En quelques mois, les citoyens d’Imphy et de Sauvigny-les-Bois ont brisé l’omerta sur l’envol de poussières chargées de métaux lourds, dans ce coin de la Nièvre. Les particules proviennent du site d’Harsco Minerals, une multinationale qui recycle le terril de l’aciérie d’Imphy pour en extraire du nickel ou des terres rares convoitées. Alerté par les problèmes de santé des riverains, le collectif Stop Pollutions vient de faire analyser ces particules fines. Les résultats, qui serviront de preuves dans leur action en justice, Le Lanceur a pu les consulter.
“Excusez notre ami, il a dû partir à Paris pour des examens pulmonaires poussés”, lance Roger Martin avant d’ouvrir la réunion, dans la salle des associations d’Imphy (Bourgogne). Un soupir circule autour de la table, en ce samedi après-midi. Il faut dire qu’ils ont l’habitude, ces anciens salariés de l’aciérie. Depuis des années, ils voient tomber leurs collègues de l’usine, touchés par différents cancers liés à l’amiante.
Dans le quartier où se trouve le terril de l’usine, on s’inquiète de la qualité de l’air, des surinfections bronchiques chez les enfants ou de problèmes de thyroïde chez les femmes du voisinage. Même si plus rien ne semble étonner les citoyens de cette commune d’environ 3 000 habitants qui s’est forgée autour des Aciéries d’Imphy, appelées aujourd’hui Aperam et détenues en grande partie par la famille Mittal.
En revanche, s’ils ont subi de plein fouet les ravages de l’amiante, ils ne supporteront pas un scandale sanitaire de plus. Depuis des mois, une vingtaine de citoyens réunis au sein du collectif Stop Pollutions dénoncent les rejets de poussières toxiques dans la ville, en provenance du terril exploité par Harsco Minerals.
C’est en 2009 que la multinationale s’est implantée sur le terril d’Imphy, alors inerte et végétalisé, avec l’autorisation de la préfecture de Nevers et l’accord d’Aperam, pour y recycler les “laitiers”, c’est-à-dire la matière de recouvrement utilisée lors de la fonte du métal contenant de la chaux, de la silice ou encore de l’oxyde de chrome. Depuis, Harsco Minerals a traité tout le crassier (autre nom du terril) historique et recycle désormais les nouveaux laitiers des fours d’Imphy, mais aussi d’autres usines en France. En tout, il y aurait déjà eu près de 600 000 tonnes broyées et filtrées sur place, selon la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Mais, en traitant ces déchets pour en extraire des métaux à forte valeur marchande, de fines particules s’envolent dans l’atmosphère sur les communes d’Imphy et Sauvigny-les-bois.
On n’est plus dans les Trente Glorieuses, ça suffit. On ne devrait pas trouver des phtalates dans l’air que respirent les citoyens”
Pour prouver cette pollution, les riverains ont décidé d’ouvrir leurs systèmes de ventilation, de racler leurs pare-brise… pour récupérer eux-mêmes la poussière qui s’incruste dans leurs maisons et la faire analyser. “Je suis indigné quand je vois les résultats, souffle de l’autre côté du combiné Bernard Tailliez, dans son laboratoire indépendant, Analytika, à Cuers (Var). On n’est plus dans les Trente Glorieuses, ça suffit. On ne devrait pas trouver des phtalates et des terres rares dans l’air que respirent les citoyens.”
Le directeur de ce laboratoire privé qui a fait les analyses s’inquiète de la présence de trois phtalates, reconnus comme des perturbateurs endocriniens, surtout le DEHP. “Nos rapports analytiques mettent en évidence la présence de très nombreux polluants à de fortes concentrations dans les poussières aéroportées induites par une activité industrielle autorisée. Ils démontrent donc que les pouvoirs publics n’ont pas satisfait à l’obligation que leur impose l’article 5 de la Charte constitutionnelle de l’environnement*”, commente-t-il.
Sans parler de l’amiante, qui n’a pas encore été recherché. “On sait qu’il y a des tonnes d’amiante qui avaient été déversées sur le crassier historique. C’est lié à l’histoire d’Imphy”, martèle Guy Clerc, ancien militant CGT de l’aciérie et d’Aubert & Duval. “Ils y ont mis de l’amiante mais aussi des PCB et des acides”, surenchérit Roger Martin, un ancien employé d’Aperam, à la tête du collectif Stop Pollutions avec sa femme Martine. “La première responsabilité revient à Aperam, qui connaissait très bien la composition de son crassier”, tranche un des membres de Stop Pollutions. Sur ces questions, Aperam se défend mécaniquement : “Comme dans la majorité des industries du secteur, le traitement de ces coproduits est assuré par des sociétés spécialisées, dans notre cas Harsco, auxquelles nous demandons un maximum d’attention à l’environnement et à la santé.”
Un cocktail de terres rares
En attendant l’expertise tout juste lancée par la préfecture, les analyses de Stop Pollutions servent à montrer la présence de terres rares dans le terril, des métaux très convoités par les industries de produits de haute technologie, d’autant plus que la Chine en a le quasi-monopole. “Je compte 11 terres rares dans les analyses, dont 3 en quantités non négligeables : le cerium, le niobium et le lanthanum. S’il y en a dans les poussières dans le système de ventilation des maisons, imaginez ce qu’il y a dans le crassier”, souligne André Picot, le célèbre toxicochimiste du CNRS que nous avons rencontré, en remettant ses lunettes en place.
Contactée à ce sujet, la direction d’Harsco Minerals France n’a pas souhaité s’exprimer sur son activité, ni sur les risques potentiels pour la santé des riverains.
Par ailleurs, les terres qu’Harsco traite, issues de la fusion d’aciers inoxydables, contiennent des métaux lourds, du plomb, du nickel ou du chrome, comme le révélaient déjà des mesures de retombées de poussières effectuées à l’été 2015. “Il y a des métaux lourds, mais il n’y a pas de fibres d’amiante sur les mesures de 2015”, avait déclaré Gilles Roux, le chef de service de la Dreal, à Lyon Capitale en décembre 2015. “Harsco a peut-être fait des bêtises et, dans ce cas, ils iront devant la justice. En attendant, ils ont nettoyé le tas historique du terril”, avait-il ajouté. Ces analyses sont rares et difficiles à obtenir auprès de la préfecture. Dans l’arrêté préfectoral du 26 août 2009 autorisant l’exploitation, il est pourtant inscrit que l’entreprise doit effectuer ces mesures deux fois par an. “Cela n’a pas été respecté au début, mais la préfecture leur a sévèrement rappelé de le faire. Maintenant, les analyses seront faites comme exigé et il y a des contrôles réguliers sur le site d’Harsco”, assure Agnès Bonjean, directrice des services du cabinet de la préfecture de la Nièvre. “On ne va pas tirer de conclusions sur un risque sanitaire avant l’étude de l’Institut de veille sanitaire (INVS) proposée par le préfet, qui devrait être lancée à l’été. On veut affiner les recherches pour connaître les potentielles répercussions sur la santé”, insiste Agnès Bonjean.
Désabusé après toutes ces années, le collectif de citoyens n’a plus qu’une idée en tête : ils veulent que l’activité d’Harsco Minerals cesse dans la ville. “Quand il fait beau, on respire ces poussières. Quand il pleut, tout va dans la Loire. Des dizaines de camions traversent la ville, pas toujours bâchés”, s’indigne Bernard Daguin, ancien représentant du personnel au comité d’hygiène et de sécurité de l’aciérie, et adjoint au maire d’Imphy de tendance communiste.
Grâce à une collecte d’argent sur Internet, Stop Pollutions vient de récupérer 7 300 euros afin de lancer une procédure, accompagné par un cabinet d’avocats parisien réputé sur ces questions de toxiques.
* Charte de l’environnement de 2004, article 5
“Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.”