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En Azerbaïdjan, le KGB local raffole des notices rouges d’Interpol

Entrée du siège d'Interpol à Lyon (AFP PHOTO / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK)

À l’instar de plusieurs pays de l’ancien bloc soviétique, l’Azerbaïdjan utilise la coopération policière internationale comme un outil de répression politique. La puissance énergétique de Bakou dans la région lui permet en outre d’imposer à ses voisins une collaboration forcée en matière d’extradition.

Dans le Caucase, certains régimes ont une conception toute particulière de la coopération policière internationale. Comme la Géorgie ou le grand-frère russe, l’Azerbaïdjan instrumentalise Interpol, faisant des notices rouges un outil de sa police politique. Fort de sa puissance énergétique, Bakou s’est enfoncé dans une répression de plus en plus féroce des opposants, par-delà ses frontières. Les notices rouges d’Interpol constituent en cela un formidable outil pour la police politique.

Interpol se refuse toujours à fournir des statistiques précises en la matière. Mais on notera que le petit État (9,8 millions d’habitants) compte 160 notices rouges publiques, soit une pour 60.000 habitants, contre une pour 2,3 millions d’habitants en France. Cet ordre d’idée est imparfait, certes, puisque le nombre de notices rouges total demeure inconnu, mais il donne une indication. D’autant que l’arrestation du journaliste Fikret Housseïnli en décembre 2017 à l’aéroport de Kiev, sur la base d’une notice rouge abusive, est venue rappeler les pratiques du régime azéri.

“À plusieurs occasions, les autorités azerbaïdjanaise ont utilisé les canaux d’Interpol pour s’emparer de personnes qui ont échappé à la persécution, écrit un rapport du think tank britannique Foreign Policy Center (FPC). L’homme d’affaires Huseyn Addullayev, qui œuvre en faveur de la liberté d’expression, a ainsi été poursuivi à l’étranger sur la base d’une notice rouge d’Interpol. Tout comme l’ancien vice-ministre de la Défense, Isa Sadiqov. La diplomatie azerbaïdjanaise semble peu sensible à ces problématiques. Son ambassade en France n’a jamais donné suite à nos sollicitations.

Notices rouges et KGB

La puissance régionale de l’Azerbaïdjan limite aussi la marge de manœuvre de ses voisins, comme l’illustre l’histoire d’Azer Amadov. Soutien du candidat d’opposition, ce dernier a fui l’Azerbaïdjan en 2003, par crainte de représailles. Après qu’Azer a annoncé son soutien à un candidat d’opposition, Ilham Aliyev, trois membres du KGB azerbaïdjanais l’ont menacé de poursuites pénales s’il continuait à soutenir l’opposition”, explique l’ONG Fair Trials. Les élections perdues par son candidat, Azer Samadov s’installe en Géorgie voisine, d’où il poursuit son engagement politique.

Trois membres du KGB azerbaïdjanais ont menacé Azer Samadov de poursuites pénales s’il continuait à soutenir l’opposition”

 

Du moins, jusqu’à son arrestation, en mars 2006, par des responsables antiterroristes géorgiens, à la demande des autorités azerbaïdjanaises”, précise Fair Trials. Accusé de “participation à un désordre public massif”, Samadov ne doit sa remise en liberté qu’aux pressions d’Amnesty International et du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’Onu. Dans la foulée, il demande le statut de réfugié aux autorités géorgiennes. La requête a peu de chances d’aboutir, tant elle impacterait les relations diplomatiques avec le puissant voisin azerbaïdjanais.

Huit ans pour supprimer une notice abusive

Azer Samadov est finalement reconnu comme réfugié politique par le HCR et les Pays-Bas, où il déménage en 2008. Ce qui n’empêche pas Interpol de diffuser une notice rouge à son encontre en 2007, laquelle aboutit à l’arrestation de Samadov en 2009 à l’aéroport d’Amsterdam. Notice maintenue pendant cinq ans malgré les recours de l’intéressé dès 2010, puis du chef de l’Unité centrale de la Police nationale néerlandaise devant la Commission de contrôle des fichiers (CCF) d’Interpol, en 2014.

Durant cette période, le réfugié azerbaïdjanais a été maintenu dans l’incapacité de se déplacer, y compris pour subir un traitement médical capital en Allemagne”, écrit le Conseil de l’Europe en 2017. La notice a finalement été supprimée en 2015, soit huit ans après sa première publication, en application de la politique à l’égard des réfugiés d’Interpol. Une décision qui intervient alors que l’organisation entame à cette période des réformes concernant les notices rouges.

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