Dès l’annonce de son entrée en campagne, Emmanuel Macron s’est présenté comme le candidat contre le “système”. Ce mot fourre-tout, que chaque candidat s’arroge, est brandi comme une réponse à la défiance grandissante des Français envers les politiques. Mais le parcours d’Emmanuel Macron et ses soutiens d’aujourd’hui en font pourtant le candidat d’un système : celui des oligarques.
Avec Emmanuel Macron, la société civile a des allures de Who’s Who. En deux jours, à Lyon début février, le fondateur d’En Marche a réuni trois fois autour de lui des notables et des patrons. Une manière de mener campagne qui colle assez bien avec ses soutiens. Emmanuel Macron ratisse large mais utile. Comme dans ses discours, il triangule : de Daniel Cohn-Bendit à Alain Minc. Il se présente comme le candidat de la société civile face à des partis politiques en bout de course. “Gauche et droite sont divisées en leur sein, sur des questions fondamentales : la croissance, le travail, les inégalités, la laïcité, le rôle de l’État ou l’Europe”, expliquait-il à la tribune du palais des sports de Gerland le 4 février. Le fondateur d’En Marche veut contourner ce blocage en ouvrant la politique aux acteurs de la vie quotidienne, de la France réelle. Mais sa société civile ressemble parfois à un vase clos.
“Le candidat du CAC 40”
Candidat autoproclamé de la transparence et de l’éthique, un soupçon de conflit d’intérêts entoure chaque étape de la vie d’Emmanuel Macron. Un parfum entêtant de renvoi d’ascenseur flotte sur la liste de ses soutiens économiques. “J’ai rencontré un de ses anciens collègues de la banque Rothschild. Il m’a dit : “Macron, c’est le candidat du CAC 40.” Je n’ai pas été surpris”, ironise un conseiller métropolitain lyonnais PS qui apprécie peu le phénomène Macron.
Dans cette présidentielle indécise, Emmanuel Macron fait effectivement figure de chouchou des milieux économiques. Ce monde, il le connaît à la perfection. Ancien banquier d’affaires puis ministre de l’Économie, il a rencontré tout le gratin économique. Ces vies dans sa vie se recoupent, se croisent comme les rares fils rouges d’un CV atypique pour ses 39 ans.
Dans ses soutiens, des opposés qui se rejoignent sur la personnalité d’Emmanuel Macron. Les hommes d’affaires sécularisés (Alain Mérieux, Claude Bébéar, Pierre Bergé) côtoient les startupeurs qui ont fait fortune (Marc Simoncini, Xavier Niel). Macron esquisse une mosaïque autour de lui. Elle correspond en tout point à sa stratégie politique. Les synthèses improbables, ce n’est pas nouveau chez lui. Dès sa sortie de l’ENA, il s’est trouvé deux mentors : Alain Minc et Jacques Attali. Des essayistes connus pour avoir eu l’oreille des présidents, à eux deux et en décalé, pendant près de trente ans.
Premier mentor : Jacques Attali
Jacques Attali, ancien conseiller de Mitterrand, le prendra avec lui dans sa commission. Macron est le rapporteur adjoint de ce comité voulu par Nicolas Sarkozy. Il planche, déjà, sur les mesures permettant de libérer la croissance en France. Le rapport sera globalement enterré par Nicolas Sarkozy mais refleurira, dans ses grandes lignes, en 2014 sous le nom de loi Macron. La loi Noé, une sorte de loi Macron II, aurait dû parachever l’œuvre. Mais cette réforme qui englobait le Code du travail, les prud’hommes et les perspectives économiques a été enterrée par Manuel Valls, fin 2015, au profit de la loi El Khomri. “Si les deux textes avaient été votés, on aurait eu l’essence de la commission Attali”, estime l’entrepreneur lyonnais Jihade Belamri, qui faisait partie de l’aventure et soutient aujourd’hui Emmanuel Macron.
Jacques Attali présentera, en 2011, Emmanuel Macron à François Hollande. La suite est connue. De cette commission, Emmanuel Macron garde des amitiés qui se transposent aujourd’hui dans sa campagne : l’écrivain Erik Orsenna, Serge Weinberg (ex-Sanofi et Accor), Jihade Belamri (BEE), Claude Bébéar (Axa), Stéphane Boujnah (Euronext), l’économiste Philippe Aghion, le consultant syndical Pierre Ferracci. Pierre Nanterme, le patron d’Accenture, leader mondial du conseil, est l’un des rares à avoir confié qu’il avait versé 7 500 euros à En Marche, soit le maximum prévu par la loi.
Alain Minc et l’affaire du Monde
Alain Minc a quant à lui fait office de conseiller d’orientation, sur l’aspect privé du CV d’Emmanuel Macron. Dès sa sortie de l’ENA, il lui flèche un détour par le secteur bancaire. Ce qui sera fait en 2009. C’est sur sa recommandation qu’il entre chez Rothschild. Au sein de cette prestigieuse banque d’affaires, Macron œuvre au rachat du Monde, un titre convoité par un client d’Alain Minc. Emmanuel Macron va jouer les agents doubles sur ce dossier. Comme l’a rapporté Marc Endeweld dans L’Ambigu Monsieur Macron*, le banquier de Rothschild se propose de conseiller bénévolement la société des rédacteurs du Monde, réfractaire au repreneur proposé par Alain Minc. Mais, dans le même temps, Emmanuel Macron informe et prend des conseils auprès d’Alain Minc. Des années plus tard (en 2014), quand il quitte ses fonctions de secrétaire général adjoint de l’Élysée, Alain Minc lui dégote des heures de cours à dispenser à la London School of Business. Catalogué à droite, il a rallié Emmanuel Macron après la défaite d’Alain Juppé à la primaire LR. Un soutien qui a crispé des députés PS proches de l’ancien ministre de l’Économie.
Le candidat des (patrons des) médias
Dans ses soutiens, rien n’apparaît irréconciliable. C’est l’une des démonstrations qu’il doit faire pour arriver au pouvoir le 7 mai. Malgré ses tours de passe-passe pour Alain Minc au moment du rachat du Monde, Emmanuel Macron arrive à avoir aujourd’hui le soutien de deux des trois actionnaires du quotidien du soir. Celui, officiel, de Pierre Bergé et celui, officieux, de Xavier Niel (Free). Présenté comme le candidat des médias, il l’est assurément des propriétaires de presse. Yannick Bolloré, le fils de Vincent (Canal+, iTélé, C8), était présent à son meeting en juin. Avec le nouveau géant des médias Altice (BFM, RMC, Libération, L’Express, Numéro 23) et son patron Patrick Drahi, Emmanuel Macron entretient des liens qui interpellent. Ministre de l’Économie, il a rendu possible le rachat de SFR, propriété de Vivendi, par Drahi. Suite à un décret rédigé, en mai 2014, par Arnaud Montebourg, son prédécesseur à Bercy, l’État a un droit de veto sur le rachat d’une entreprise française de télécommunication par un groupe étranger. Le rachat de SFR par Altice, un groupe luxembourgeois propriété d’une holding immatriculée à Guernesey, devait ainsi recueillir l’assentiment du gouvernement. C’est Emmanuel Macron qui l’a donné. Aujourd’hui, Bernard Mourad, directeur financier de la holding de Patrick Drahi à l’époque du rachat de SFR, a rejoint l’équipe de campagne de Macron.
Vases communicants ?
Des passerelles interrogent aussi entre le banquier et le ministre. Il avait par exemple pour client Labco, une société qui regroupe des laboratoires d’analyses médicales selon Mediapart. Cette holding rachète depuis une dizaine d’années de nombreux laboratoires partout en Europe. La loi Macron, dans son volet visant à déréglementer certaines professions, a rendu le rachat plus facile pour un géant comme Labco. Sur de grands dossiers, le passage du ministre de l’Économie au sein d’une banque d’affaires ressurgit.
En tant que locataire de Bercy, Emmanuel Macron a donné son accord à la vente d’entreprises françaises conseillées par la banque Rothschild à des groupes étrangers : fusion des cimentiers Lafarge et Holcim, cession de la branche énergie d’Alstom à l’américain General Electrics ou encore rachat de Technip par le pétrolier états-unien FMC. “Il faut qu’Emmanuel Macron clarifie ses liens avec la finance internationale. Je lui demande de s’expliquer sur ses financements. Je souhaite qu’il publie la liste de ses donateurs”, s’est agacé Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) au micro de Sud Radio. En creux, il sous-entend des vases communicants entre les différentes carrières d’Emmanuel Macron, qui abonderaient aujourd’hui son compte de campagne.
Métier : banquier
En créant ex-nihilo son parti à moins d’un an de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’est mis dans une situation très compliquée. À la différence des autres candidats à la présidentielle, il ne bénéficie d’aucun financement public. Pour percevoir cette manne, il faut présenter des candidats aux élections législatives. Ce qui sera chose faite en juin 2017. Mais, en collecte de fonds comme dans les sondages, Emmanuel Macron, malgré son statut de novice politique, s’invite directement dans la cour des grands. En moins d’un an, il a levé plus de 6 millions d’euros. C’est déjà mieux que Nicolas Sarkozy, référence en la matière, lors de sa campagne présidentielle de 2012. “Trouver de l’argent, c’est le métier d’Emmanuel Macron. Il a le réseau pour. Banquier d’affaires, c’est un carnet d’adresses de malade ! Si, en plus, vous avez été ministre de l’Économie… Trois ans chez Rothschild, ça vaut quarante ans en entreprise”, rigole un patron lyonnais séduit par l’ancien ministre.
Doué pour récolter
Bruno Bonnell, référent rhodanien d’En Marche, préfère mettre en avant le côté populaire du financement du mouvement : “Le don médian est de 50 euros et le don moyen de 250 euros.” En Marche revendique près de 20.000 donateurs depuis sa création. Un argumentaire qui fait sourire Jean-François Debat, trésorier du PS et président du groupe PS au conseil régional aurhalpin : “Macron communique sur les petits dons, mais la réalité ce sont plutôt les 560 donateurs, les 3 % qui représentent au bas mot entre 3 et 4 millions d’euros sur les 6 millions d’euros qu’il a collectés. Il a activé ses réseaux économiques pour lever de telles sommes, des gens qui peuvent donner 7.500 euros sans que ça les fasse boiter.” En 2015, le Parti socialiste a engrangé 900.000 euros de donations.
Lever des fonds est devenu le nerf de la guerre pour En Marche. L’appel aux dons est désormais un gimmick, assumé, à chaque événement estampillé En Marche. Il est accompagné du discours habituel sur l’exonération fiscale de ces donations politiques. “À Paris, Emmanuel Macron fait parfois plusieurs dîners dans la même soirée. Il parle vingt minutes à une vingtaine de personnes, qui font un don pour l’écouter”, rapporte un parlementaire PS. À Lyon, la veille de son meeting du 4 février, il avait organisé un événement de ce type. Et pour le candidat qui se présente comme le chantre de la transparence, elle a vraisemblablement ses limites. La présence de journalistes de Lyon Capitale dans les salons de l’hôtel où M. Macron avait invité 200 notables à le rencontrer a provoqué la colère des responsables locaux d’En Marche. Le service d’ordre s’est montré particulièrement zélé, suivant même nos journalistes dans la rue pour s’assurer qu’ils ne s’approchent pas de trop près du dîner-débat. Ce soir-là, pour écouter le candidat à la présidentielle dévoiler sa vision pour la France, les convives avaient dû débourser 150 euros. Un tarif relativement modeste pour le fondateur d’En Marche. Les organisateurs de la soirée n’ont pas manqué de rappeler qu’ils pouvaient aussi donner plus. “Pour un chef d’entreprise, Emmanuel Macron est un bon investissement, un pari peu risqué sur l’avenir, pointe un dirigeant lyonnais séduit. 7 500 euros, pour un patron, avec 60 % de déduction fiscale, c’est une paille pour être éventuellement bien vu par un futur président.”
* Marc Endeweld, L’Ambigu Monsieur Macron – Enquête sur un ministre qui dérange, Flammarion, 2015.
Cet article est extrait du dossier “Qui se cache derrière Macron” publié dans le magazine Lyon Capitale de mars 2017.