L’opposition socialiste à Bordeaux accuse le maire Alain Juppé d’avoir maquillé les saintes écritures de la comptabilité publique dans le seul but de cacher un déficit de 44 millions.
Si vous lui parlez d’emprunt fictif son visage se crispe et vous voilà fusillé d’une phrase : “Vous n’êtes pas procureur !”… Le maire de Bordeaux avait initialement prévu de ne pas réagir et lorsque la question lui est posée lors de sa traditionnelle conférence de presse d’avant conseil municipal, c’est à son adjoint aux finances Nicolas Florian, exceptionnellement invité, qu’il laisse le soin de répondre à cet article de Sud Ouest paru la veille et dans lequel le conseiller municipal socialiste Matthieu Rouveyre accuse très clairement Alain Juppé d’avoir maquillé les saintes écritures de la comptabilité publique en inscrivant dans le compte administratif 2015 de la commune et reporté au budget supplémentaire 2016, une recette d’emprunt de 49 millions d’euros dans le seul but de cacher un déficit de 44 millions.
L’adjoint s’en explique et il a même un document à distribuer aux journalistes présents. Une simple note destinée à nous éclairer sur cette affaire d’emprunt inscrit dans la colonne des “restes à réaliser” au titre des investissements. Il s’agit d’une subtilité qui concerne des emprunts qui ne sont pas contractés et donc non consommés mais qui peuvent légalement être inscrits dans les comptes de l’année en cours tout en restant disponibles pour l’année suivante. Et dans ce cas précis, le grand argentier nous explique que la mairie de Bordeaux a en sa possession deux lettres de réservations de deux établissements bancaires pour 35 millions d’euros chacun, 70 millions au total, disponibles à la demande. “C’est une ligne de réservation d’un crédit à venir si toutefois on en a besoin, là c’est de la pure règle de comptabilité et d’écriture, hein !”…
Nicolas Florian en a semble-t-il terminé avec ses explications mais Alain Juppé, directement visé par son opposition, mesure à cet instant qu’il se doit de réagir. Alors il prend la parole : “Il n’y a évidemment pas d’emprunt fictif, à la fin de chaque exercice il y a des dépenses qu’on n’a pas encore payées et qui sont reportées sur l’exercice suivant. Ca se passe comme ça partout et tout le temps. Et il y a en face des recettes qui sont aussi reportées sur l’année suivante (…/…) Bon voilà, il n’y a aucun emprunt fictif, c’est de la bonne gestion et bon, il y a une procédure qui a été engagée, nous sommes tout à fait confiants pour qu’elle se déroule”. Fermez le ban.
Le problème pour Alain Juppé c’est que l’affaire n’est pas si simple et que le groupe socialiste de son conseil municipal a bien l’intention de pousser le bouchon. Il a déjà interpelé le préfet de région et lui demande de saisir la Chambre Régionale de Nouvelle Aquitaine pour contraindre le maire de Bordeaux “à rétablir la sincérité des comptes”.
La Ville de Bordeaux sous tutelle ?
Matthieu Rouveyre accuse : “Cet emprunt qui permet de cacher un déficit important de la Ville de Bordeaux de 44 millions d’euros n’existe pas !” Et 44 millions de déficit selon cet élu, c’est plus de 8 % des recettes de fonctionnement soit 3 points de plus que ce qu’autorise le Code Général des Collectivités Territoriales dans son article L 1612-14 qui limite à 5 % le déficit autorisé pour les communes de plus de 20 000 habitants. En pareille situation, la chambre régionales des comptes, saisie par le Préfet, pourrait mettre la commune sous tutelle ! Imaginez l’infamie d’une telle sentence si elle devait être prononcée contre “le meilleur d’entre nous”.
Pour justifier d’une inscription au compte administratif, un emprunt doit s’appuyer sur des lettres dites de réservation apportant des éléments précis des banques qui s’engagent à octroyer un prêt. Et ces lettres doivent être signées avant le 31 décembre N-1. C’est la loi. Or, dans les documents que nous nous sommes procurés (voir PJ), la première lettre de la Banque Postale est datée du 11 janvier 2016 (sic) et son offre ne courait que jusqu’au 26 janvier de cette année. L’emprunt n’a donc pas été accepté par la Ville. La deuxième lettre, celle de la banque Arkéa est quant à elle datée du 31 décembre 2015, pile poil, mais elle ne contient aucune offre formelle.
Un magistrat de chambre régionale des comptes qui a examiné les pièces de ce dossier estime que le budget primitif 2016 de la Ville de Bordeaux était “sans doute insincère faute de restes à réaliser effectifs en emprunts”. Mais le préfet n’est tenu à aucun délai pour saisir la CRC.
L’affaire est suivie de très près par Matignon et par l’Elysée. Parmi le groupe des élus socialistes à la mairie de Bordeaux figure un certain Vincent Feltesse, ancien candidat au poste de maire contre Alain Juppé et qui est aussi conseiller de François Hollande. Et on imagine bien que ce caillou dans la botte d’Alain Juppé intéresse aussi chez les Républicains à quelques mois de la primaire.