Plusieurs années après le scandale des emprunts toxiques, les banques restent le coupable idéal. Alors qu’une étude récente montre que certains élus connaissaient les risques, ces derniers n’ont pas fait les frais de leur mauvaise gestion et continuent de siéger dans les plus hautes instances de la République.
424 millions d’euros d’indemnités. C’est le montant déboursé par le Nouveau Rhône et la Métropole de Lyon pour renégocier les emprunts toxiques hérités de la gestion de Michel Mercier, ancien président du conseil général. Le département le plus touché de France, et dont le solde d’emprunts toxiques dépassait celui de l’ensemble des régions françaises réunies, va devoir se serrer la ceinture pour payer les erreurs de l’ancien Garde des Sceaux. Il devait pourtant être bien entouré puisque son chef de cabinet de l’époque, Pierre Jamet, a par la suite été nommé conseiller-maître à la Cour des comptes. Malgré tout, personne, parmi les élus qui ont succédé à Michel Mercier, n’ose un jugement négatif à son égard.
Dans l’ensemble, ce sont les banques et Dexia en particulier, qui sont pointées du doigt pour avoir fait la promotion leurs produits toxiques sans assurer une information suffisante sur les risques. Un coupable tout trouvé qui exonère les élus de leurs responsabilités, alors qu’ils ont entraîné leurs collectivités dans des situations périlleuses que les contribuables mettront des années à solder, pendant qu’ils poursuivent leur carrière et continuent à gravir les échelons de l’administration française.
Des emprunts toxiques jusqu’à la Cour des comptes
Ainsi, à la métropole de Grenoble, la chambre régionale des comptes estimait à près de 89 millions d’euros la dette toxique, soit plus du quart de l’encours total. Des emprunts contractés à l’époque par Didier Migaud. Ironie du sort, il est aujourd’hui devenu premier président de la Cour des comptes, sans doute afin d’apporter aux collectivités son expertise dans l’utilisation des deniers publics.
Le socialiste est loin d’être le seul à avoir connu une belle carrière par la suite. Les emprunts à risque contractés par Jean-Claude Gaudin à Marseille ne l’ont pas empêché de rester à la mairie, à la présidence de la métropole et de garder son siège de sénateur. Ange Santini, quand il était à la tête de la région Corse, a également contracté des emprunts qui ont vu leurs taux s’envoler dangereusement, avant d’être renégociés et que la collectivité n’obtienne, ces derniers jours, une aide du fonds de soutien de l’Etat supérieure à 100 millions d’euros. Entre temps, Ange Santini a été nommé membre du conseil économique, social et environnemental par Nicolas Sarkozy.
Certains sont même entrés au Gouvernement pour mettre en œuvre leurs facultés de gestion à l’échelle nationale. Patrick Ollier, ancien maire de Rueil-Malmaison, où l’opposition dénonçait près de 75 % de dette à risque en 2011, a été nommé ministre chargé des relations avec le Parlement et a, tout récemment, pris la tête de la Métropole du Grand Paris. La ville se classait pourtant 16e dans le palmarès des collectivités “les plus shootées aux emprunts toxiques” établi l’an dernier par le magazine Challenges.
François Rebsamen a lui aussi mis la mairie de Dijon en difficulté. Fin 2014, il restait encore près de 100 millions d’euros de dette structurée, soit près de la moitié de la dette totale de la ville, alors même qu’il était administrateur de Dexia jusqu’en 2008. Les seules indemnités de sortie cumulées de ces différents emprunts dépassent les 70 millions d’euros. Pas de quoi l’empêcher d’être nommé ministre du Travail avant de retrouver son fauteuil de maire au mois d’août dernier, après le décès d’Alain Millot, qui lui avait succédé.
Jean-Michel Baylet indiquait en 2011 que près de 90 millions de la dette du département du Tarn-et-Garonne était faite d’emprunts structurés, même s’il assurait qu’ils ne présentaient pas de risque particulier. Il est aujourd’hui ministre de l’Aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
Tous les élus n’étaient pas dupes
Rien à leur reprocher, si on les écoute, puisque ce sont les banquiers qui ont vendu leurs produits sans faire part de leur possible toxicité. Pour autant, une étude récente de Christophe Pérignon et Boris Vallée assure que certains élus savaient ce qu’ils faisaient ou qu’en tout cas, ils pouvaient comprendre le risque qu’impliquaient certains de ces montages.
Les deux chercheurs ont noté que les emprunts toxiques sont plus nombreux dans les communes dirigées par des élus ayant “un background leur donnant les outils pour comprendre ce type de contrats”, explique Boris Vallée, contacté par lelanceur.fr, qui remarque aussi que “l’utilisation des emprunts toxiques est fortement corrélée avec des facteurs incitant à améliorer les comptes, comme un niveau d’endettement élevé, une période de pré-élection et un risque d’alternance”. Autrement dit, ces élus auraient profité de ces taux d’intérêts, attractifs au début, pour investir avant de viser une réélection, faisant fi des dérapages susceptibles de survenir par la suite. De quoi nuancer le refrain des “banquiers pourris” repris en chœur par l’ensemble des élus depuis 2008.
“Les banquiers ont poussé ces emprunts toxiques, c’est clair, mais le banquier est un commerçant et ce qu’il a vendu n’était pas interdit, les élus n’étaient pas obligés de signer. Leur responsabilité existe et ça remet aussi en cause la gouvernance de ces collectivités”, explique Michel Albouy, professeur senior de finance à l’école de management de Grenoble, qui plaide pour “l’éclairage d’une autorité indépendante” afin d’aider les élus au moment de la transaction.