Le garde des Sceaux présentait ce mercredi son projet de loi de moralisation de la vie politique en conseil des ministres. Il est pourtant mis en cause en tant que patron du MoDem par plusieurs ex-employés, notamment pour les avoir fait travailler sur l’argent de l’Europe mais pour le parti. Une enquête préliminaire a été ouverte pour abus de confiance.
“Si l’enquête confirme les soupçons, que les témoignages sont étayés et se recoupent, alors François Bayrou se trouverait dans une situation délicate.” Le président d’Anticor, Jean-Christophe Picard, ne veut pas préjuger des accusations qui touchent François Bayrou et le MoDem, parti dont il est président. “Pour l’instant, les faits matériels sont encore contestés, à la différence de l’affaire Ferrand (…) mais si les révélations étaient confirmées le président devrait en tirer les conséquences”, déclare-t-il au Lanceur.
Et pour cause. Le ministre de la Justice présentait ce mercredi matin en conseil des ministre sa loi de moralisation de la vie politique alors même qu’une enquête préliminaire pour abus de confiance a été ouverte à son encontre. Dans le même temps, les révélations d’anciens assistants parlementaires du MoDem s’accumulent. Deux d’entre eux ont déclaré avoir travaillé pour le parti centriste alors qu’ils étaient salariés comme assistants parlementaires de députés européens.
D’anciens assistants montent au créneau
Les révélations de Nicolas Grégoire sur Le Lanceur quant aux deux emplois fictifs supposés qu’il aurait occupés auprès de François Bayrou avaient commencé à écorner l’image de probité du désormais garde des Sceaux. C’est désormais au tour de Mathieu Lamarre, ex-salarié du MoDem aujourd’hui directeur du service presse d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, d’ouvrir la brèche en écrivant au parquet de Paris, le 7 juin. Dans son courrier, il dénonce la situation des assistants parlementaires européens du MoDem. Un système déjà évoqué en 2014 par Corinne Lepage dans son livre Les Mains propres.
Le Canard enchaîné révélait ce mercredi le cas de Karine Aouadj, partiellement salariée comme assistante parlementaire européenne mais en réalité “assistante personnelle” de François Bayrou qui “n’a jamais travaillé pour l’Europe”. Si bien que François Bayrou n’apparaît aujourd’hui plus comme la voix la plus crédible pour porter cette fameuse loi de moralisation, promesse de campagne du candidat Macron.
Un projet de loi plutôt bien accueilli par Anticor, au demeurant. “On est au milieu du gué, estime son président. Il y a des choses intéressantes, ce n’est pas une loi placebo, mais on pourrait aller plus loin.” Jean-Christophe Picard insiste par exemple sur la nécessité de “rompre tout lien hiérarchique entre procureur et garde des Sceaux”, pour des raisons évidentes de séparation des pouvoirs. Une attente centrale dans la lutte contre la corruption sur laquelle l’affaire Bayrou jette une lumière crue.
Bayrou patron du procureur qui enquête sur son cas
En tant que ministre de la Justice, le patron du MoDem est le supérieur hiérarchique du procureur chargé de l’enquête préliminaire à son égard. Pis, il pourrait ainsi avoir accès aux éléments de l’enquête. Et savoir par exemple si une perquisition au siège de son parti est prévue, et quand. “Si la séparation des pouvoirs n’est pas assurée, cela ouvre la porte à des abus”, commente Jean-Christophe Picard.
“Il ne faut pas qu’il ait accès au déroulement de l’enquête, tranche le président d’Anticor. L’inverse serait tout à fait scandaleux, un scandale d’État même.” Jean-Christophe Picard propose donc que les informations relatives à cette procédure ne soient pas remontées à la chancellerie, comme habituellement, mais directement au Premier ministre.
Le garde des Sceaux poursuit pourtant sa route, sûr de son fait. Et persuadé de la reconnaissance sans limite d’Emmanuel Macron à son égard, certain de lui avoir apporté un soutien décisif en cours de campagne. Il s’est ainsi permis d’appeler Radio France pour protester contre les “méthodes inquisitrices” utilisées selon lui par la direction des investigations, dans le cadre d’une enquête sur les assistants parlementaires du MoDem. Il y a quelques années déjà, il avait appelé le directeur de la publication de Lyon Capitale, Didier Maïsto, pour le menacer d’un procès dans le cadre d’une enquête menée par le journal.
François Bayrou a même publiquement tenu tête au Premier ministre, Édouard Philippe, qui l’avait recadré à ce sujet, engendrant le premier couac ministériel de l’ère Macron. “Un ministre de la Justice ne peut pas faire de commentaires dans la presse, réagit Jean-Christophe Picard. S’il veut défendre publiquement ses fonctions de président du MoDem, il ne peut pas être ministre.”