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Hôpital public : une enquête pour dénoncer la souffrance des médecins

Image d'illustration ©Tim Douet

Après avoir constaté que, malgré l’intérêt pour le sujet, les grandes chaînes de télévision française ne se saisiraient pas de leur projet ou tenteraient de “l’édulcorer”, Caroline Chaumet et Bernard Nicolas ont récolté plus de 20.000 euros grâce à une campagne de financement participatif pour réaliser le premier épisode de leur enquête “Hôpital à la dérive, patients en danger”.

À 36 ans, un brillant neurochirurgien du centre universitaire hospitalier (CHU) de Grenoble s’est suicidé dans son bloc opératoire. Si la lettre laissée indiquerait des motifs personnels pour expliquer l’acte, “il n’en reste pas moins que le choix du lieu a une signification”, écrit le médiateur national Édouard Couty dans un rapport à l’intention de la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn. Chargé d’“établir un diagnostic sur la situation de souffrance au travail dans certains services du CHU” de Grenoble, le médiateur met en cause le “style de management” de l’hôpital, maintenant une pression permanente sur les équipes et s’attardant particulièrement sur les résultats financiers.

Le médiateur recommandera notamment “une plus grande attention aux signaux d’alerte, même faibles”. Des signaux entendus régulièrement depuis près de deux ans par Caroline Chaumet, fondatrice du site Passeur d’alertes, ainsi que par le journaliste et réalisateur Bernard Nicolas. Parmi les lanceurs d’alerte rencontrés dans le cadre de reportages, il y avait quelques médecins, mais nous pensions qu’ils étaient lanceurs d’alerte au même titre que dans les entreprises, qu’il s’agissait de cas isolés dans quelques hôpitaux et souvent liés à un problème particulier. Mais, à force, nous nous sommes dit que ça faisait quand même beaucoup”, raconte Caroline Chaumet.

Plus de 400 signalements de médecins harcelés ou maltraités dans les hôpitaux

Les témoignages de harcèlement moral subi par des médecins continuent d’affluer et, le 17 décembre 2015, le professeur Jean-Louis Mégnien, cardiologue à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris, se défenestre depuis son bureau peu de temps après être revenu de neuf mois d’arrêt maladie. “Nous avons alors commencé à travailler avec les professeurs Philippe Halimi et Bernard Granger, qui ont créé suite au décès de Jean-Louis Mégnien une association nationale de lutte contre la maltraitance à l’hôpital public. En deux ans, l’association a reçu plus de 400 signalements de la part de médecins”, poursuit l’ancienne productrice de films documentaires et directrice littéraire. De ce travail d’enquête de deux ans sortira prochainement un livre écrit par Bernard Nicolas, mais également le premier épisode d’une série web-documentaire financé grâce à une campagne sur Ulule. “Les grandes chaînes de télévision avec qui nous étions en contact nous ont toutes dit que c’était très intéressant, mais personne ne voulait prendre le sujet. Pour certains, on nous a tellement demandé de retravailler le texte que nous avons compris que l’idée était d’édulcorer le sujet. Le problème de la gouvernance de l’hôpital public, des lois qui se sont succédé et qui ont déshumanisé l’hôpital avec comme conséquence un fonctionnement semblable à celui d’une entreprise privée, ce sont des choses dont on ne parle pas”, déplore Caroline Chaumet.

Avec la loi telle qu’elle existe, c’est facile de déstabiliser les têtes qui dépassent”

 

Loi sur les 35 heures – “qui a épuisé toutes les catégories de personnels soignants” –, tarification à l’activité (T2A) qui impose aux médecins de passer plus de temps sur l’administratif que sur les soins, loi HPST de 2009 qui “a donné tous les pouvoirs aux gestionnaires, dont les objectifs sont essentiellement financiers”, puis décision en 2016 de mettre en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui ont pour but de “mieux soigner à moindre coût”… En dehors des témoignages internes de lanceurs d’alerte au sein de l’hôpital, l’enquête souhaite mettre en lumière les conséquences des politiques publiques sur le corps médical et l’organisation des services. Tout est mis en place pour que ça dérape, tant au niveau de la hiérarchie que des confrères. Avec la loi telle qu’elle existe aujourd’hui, c’est très facile de déstabiliser les têtes qui dépassent.”

En seulement trois semaines, le budget permettant de tourner un premier épisode de 12 minutes a été atteint et même dépassé (21 450 € collectés sur un objectif de 18 900 €). Une réussite pour une première campagne de financement participatif. Ce sujet n’est pas seulement un problème de médecin et de soignant, c’est aussi un problème de patient. Quand des services hospitaliers dysfonctionnent, il y a forcément un problème de prise en charge médicale des patients. Nous sommes également privés de médecins extrêmement investis dans leur travail qui n’ont plus de postes, ne sont plus en mesure de soigner ou sont en arrêt maladie pour dépression pendant de nombreuses années. Certains ne reprendront jamais le chemin du travail tant ils ont été brisés”, ajoute Caroline Chaumet. Si la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, semble prendre la question de la souffrance au travail très au sérieux après le suicide d’un neurochirurgien au bloc opératoire du CHU de Grenoble, Bernard Nicolas et Caroline Chaumet comptent bien démontrer par leur enquête la nécessité d’aller plus loin pour faire cesser la dérive de l’hôpital.

 

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