L’Office fédéral de la police criminelle allemande a mis la main sur des milliers de formulaires remplis par des volontaires étrangers partis rejoindre les rangs de l’État Islamique en Irak ou en Syrie. La chaîne anglaise d’information Sky News s’est également procuré des documents contenant 22 000 noms de membres de Daech.
Identité, ville d’origine en Europe, adresse, numéro de téléphone, religion, diplômes, famille ou personnes à contacter en cas de décès, les fiches récupérées par le Bundeskriminalamt (BKA) allemande pourraient presque ressembler à n’importe quel formulaire administratif. Quelques différences sont cependant notables : expérience en terme de “guerre sainte”, niveau de compréhension de la charia ou préférence pour servir la cause (espion, combattant ou kamikaze). Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, à l’origine de cette révélation, a fait confirmer par le BKA que ces documents étaient bien en possession de l’Allemagne : une bonne nouvelle pour les services de renseignement occidentaux qui collaborent avec cette dernière. Le lendemain, la chaîne anglaise Sky News révèle avoir mis la main sur 22 000 fiches de ce type, qui concerneraient des ressortissants de 55 pays.
Comment ces fiches ont-elles fuité ?
Les journaux allemands expliquent la fuite de ces documents par la rémunération de plus en plus difficile des mercenaires étrangers. Le cessez-le-feu en Syrie, sauf contre l’État Islamique, tient toujours, même s’il est parfois malmené. Les bombardements de l’aviation occidentale des puits de pétrole et des convois de transport, essentiels à l’économie de Daech, commenceraient à assécher les finances de ce dernier. Les volontaires étrangers seraient donc beaucoup plus enclins à marchander des informations et à vendre des documents aux autorités occidentales.
Des hypothèses qui ne sont pas les mêmes pour SkyNews, qui disposerait de documents provenant d’une autre source. La chaîne anglaise aurait reçu ces fiches de la part d’un ex-membre de l’Ei “désabusé par les méthodes du groupe et espérant que ces documents permettront, si Dieu le veut, de détruire l’EI”. Ancien combattant de l’Armée syrienne libre, Abou Hamed avait rejoint les troupes de l’État Islamique. Il raconte avoir dérobé ces informations au chef de la police interne de l’organisation, avant de les transmettre sur une clé USB à un journaliste présent en Turquie.
Piège ou révélations crédibles ?
La police allemande a estimé l’authenticité des formulaires. Certaines informations ont été recoupées, les noms de djihadistes allemands correspondent bien aux kamikazes dont la mort avait déjà été annoncée aux familles allemandes. Les données de Sky News, transmises au ministère de l’Intérieur et des Affaires étrangères britannique, concerneraient également des djihadistes jusqu’à présent non identifiés, qui se trouvent en Europe, aux États-Unis, au Canada, au Maghreb et au Moyen-Orient. Des noms déjà connus figurent également sur les documents récupérés en Angleterre : comme celui d’Abdel-Majed Abdel Bary, un ancien rappeur de Londres qui s’affichait sur Twitter une tête tranchée à la main, mais aussi Junaid Hussain, un hacker de l’EI tué par un drone au mois d’août dernier et originaire de Birmingham. Dans une vidéo diffusée par Sky News, l’homme à l’origine de la fuite d’information affirme que le quartier général de Raqqa aurait été abandonné par l’organisation djihadiste pour le désert.
Des réserves ont cependant été émises par plusieurs spécialistes sur les documents diffusés par Zaman al-Wasl, un site proche de l’opposition à Bachar al-Assad. Le chercheur Romain Caillet note qu’un autre drapeau que le drapeau officiel de l’Ei est inscrit en bas des fiches. Le journaliste de France 24 Wassim Nasr avait lui aussi relevé des pratiques non habituelles et des incohérences dans l’utilisation de mots en arabe pour désigner l’organisation. Aghiad Alkheder, co-fondateur du média citoyen syrien “Raqqa is being slaughtered silently”, estime que ces documents ont de grandes chances d’être faux, ou en tout cas qu’ils datent de bien longtemps, même s’ils peuvent être utile pour lutter contre les volontaires étrangers. Pour lui, certains de ces documents seraient disponibles sur internet depuis au moins deux ans.
Outre les bizarreries relevées par @SimNasr, j’ai remarqué également qu’un autre drapeau figure en bas des fiches. pic.twitter.com/B9qzKZv9fO
— Romain Caillet (@RomainCaillet) 9 mars 2016
Près de 600 Français dans les rangs de l’EI
Selon les derniers chiffres donnés par les services de police française, près de 600 Français sont encore dans les rangs de Daech en Irak et en Syrie. Un chiffre qui serait confirmé par les fiches obtenues par Sky News. Depuis le début du conflit, 450 sont revenus sur le territoire.
Pour les services de police et de renseignement, les accusations contre les combattants européens présumés du groupe État Islamique se basaient avant tout sur des écoutes de conversations ou l’interception de messages privés échangés avec les amis et la famille, notamment sur les réseaux sociaux. Désormais, ces fiches remplies par la main des volontaires pourraient s’ajouter aux preuves et peut-être faciliter l’interception des combattants en cas de retour dans leur pays d’origine.