anodin.”
Édouard Philippe a aussi refusé de communiquer le montant de ses honoraires entre 2011 et 2012 alors qu’il officiait pour un cabinet d’avocats d’affaires. Un brin provocateur, le nouveau Premier ministre se disait alors “pas certain de comprendre la question”. “Vous voulez connaître mon taux horaire au jour de l’élection ? Ma rémunération mensuelle moyenne ? Annuelle ?” écrivait-il sur le formulaire, selon le document publié par Mediapart.
Pourtant, le maire du Havre sait faire dans la transparence quand il décide de communiquer. Le journal local Paris-Normandie rappelle ainsi qu’en 2015 Édouard Philippe avait lui-même annoncé son arrestation pour infraction routière et sa suspension temporaire de permis de conduire.
Élu de la République et haut gradé d’Areva
Parallèlement à son engagement public, Édouard Philippe a fait une incursion dans le privé. Entre 2007 et 2010, il est directeur des affaires publiques d’Areva au sein de la direction du groupe. Charlie Hebdo le qualifiait en 2009 de “lobbyiste chargé des relations avec les élus”, suivant “les parlementaires chargés du Niger”. Un poste obtenu dans la foulée de son bref passage au ministère de l’Écologie, en tant que conseiller d’Alain Juppé.
Lors de son passage chez Areva, Édouard Philippe avait conservé ses fonctions publiques. D’abord en tant que conseiller régional de Haute-Normandie, jusqu’en mars 2008, puis en tant que conseiller départemental de Seine-Maritime. Le géant de l’atome français étant particulièrement bien implanté dans cette région, la situation a de quoi mettre celui qui sera élu maire du Havre en 2010 en situation de conflit d’intérêts potentiel.
Vérifications faites par la HATVP, il n’est pas concerné par l’enquête sur Areva période 2007-2010 sous la présidence d’Anne Lauvergeon. Cette dernière a été mise en examen en mai dernier pour son rôle dans le rachat désastreux de la société canadienne Uramin. C’est pour son rôle de lobbying auprès des parlementaires français que les associations en faveur de la sortie du nucléaire épinglent Édouard Philippe.
Il est accusé par l’Observatoire du nucléaire d’avoir été “impliqué dans le pillage de l’uranium du Niger par Areva”. Le réseau Sortir du nucléaire parle d’un “signal exécrable” envoyé par Emmanuel Macron et reproche au nouveau Premier ministre d’avoir “joué un rôle de lobbyiste auprès des élus de l’Assemblée nationale au sujet des mines d’Areva au Niger” et par ce biais d’avoir “défendu les actions d’une entreprise qui, au Niger, a pollué irréversiblement les territoires des peuples autochtones et baigné dans les scandales financiers”.
Absentéisme à l’Assemblée
Autre accroc au CV d’Édouard Philippe, sa faible activité à l’Assemblée nationale, où il n’a déposé aucun rapport ni proposition de loi et seulement six amendements au cours de la dernière mandature. Et pour cause. Le nouveau Premier ministre ne s’est pas montré très assidu au palais Bourbon. Il se situe bien en dessous du taux de présence médian. Le député de Seine-Maritime n’a posé que huit questions orales dans un hémicycle où il n’est intervenu que 27 fois. Édouard Philippe fait aussi partie des 150 députés les moins assidus en commission, où il ne s’est présenté que 124 fois, indique l’observatoire Nosdeputes.fr
Une réalité factuelle pas vraiment en accord avec la “forte expérience de la vie politique, de l’art parlementaire”, posée par Emmanuel Macron comme pré-requis des qualités de son chef de gouvernement. Le nouveau président de la République qui insistait dans la foulée sur la “capacité à animer, justement, à diriger une équipe gouvernementale et une nouvelle majorité”.