Le Lanceur

Interpol reconnaît des notices rouges politiques infondées

Interpol a supprimé, au mois de février, les notices rouges qui pesaient depuis plusieurs années sur Dolkun Isa et Muhiddin Kabiri, deux dissidents politiques asiatiques. Un aveu quant au caractère abusif de leur fichage, signalé par de nombreux observateurs.

Il aura donc fallu dix-neuf ans à Interpol. Dix-neuf ans pour que l’organisation de coopération policière internationale se rende compte qu’elle s’est fait berner par la Chine en faisant ficher le dissident politique Dolkun Isa. La notice rouge dont celui-ci faisait l’objet depuis 1999 a été supprimée le 20 février. Après deux décennies d’arrestations impromptues dans les aéroports autour du monde, limitant ainsi sa capacité de déplacement… et de nuisance pour le régime chinois. Idem pour Muhiddin Kabiri, chef de l’opposition au Tadjikistan. Poursuivi par les autorités de son pays, puis fiché par Interpol depuis 2015, il ne l’est plus (fiché) depuis le mois de février. ONG et médias avaient alerté de longue date quant à la dimension politique de ces deux notices.

Supprimer ces deux notices revient à reconnaître leur caractère abusif. “Une notice rouge n’aurait jamais dû être publiée sur mon nom”, tacle Dolkun Isa, pointant une forte politisation” d’Interpol. Deux erreurs réparées, pour une myriade de notices abusives toujours effectives. La suppression de ces notices rouges ne signifie pas qu’Interpol a évolué, ni la CCF [commission de contrôle des fichiers d’Interpol, NdlR] progressé dans son travail, comme promis, tance le dissident chinois Wei Jingsheng, contacté par Le Lanceur. Cela montre seulement qu’ils ont fait des concessions limitées sous la forte pression de la communauté internationale.” Initié dans les colonnes de Lyon Capitale, le documentaire Interpol, une police sous influence ?, diffusé sur Arte le 20 mars (et en avant-première à Lyon le 15 mars), viendra éclairer le manque de rigueur de l’organisation dans le contrôle de l’émission des notices.

Capture d’écran Twitter (Louisa Greve)

Erreurs et traque policières

L’émission de notices à caractère politique est interdite par les statuts d’Interpol, rappelle Fair Trails : Interpol a une politique claire selon laquelle les notices rouges ne peuvent être utilisées à des fins politiques et un pays ne peut pas en publier contre les réfugiés qui ont demandé l’asile politique en raison de la persécution de ce pays.” Elles ont pourtant fleuri depuis l’an 2000, sans que l’organisation y porte une réelle attention. Un écueil qui touche d’abord les dissidents de pays autoritaires partout dans le monde, de la Russie à la Turquie en passant par les plaines d’Asie centrale. L’outil s’avère particulièrement efficace pour harceler les opposants, par-delà les frontières. Pendant des années, Dolkun Isa a souffert des tentatives de la Chine pour l’empêcher de faire campagne en exil pour le peuple ouïghour”, notait Jago Russel, le directeur de l’ONG Fair Trails, en pointe sur ces questions.

En dépit de son statut de réfugié, qui aurait dû interdire l’émission d’une notice rouge, Dolkun Isa doit à Interpol de nombreuses arrestations ces dernières décennies, de l’Italie à la Corée en passant par les États-Unis, l’Inde ou la Turquie. En juillet dernier encore, Pékin le qualifiait de “terroriste recherché par Interpol et la police chinoise”. “Le cas de Dolkun souligne la nécessité pour les pays et les mécanismes de police internationaux de rester vigilants face aux tentatives des régimes autoritaires de cibler les dissidents à l’étranger”, prévient Fair Trails. Dans la foulée, la notice rouge visant le chef de l’opposition du Tadjikistan, petit État montagneux et autoritaire d’Asie centrale, a également été supprimée. Poursuivi pour des raisons clairement politiques selon plusieurs observateurs internationaux et fiché par Interpol, Muhiddin Kabiri vit en exil depuis 2015. “Interpol a été largement détourné par les pays autoritaires pour faire taire les activistes pacifiques”, a taclé le principal intéressé.

“La plupart des erreurs ne sont pas corrigées”

La série d’engagements pris en 2015, comme les modifications organisationnelles entamées depuis, avaient séduit des observateurs moins confiants après la nomination du vice-ministre à la Sécurité publique chinois, Meng Hongwei, à la présidence de l’organisation. Il faut néanmoins reconnaître que la CCF, chargée du contrôle des notices émises, n’a pas hésité à aller contre les intérêts de l’État chinois, à l’origine de la demande de fichage de Dolkun Isa. “Nous sommes ravis que le mécanisme amélioré de traitement des plaintes d’Interpol ait fonctionné comme il le devrait et soit allé contre l’abus de la Chine sur le système des notices rouges”, a réagi Jago Russell.

De là à parler de preuve d’indépendance et de rigueur accrue dans le fichage, il faudra attendre la suppression de nombreuses autre notices politiques visant des dissidents partout dans le monde. “Ce ne sont que quelques corrections, la plupart des erreurs ne sont pas corrigées”, souligne Wei Jingsheng, insistant sur les “lacunes dans l’utilisation des politiques d’Interpol”. “L’examen des notices et des diffusions [autre système de fichage, moins formel, d’Interpol] repose sur les informations disponibles lors de la transmission de la demande, se défend Interpol. Si, après la publication des notices/diffusions, de nouvelles informations importantes sont portées à l’attention du secrétariat général, l’affaire est réexaminée.”

Fair Trails appelle à poursuivre les efforts. Nous travaillons et continuerons à travailler avec les ONG ainsi qu’avec les personnes qui soulèvent d’éventuels problèmes avant même la transmission d’une demande à Interpol”, glisse de son côté le secrétariat général (lyonnais) d’Interpol. C’est encore une fois une vigilance à réaction que promet l’organisation policière internationale. Loin de satisfaire ceux dont la liberté d’expression et de mouvement est menacée par ses notices. Comme s’en insurge Wei Jingsheng : “Sous prétexte de ne pas modifier la structure et les politiques de base d’Interpol, le gouvernement chinois a toujours le contrôle sur Interpol.”

 

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