L’insertion des jeunes dans le monde professionnel est entravée, tant par le manque de confiance des employeurs que par le sentiment des jeunes d’être incompris de ce monde qu’ils sont censés révolutionner. C’est l’analyse de Georges Séror, responsable de l’axe Communication digitale et apprentissage au pôle universitaire Léonard-de-Vinci, pour qui les jeunes ne sont pas des “demandeurs d’emploi” mais des “offreurs de talents”, qui se heurtent à des représentations plus en adéquation avec le monde du travail du XXIe siècle. Entretien.
Le Lanceur : Vous parlez des difficultés des jeunes à s’insérer dans le monde du travail, malgré le fait qu’ils sont “les seuls à savoir ce que sera l’entreprise de demain”. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Georges Séror : Ils ont cette perception intuitive, sans qu’ils le sachent, sans qu’ils s’en rendent compte, de ce qui est en train de se profiler comme mutations dans l’entreprise. Ils voient bien que l’entreprise traditionnelle, avec les horaires du matin, les rendez-vous, le repas de midi… que tout ça est en train d’exploser.
Ils sont dans cette espèce de mobilité, il faudrait qu’ils puissent réinventer l’entreprise de demain, tout en s’y insérant. Et s’insérer dans un modèle tout en le réinventant, c’est extrêmement difficile.
Il faut leur faire plus confiance. À une époque, jeunesse allait de pair avec évolution, croissance, challenge. Là, on est tellement dans un monde complexe, de crise, de crainte, qu’on fait confiance, paradoxalement, à ce qui existe déjà.
La réforme du droit du travail, dans l’esprit en tout cas, doit apporter plus de souplesse, faciliter l’entrée sur le marché du travail. Pourtant, une partie de la jeunesse se mobilise contre. Les réponses du Gouvernement ne correspondent pas aux aspirations de la jeunesse ?
On parle de plus de souplesse pour permettre à tout le monde de prendre plus de risques, en disant aux gens “Vous travaillez, si vous êtes bons, ça continue, sinon on passe à autre chose”. Mais il y a des acquis sociaux auxquels tout le monde tient, y compris les jeunes. C’est ce paradoxe face auquel tout le monde se retrouve.
Ces mutations leur sont proposées par les anciens. Les jeunes s’accrochent à ce qui existe et se disent “Non seulement on n’y arrive pas, on doit faire évoluer le système, mais en plus on ne nous demande pas notre avis”.
Je ne suis pas contre la contestation, mais les gens attendent plus que ça. Ils attendent qu’on leur demande leur avis, les jeunes en particulier.
Vous dites qu’ils “ne sont pas demandeurs d’emploi mais offreurs de talents”. Mais, d’après vous, on ne leur donne pas suffisamment la possibilité de faire leurs preuves ?
Ils ont la possibilité de se lancer, ils peuvent être autoentrepreneurs. C’est bien, mais ce n’est pas donné à tout le monde. Quand on est entrepreneur, il faut faire des sacrifices, avoir des choses à proposer, être offensif. Or, on a l’impression que les jeunes, par l’effet pervers de cette société qui les étouffe, sont maintenus dans un rôle de consommateur.
Il y a aussi le paradoxe des études. Il faut avoir un bac+5 et en même temps se lancer très tôt. Il faudrait à la fois être capable de digérer Le Capital de Marx et réinventer le XXIe siècle. Pas évident quand on a 20 ans.
C’est un état d’esprit qu’il faut amener aux jeunes, leur redonner de la confiance, de l’espoir, par le principe de l’entreprise. Leur dire “Allez-y”.
Comment leur redonner cet espoir, cette confiance dans l’avenir et cette envie de prendre des risques ?
La solution passe avant tout par une réelle prise de conscience. Ce qui doit être fait très prioritairement, d’un point de vue du discours, c’est de dire : “Essayez de vous prendre en main, prenez confiance, allez-y, parce qu’on a besoin de vous.”
Il faut redonner aux jeunes la possibilité de s’exprimer, de penser, d’avoir une vision de leur futur. Tout le monde a du mal à visualiser à plus de trois ans. Quand on pense à 2020, ça fait peur à tout le monde alors que c’est dans quatre ans. C’est redonner une possibilité de vision à moyen terme, si ce n’est à long terme, et se désinhiber de cette espèce de crainte.
Le Lanceur publie ci-dessous l’article de Georges Séror paru sur le site The Conversation.
Emploi : les jeunes n’ont que leurs talents à offrir !
Georges Séror, pôle universitaire Léonard-de-Vinci
Dans une conjoncture en mutation les jeunes sont de plus en plus formés, informés, conformés… voire transformés.
Entre les milliers d’applications sur leur smartphone, des informations à glaner sur Internet, les échanges sur les réseaux virtuels, les tutoriels en tout genre, rien ne peut échapper à un jeune, futur diplômé, grâce au digital.
Rien, sauf : un emploi, un job, une activité, une opportunité de se lancer sur un projet d’entreprise, une start-up nouvelle génération.
Rejetés et incompris
Un jeune sur cinq ne parvient pas à s’imaginer en situation d’espoir quant à son intégration dans le monde du travail.
En effet, les jeunes ont pour la plupart le sentiment d’être rejetés et incompris comme futurs professionnels.
Le monde de l’entreprise change et se numérise. Aussi, les jeunes sont repoussés par manque d’expérience, qu’ils se doivent d’acquérir empiriquement sur le terrain.
Être jeunes diplômés et professionnels dans le même temps… Comment peuvent-ils valoriser l’expérience qu’ils ont mais qu’ils n’ont pas, alors que le monde du digital leur appartient déjà ?
Eux seuls savent bien ce que sera l’entreprise de demain. Leur expérience des nouveaux comportements digitaux est la seule, réelle et sérieuse du monde économique en mutation qui puise ses ressources au sein des nouvelles envies des consommateurs qu’ils sont, de fait.
Savoir en mutation
De plus, le monde des anciens, qui les rejette tant, pense savoir mais ne sait pas ce dont sera fait demain. À l’heure actuelle, les connaissances dispensées sont forgées sur des réalités construites sur une société datant du XXe siècle. Le savoir des jeunes est déjà, lui aussi, en mutation. Donc, le savoir des anciens l’est bien plus encore…
Les jeunes générations comprennent plus que quiconque la révolution numérique. Leur forme de pensée est déjà construite sur de nouveaux raisonnements qu’eux seuls sont à même de percevoir au quotidien.
Communauté de travail, réunion de compétences, partages de locaux, bars connectés pour profiter d’un moment de convivialité sont déjà des comportements innovants quant au monde professionnel transformé lui aussi par le digital.
Ainsi, pour que les jeunes parviennent à faire valoir leurs talents, il est question pour eux de prouver leur capacité à mettre en œuvre leurs connaissances, valoriser leurs acquis et affirmer leur efficacité en entreprise. Transcender leurs ressentis du monde nouveau grâce à une vision stratégique d’un futur monde professionnel, déjà présent, c’est bien là le défi.
Exposer la vision du futur
Les jeunes doivent faire la preuve de leur savoir-faire, être à même de s’insérer dans un monde à la fois ancien et nouveau et exposer leur vision du futur aux anciens qui peinent à se mettre en marche vers un futur proche leur paraissant inaccessible.
Les jeunes ne peuvent donc chercher un emploi qui n’existe pas encore puisque la plupart des métiers de demain sont en définition. Ils se doivent donc d’être offreurs et demandeurs.
Difficile lorsqu’on a 20 ans ! Repenser les bases de l’économie, créer les grandes entreprises qui seront les majors des années 2030 et offrir leurs talents tout en étant demandeurs de rien.
Les jeunes ne sont pas demandeurs d’emploi, en fait, ils sont offreurs de talents !
Georges Séror, responsable pédagogique de l’Axe Communication Digitale et Apprentissage, Pôle Universitaire Léonard de Vinci
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.