Pascal Houzelot, « actionnaire majoritaire » de Numéro 23, contestait la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui avait retiré l’autorisation d’émettre de la chaîne fantôme : le 30 mars, le Conseil d’État, contredisant sa propre rapporteure publique, a jugé que la vente du canal du tatouage au groupe NextRadioTV, propriétaire de BFM-TV et RMC –et en réalité à Patrick Drahi- ne constituait pas une fraude à la loi. Or, nous apportons aujourd’hui la preuve du contraire, en publiant en exclusivité l’intégralité du pacte d’actionnaires liant Houzelot au groupe UTH, pacte dissimulé au CSA pendant 18 mois… et pour cause, puisqu’on y apprend en toutes lettres qu’une chaîne française était jusqu’à présent sous contrôle russe conjoint.
Pacte d’actionnaires chaîne Numéro 23
La question est aujourd’hui de savoir pourquoi les pouvoirs publics n’ont rien fait (et ont même parfois joué double jeu ) pour empêcher cette gigantesque escroquerie au domaine public, faisant intervenir, dans une grossière opération de portage, la fine fleur du CAC 40, le Qatar et la Russie, en contradiction totale avec la loi audiovisuelle de 1986 ? Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il jugé que tout était parfaitement licite, alors même que le pacte d’actionnaires était versé aux débats ? Pourquoi la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, demandée à grand bruit par le député Marcel Rogemont (PS), qui devait être lancée le 5 avril, a-t-elle été repoussée ?
Pourquoi Bygmalion, Engie, Gazprom et le cabinet du président de la République Nicolas Sarkozy n’ont jamais ménagé leurs efforts, pour à la fois enrichir le lobbyiste Pascal Houzelot, parti dans l’aventure de la TNT avec un maigre capital de 10.000 euros et permettre à Patrick Drahi d’obtenir une chaîne supplémentaire ? Pourquoi, encore, David Kessler, qui allait devenir quelques mois plus tard le conseiller audiovisuel de François Hollande à l’Elysée, a-t-il lui aussi défendu le dossier en séance publique au CSA, pour une chaîne dont tout le monde savait qu’elle ne serait pas viable et qui n’était en réalité qu’une future opération financière juteuse, avec revente pour 90 millions d’euros à la clé ? Des rétrocommissions étaient-elles prévues et pour qui… ou tous ces acteurs ont-ils mouillé leur chemise pour les seuls beaux yeux de Pascal Houzelot ?
Mélange des genres
Autant de questions que nous avons été les seuls, avec Médiapart ensuite, à poser publiquement et il faut bien le reconnaître, dans l’indifférence quasi générale. C’est ainsi : la France se transforme jour après jour en république bananière sous nos yeux écarquillés, Drahi, planqué à Guernesey et au Panama, rachète, en toute impunité, via une dette déjà évaluée à 48 milliards d’euros, chaînes de télé et titres de presse français, s’apprêtant à revendre sa filiale médias à… SFR pour réaliser une énième plus-value financière tout en « dégraissant la masse salariale » et personne ne s’en soucie vraiment. Circulez, il n’y a vraiment rien à voir ni à savoir.
Affirmer le contraire signifie que vous êtes « populiste », « homophobe » ou que vous usez « de méthodes fascistes », même si vous apportez toutes les preuves de ce que vous avancez. Le summum de l’hypocrisie étant atteint par le journal Le Monde, nous y reviendrons, qui publie des listes de noms déjà largement connues en prenant l’air supérieur du sauveur de la démocratie. Quant à certains conseillers du CSA, ils considèrent qu’Hanouna (le type qui met des nouilles chaudes en direct dans le slip de son chroniqueur ou se moque de l’appareil génital d’un jeune danseur de l’opéra) n’est rien moins que le nouveau Rabelais. Avec un tel niveau d’exigence, le Chevalier des Arts et Lettres Houzelot n’est certes pas inquiet pour son avenir.
Il faut dire pour être complet que tout ce petit monde, ainsi que l’a brillamment démontré Raphaëlle Bacqué dans son ouvrage Richie (qui sera bientôt adapté au cinéma), se fréquente et se coopte, se complimente et s’associe, additionne et multiplie, siège dans les mêmes instances, du Conseil d’État en passant par les multiples conseils d’administration, tant de médias de premier plan que d’institutions culturelles prestigieuses. A titre d’exemple : au conseil d’administration du Châtelet siègent ainsi côte à côte Patrick Bloche, président (PS) de la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale et « spécialiste reconnu de l’audiovisuel », Matthieu Pigasse, qu’on ne présente plus, Matthieu Gallet, président de Radio France… et l’inévitable Pascal Houzelot, toujours dans les bons coups. Alors, les commissions d’enquête… Enfin, mais de quoi parle-t-on ?
Autre exemple à droite (mais ces amitiés sont transversales), Camille Pascal, ancien secrétaire général de France Télévisions –traitant à l’époque avec Bygmalion- nommé ensuite conseiller au cabinet du président de la République Nicolas Sarkozy –où il supervisait la distribution des chaînes TNT avec Patrick Buisson- recasé au Conseil d’Etat après la défaite de son champion à la présidentielle de 2012.
Autre exemple encore, Bernard Stirn, conseiller d’État à la tête de la section du contentieux qui a jugé l’affaire Numéro 23, frère d’Olivier (oui, celui des salles de meetings remplies par du faux public), dont la carrière politique de droite à gauche fut financée par Pierre Bergé… lequel fit entrer Pascal Houzelot au conseil de surveillance du Monde, ce qui incita, tout au long de ce scandale d’État, Alexandre Picard, « journaliste média au sens large », comme il aime à se définir lui-même, à écrire des articles à sens unique. La boucle est bouclée. Notons que Bernard Stirn, dont il n’est pas permis de douter de l’indépendance, est par ailleurs président du conseil d’administration de l’Opéra de Paris, où il succéda à Pierre Bergé, encore lui.
« Je suis un mafieux »
Les exemples pourraient être multipliés à l’envi tant un nombre restreint d’acteurs se partage les places, tour à tour (ou à la fois, c’est selon) juge et partie. Jamais le mélange des genres n’avait été porté à un tel degré, avec une telle arrogance. Système particulièrement sophistiqué car en apparence tout est clair, tout est toujours formellement parfait ou présenté comme tel. Après avoir porté la chaîne jusqu’à la revente (prévue à la fois dans le pacte d’actionnaires et dans la convention liant la chaîne au CSA, dans un parallélisme des formes saisissant), « UTH Russia et Xavier Niel », nous apprend Pascal Houzelot interviewé dans Le Monde par son obligé Alexandre Picard, sont remplacés « par un opérateur industriel dynamique sur le marché français : NextRadioTV ». Et de « remercier » Alain Weill « d’avoir accepté une position de minoritaire sans contrôle avec 39 % du capital de Numéro 23 ». C’est pas mignon ça ?En clair, le duo Weill-Drahi, réuni dans un joint-venture, sort son chéquier et enrichit d’ores et déjà Pascal Houzelot de 35 millions d’euros… pour une chaîne sans programmes ni téléspectateurs, obtenue gratuitement via un appel d’offres truqué en 2012, que nous n’avons cessé de dénoncer… Ici, le film humoristique de 26 minutes que nous avons réalisé sur cette affaire.
« Les juridictions suprêmes existent afin que les intimes convictions de certains n’amènent pas à des décisions injustes et fausses en droit », ironise aujourd’hui Pascal Houzelot dans les colonnes de son journal Le Monde. Pourquoi s’en priverait-il ? Son modèle Pierre Bergé n’affirmait-il pas, dès 1996 : « Je suis un “mafieux”. Et je ne crois qu’à ça. Je ne crois qu’aux amis dont on est sûr, qu’on s’est choisis et c’est fini. C’est pour toujours. Et on les défend, bien sûr. […]. Alors, comme toujours dans les “clans”, tout le monde n’est pas blanc-bleu : certains peuvent avoir une bonne influence et d’autres une mauvaise – pas toujours, mais cela peut arriver. » Parole d’expert.