Afin de travailler pour le mensuel Démocratie moderne sous la direction de François Bayrou pendant plus d’un an entre 1996 et 1997, Nicolas Grégoire assure avoir bénéficié de deux emplois fictifs d’assistant parlementaire. Dans un livre publié en janvier 2015, Corinne Lepage évoquait également la rémunération de la secrétaire particulière de François Bayrou avec l’enveloppe de parlementaire européenne de Marielle de Sarnez entre 2009 et 2014.
Alors que le président du MoDem conditionnait son soutien au président fraîchement élu, Emmanuel Macron, “à l’élaboration d’une loi sur la moralisation de la vie politique”, un ancien “assistant parlementaire” de l’UDF tente de briser l’image que François Bayrou veut s’approprier depuis ses débuts : celle d’un homme politique exemplaire dans un parti centriste bien différent des autres dans ses pratiques. D’après son témoignage, le président du MoDem ne semble pas ignorer que les enveloppes d’argent public remises aux parlementaires européens, députés ou sénateurs pour embaucher des assistants ont parfois pu bénéficier à son propre parti plutôt qu’aux parlementaires en question. Pendant près de deux ans, Nicolas Grégoire assure avoir été rémunéré par deux contrats d’assistant parlementaire pour travailler au sein du mensuel de l’UDF Démocratie moderne, dont François Bayrou était rédacteur en chef. “Si vous avez le choix entre payer quelque chose de votre poche ou utiliser l’argent public, et qu’en utilisant cet argent public, personne ne dira rien, que vous êtes intouchable et que personne n’en parle jamais, le choix semble être vite fait”, s’insurge Nicolas Grégoire, qui aurait tenté depuis plusieurs années de révéler via la presse les emplois fictifs d’assistant parlementaire dont il a bénéficié. “Les emplois fictifs en politique, c’est universel et particulièrement tabou. Vraisemblablement, c’est un sujet dont il ne fallait pas parler pendant l’élection et dont il ne faut toujours pas parler d’ailleurs”, poursuit-il.
“Que leur fallait-il de plus ? Un aveu de François Bayrou ?”
Lorsque Nicolas Grégoire assiste au positionnement de François Bayrou comme “garant moral” de la candidature d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, il estime que cette fois le timing est parfait pour que la presse s’empare du sujet. Ce qu’il veut, c’est voir “Emmanuel Macron acculé par ce scandale et voir ainsi émerger un vrai programme pour moraliser la vie politique… sans François Bayrou”. “Notre République marche sur la confiance puisque la Ve République a été bâtie par des patriotes, des personnes honnêtes, d’anciens résistants, etc. Ces gens-là avaient un sens du devoir. Il fallait reconstruire le pays et donc laisser aux politiques les mains libres pour agir. Mais maintenant cette confiance est utilisée comme prétexte pour un nombre d’abus absolument inimaginable, qui va du financement occulte à l’utilisation du 49-3”, estime celui qui, après avoir bénéficié du système, a quitté la politique et abandonné sa carte d’électeur depuis 1997. En contact avec de nombreux journalistes, Nicolas Grégoire fournit son contrat de travail signé par les parlementaires, un courrier du parti à son intention et un article qu’il affirme avoir écrit dans le mensuel Démocratie moderne sous le “pseudonyme obscur de Nicolas Gérard”. Une seule chose est susceptible de lier ces pièces entre elles : son propre témoignage, vingt ans après les faits. Son histoire ne paraît pas dans les titres de presse, l’homme s’impatiente et y voit une défense de François Bayrou de la part des médias, pour protéger Emmanuel Macron. Le ton monte. “Que leur fallait-il de plus ? Un aveu de François Bayrou, qui était mon directeur en tant que rédacteur en chef de Démocratie moderne ?” proteste-t-il. Il prendra finalement les devants en publiant lui-même son témoignage, pour le relayer sur les réseaux sociaux.
La crédibilité du témoin entachée par les relations tendues avec les journalistes
Après avoir pris le soin dans un premier billet de ne pas épargner de parti politique sur les avantages octroyés aux proches ou sur les contrats fictifs (PS, Les Républicains et Front national), notamment afin d’éviter “toute tentative d’instrumentalisation” politique de son récit, il fustige les titres de presse qui n’auraient pas trouvé le temps ou la volonté, à l’heure d’une élection majeure pour l’avenir du pays, de traiter son histoire, qui s’est déroulée vingt ans plus tôt. Les réseaux sociaux s’emballent autour de son histoire et Nicolas Grégoire reconnaît une “grosse tentative de récupération” de la part de “penseurs” d‘extrême droite. Le battage sur les réseaux est tel que le service Désintox de Libération publiera un billet intitulé “Pourquoi aucun “grand” média ne traite de l’affaire de Nicolas Grégoire ?” qui conteste les allégations de censure. Nicolas Grégoire raconte également dans son article l’effacement de son disque dur par “les services”, qui se seraient introduits chez lui. Il évoque sur ce point le risque d’être pris pour un “parano” ou un “conspirationniste”. Il indique avoir décidé de ne pas porter plainte, estimant que “c’est inutile” et qu’il “sera pris pour un fou”. “Si j’avais voulu faire cela dans les règles, je n’aurais pas pu toucher mon ordinateur, qui aurait été mis sous scellés, etc. Mon ordinateur, c’est mon outil de travail, j’en ai besoin au quotidien”, explique-t-il. Cette absence de plainte ne crédibilise pas ses propos, ni sa démarche. Son ordinateur ne contenait selon lui pas d’éléments sensibles et il estime que cette intrusion, qu’il ne peut pas prouver, est de l’ordre de “l’intimidation”. Les éléments fournis pour montrer son appartenance à l’UDF et les contrats d’assistant parlementaire étaient de toute façon en ligne et ne prouvent rien sans avoir, en parallèle, le témoignage oral de Nicolas Grégoire.
Ce qui amène à poser la question de l’intention. “Que je fasse ces révélations par vengeance ou par je ne sais quoi n’est pas la question, les faits sont les faits. Et, oui, moi, je voulais changer la politique française pour la moraliser”, répond-il. Seul quotidien à avoir publié son affaire, début avril, Le Télégramme avait interrogé les parlementaires en question, qui, après avoir nié, ont reconsidéré leurs propos à la vue de ces anciens contrats signés de leur main.
Les contrats de travail mis en ligne par Nicolas Grégoire by Le Lanceur on Scribd
L’ex-sénateur Jean-Jacques Hyest, qui avait signé le contrat d’assistant parlementaire pour rémunérer Nicolas Grégoire, siège aujourd’hui parmi les neuf sages du Conseil constitutionnel. Contacté par Le Lanceur, il n’a pas souhaité répondre à nos questions, faisant valoir son “devoir de réserve”. Il avait, en avril, confié au Télégramme qu’il avait “dû rendre service à Force Démocrate” , avant d’ajouter : “Mais ce n’est pas l’affaire Fillon, hein ! En tout cas, à l’époque, cela ne me paraissait pas répréhensible.” Aujourd’hui, si “l’usage de moyens et de fonds publics à des fins autres que celles pour lesquelles ils étaient destinés” peut relever d’une infraction de détournement de fonds public, une loi adoptée en février 2017 rend, quoi qu’il en soit, l’affaire de Nicolas Grégoire prescrite. Les délits “occultes” ou “dissimulés” doivent désormais être jugés moins de 12 ans après les faits, soit en 2009 au plus tard pour le cas de Nicolas Grégoire. Le service de signalement pour les lanceurs d’alerte de l’association Transparency International vient de se saisir du dossier. Pour le moment, l’association va étudier les pièces et évaluer la situation au niveau juridique.
Une problématique similaire au Parlement européen ?
Les deux contrats d’assistant parlementaire proposés à Nicolas Grégoire en 1996 sont-ils des cas isolés et ce système fait-il partie d’une histoire ancienne qui n’aurait plus lieu d’être aujourd’hui ? Un autre témoignage, plus récent, vient troubler cette idée. Ce dernier est tiré du livre de Corinne Lepage publié en janvier 2015, Les Mains propres. “Lorsque j’ai été élue au Parlement européen en 2009, le MoDem avait exigé de moi qu’un de mes assistants parlementaires travaille au siège parisien. J’ai refusé en indiquant que cela me paraissait d’une part contraire aux règles européennes, et d’autre part illégal. Le MoDem n’a pas osé insister, mais mes collègues ont été contraints de satisfaire à cette exigence”, écrivait-elle. Un extrait qui aurait été remis sur le devant de la scène pendant la campagne par des fillonistes, acculés par les soupçons d’emploi fictif de l‘ex-candidat à la présidentielle. Plus loin, Corinne Lepage était plus précise : “Durant cinq ans, la secrétaire particulière de François Bayrou a été payée… par l’enveloppe d’assistance parlementaire de Marielle de Sarnez, sur fonds européen.” Comme en 2014, l’eurodéputée et vice-présidente du MoDem Marielle de Sarnez a démenti l’information. Corinne Lepage, qui avait dit à Paris-Match qu’elle ne souhaitait pas revenir sur cette affaire, a tout de même répondu aux questions sur le plateau de L’Opinion au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron. “Personne n’a dit à l’époque que j’avais tort, nous sommes aujourd’hui avec François Bayrou dans la même équipe, donc je n’ai aucune raison de l’attaquer. En général, quand je dis quelque chose, je le dis parce que c’est la vérité. Ceci étant, c’était dans un ensemble plus large dans lequel je décrivais le système Le Pen”, justifiait-elle.