36 associations et médias, dont le magazine Lyon Capitale, soutiennent le recours en justice du journal Le Monde face au refus de la Cada de communiquer la liste des implant médicaux ayant reçu une certification européenne. Cela alors qu’une enquête journalistique internationale, baptisée “Implant Files”, a prouvé la dangerosité de certains pacemaker, pompes à insulines ou prothèses, ainsi que la faiblesse aberrante du dispositif de contrôle européen. Des carences soulignées dans un récent rapport parlementaire. Trop peu face au secret des affaires, motivant le refus de la Cada.
“Une décision inique”. Le collectif “Société civile contre secret des affaires”, fustige la décision de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), qui a refusé de communiquer au journal Le Monde des informations relatives à la mise sur le marché d’implants médicaux. Quelques mois après la révélations du scandale des “Implant Files” (lire plus bas), par une enquête journalistique internationale à laquelle Le Monde a contribué, les journalistes du quotidien ont demandé à connaître la liste des dispositifs ayant obtenu le fameux marquage “CE”, qui vaut autorisation de mise sur le marché. En clair, ils voulaient savoir quels sont les produits implantables dans le corps des patients européens. Et on les comprend au vu de la dangerosité de certains d’entre eux. Circulez a dit la Cada, pourtant censée garantir l’information des citoyens.
Dans un avis du 25 octobre 2018, la Commission, bien qu’elle reconnaisse que les “organismes habilités, qui octroient le marquage CE aux dispositifs médicaux, assurent, sous le contrôle de l’ANSMPS, une mission d’intérêt général visant à assurer la qualité et la sécurité des produits médicaux, pour laquelle ils sont investis de prérogatives de puissance publique”, estime toutefois que “la communication de la liste des dispositifs médicaux (…) serait susceptible de porter atteinte au secret des affaires, protégé par le 1° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, en révélant des informations économiques sur cette entreprise, à savoir le nom des fabricants de ces dispositifs”. Le Monde a déposé un recours.
Secret des affaires
“Qui aurait cru que l’anonymat de fabricants pèserait plus lourd que le droit à la santé ?”, attaque le collectif “Société civile contre secret des affaires”, qui réunit 36 associations et médias, dont le magazine Lyon Capitale. Ensemble, ces organisations entendent faire pression en soutenant le recours formulé devant le tribunal administratif. Le collectif s’inquiète face à la concrétisation des inquiétudes formulées par les nombreux opposants à la transposition de la directive européenne sur le droit des affaires dans le droit français, intervenue à l’hiver 2018. Les défenseurs de ce texte avaient pourtant assuré qu’il ne limiterait pas la liberté d’informer. D’ailleurs la directive européenne prévoit qu'”il est essentiel que l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information, qui englobe la liberté et le pluralisme des médias, (…) ne soit pas restreint, notamment en ce qui concerne le journalisme d’investigation et la protection des sources des journalistes”. D’autant plus incompréhensible pour les journalistes et les associations donc. Surtout quand l’enquête en question, celle des “Implant Files”, menée au sein du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) par Le Monde, France 2 et Cash Investigation, avec 250 journalistes de 59 médias, a permis de révéler de graves failles de sécurité sur les implants médicaux. Lesquels font l’objet d’une législation bien plus légère que les médicaments pour les autorisations de mise sur le marché. Et de contrôles lacunaires.
8200 décès par an aux Etats-Unis
La FDA (Food and drug administration), seul organisme à disposer d’un décompte précis des dispositifs implantés chez les patients et des dysfonctionnements, a répertorié 5,4 millions d’incidents aux Etats-Unis entre 2008 et 2017, dont 82.000 ont conduit à la mort. Soit 8200 décès par an ! Les chiffres de l’agence américaines sont alarmant. Elle recense 1,7 million de blessés en dix ans et 3,6 millions de défaillances. Avec une tendance clairement à la hausse. Le nombre d’incidents a été multiplié par 5 en dix ans, toujours aux Etats-Unis. Les dispositifs les moins fiables sont les pompes à insuline équipées d’un capteur de glycémie avec 421.000 incidents dont 1518 mortels, alors que les appareils de dialyse automatisée en cas d’insuffisance rénale, sont les plus mortels avec 2624 décès en dix ans. Pompes à perfusion, capteurs et lecteurs de glycémie, pacemakers ou encore prothèses de hanche figurent parmi les implants les plus dangereux.
“Faillite complète”
En Europe les gouvernements ne disposent que de très peu de données sur ces incidents, dont on estiment que 1% à 10% seulement sont déclarés. La base française “MRVeille”, est très incomplète. Elle fait néanmoins état d’un nombre d’incidents doublé en dix ans. En parallèle le système européen d’autorisation de mise sur le marché inquiète. Les certifications sont obtenues par le biais d’organismes notifiés privés, à qui le public a délégué ce pouvoir. Des organismes payés par les fabricants. Si bien que les contrôlés payent les contrôleurs, forcément légers. En 2014, une journaliste hollandaise a même réussi a présenter un filets à mandarine comme prothèse contre les descentes d’organes. Et à obtenir des approbations de principe de trois sociétés différentes pour vendre cet “implant” ! Il suffirait de présenter le dispositif comme similaire à ceux déjà sur le marché pour obtenir les certifications. La journaliste du Monde, Stéphane Horel, explique ainsi qu’un pacemaker a pu être commercialisé après avoir été testé sur 58 moutons et 33 humains. On est très loin des tests cliniques observés pour les médicaments.
L’UE évoque des “défaillances” dès 2002. Mais les volontés de réforme se sont heurtées, en 2008, à une levée de boucliers des lobbyistes, dans un secteur ou il n’existe pas d’ONG pour contrer ce pouvoir d’influence des industriels. Un rapport parlementaire faisant suite à l’enquête “Implant Files” a souligné en mars dernier la “faillite complète” du système européen en la matière, un “dysfonctionnement massif”, et un contrôle “nettement insuffisant”. Malgré les scandales successifs, des prothèses PIP aux implants contraceptifs Bayer, peu d’avancées notables, alertent les députés Julien Borowczyk (LREM) et Pierre Dharréville (PCF). D’où l’intérêt de laisser les journalistes informer citoyens et patients quant aux risques encourus… D’autant que ce sont leurs révélations qui sont à l’origine des quelques avancées récentes, comme l’interdiction de certaines prothèses mammaires macro-texturées, début avril.
L’enquête du Monde sur les “Implant Files” est disponible ici (version numérique payante).