Première partie, les coulisses du CSA – Le 18 octobre 2011, le CSA présidé par Michel Boyon lançait un appel à candidatures pour attribuer six nouveaux canaux sur la TNT gratuite. Fiducial Médias a participé à cette compétition, qui s’est révélée n’être qu’une farce.
Le jour même du dépôt des candidatures, nous connaissions ainsi les six lauréats. Nous avions déjà alerté à l’époque sur la revente de Numéro 23, cette chaîne n’ayant été attribuée, formatée et calibrée que dans ce seul but. Histoire d’un scandale d’État où l’argent et les fréquences ne sont pas perdus pour tout le monde.
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La TNT, un scandale d’État : première partie, les coulisses du CSA
http://www.youtube.com/watch?v=eZP-ti39DIk
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Chérie 25
Les hommes et les enfants n’auront pas le droit de la regarder car c’est la chaîne concoctée tout exprès par Jean-Paul Beaudecroux, le patron d’NRJ, pour les femmes. Mais attention, pas pour n’importe lesquelles, pour “les femmes plurielles et multiples“, précise Christine Lentz, la directrice des programmes. Si la chaîne se veut “informative”, elle n’aura pas de journal télévisé. Pour autant, Chérie 25 parie sur des “programmes forts”. Et met en avant le magazine 10 ans de moins, “une émission 100% astuces, 0% bistouri”, 99% plaisir, “une émission qui s’intéressera aux arts de la table, à l’évasion et aux plaisirs de la vie en général” ou encore Roxanne ou la vie sexuelle de ma pote, “un format court de trois minutes, original et gonflé, qui raconte la vie et les ratés amoureux d’une trentenaire célibataire à la recherche de l’homme idéal“, toujours selon la directrice des programmes, qui s’est confiée à Terrafemina. -
RMC découverte
C’est la chaîne hyper low cost des documenteurs et le robinet à images et à testostérone version Alain Weill. Tout le monde aura le droit de la regarder, y compris le populiste Bourdin et les ex-journalistes de La Tribune, qui désormais ont pas mal de temps à tuer et qui pourront toujours envoyer leur CV à la chaîne. Tout le monde, sauf les femmes, les enfants et les daltoniens, lesquels risquent la schizophrénie, car, grande innovation, non seulement “les programmes seront forts” mais ils se déclineront en couleurs. Univers vert : “Brady Barr approchera les reptiles ou animaux dangereux en tous genres“. Univers rouge : “Stan Lee et Daniel Browning (l’homme le plus souple du monde) feront le tour de la planète à la recherche de personnes aux dons extraordinaires“. Univers jaune : ce sera la séquence intellectuelle (car même les hommes body-buildés ont un cerveau) et le retour tant espéré de Karl Zéro, lequel, muni des mêmes lunettes mais un peu plus chauve, va “essayer de répondre aux questions que peut se poser le téléspectateur“. -
Numéro 23 (et déjà ex-future TVous la Diversité)
Ce serait, d’après Michel Boyon, la chaîne que tous les Français attendaient depuis toujours, le passage à l’acte du cheval de bataille du CSA, l’étalon de la diversité, et un large public pourrait a priori la regarder. “A l’exception de l’homme blanc, bien portant et hétérosexuel”, rétorque néanmoins la députée socialiste Martine Martinel, rapporteure pour avis des crédits de l’audiovisuel. En réalité, il est encore trop tôt pour savoir si cette chaîne sera, comme l’a juré son concepteur Pascal Houzelot, créateur de Pink TV, “une chaîne thématique aux programmes forts axés sur la diversité des origines et des cultures“, ou si elle sera plutôt une “mini-généraliste dont la grille des programmes s’articulera autour de séries, de fictions, de magazines et de divertissements“, comme l’affirme sur son site TF1 Publicité, chargée de commercialiser Numéro 23. -
L’Équipe 21
C’est la chaîne que tout le monde pourra regarder, à l’exception notable de ceux qui s’intéressent au sport. Impossible en effet d’y suivre en direct un match de football ou de rugby, un meeting athlétisme, de la Formule 1, Roland Garros ou les J.O. Lionel Rosso, ancien journaliste de Canal et “nouveau visage de L’Équipe 21” n’en sait guère plus sur les programmes. Interviewé par… L’Équipe, il tient toutefois à préciser : “On va faire de la télé tous ensemble et cette force-là est déjà palpable. Les gens qui vont nous regarder vont ressentir cette force, cette envie. On pourra retrouver des programmes forts tout le temps. 24h/24 ! C’est une chaîne d’info qui se renouvelle sans cesse, qui a la vocation et l’ambition de donner des informations nouvelles régulièrement, avec des tranches fortes“. Une chaîne d’info forte, donc, où le seul “sport” qu’on pourra suivre en direct, serait, d’après les informations de Lyon Capitale, le tiercé, le quarté et le quinté plus. -
HD1
Pas grand chose à dire, c’est la fifille à TF1, qui y testera ses idées : si une idée marche, elle sera clonée en temps de cerveau disponible chez maman. A priori, cette “chaîne de toutes les histoires” pourra intéresser tous les publics et n’en seraient exclus que les extra-terrestres et les sujets au Q.I. supérieur à 62 et/ou à la capacité crânienne supérieure à 1225 cm3.6 Ter
Pas grand chose à dire non plus, c’est la fifille à M6. Même principe que HD1, cette généraliste assumée “vise un public familial, une ligne éditoriale qui n’existe pas encore sur la TNT“, affirme à e-marketing Catherine Schöfer, directrice générale adjointe de la chaîne. 6 Ter serait novatrice en ce sens qu’elle s’apprécierait mieux si toute la famille, grands-parents compris, la regardait simultanément dans la même pièce. M6 appelle ça “l’écoute conjointe” pour une “télé à partager“.Vous aimez la TNT ? Vous reprendrez bien six petites chaînes ! C’est fin, ça se mange sans faim et c’est offert de bon cœur par la puissance publique. Et puis, ça tombe bien, vous qui vous disiez encore hier soir qu’il vous manquait quelque chose pour descendre les poubelles… Parce que, monsieur Boyon, quand c’est con c’est con, même en haute définition.(1) Directeur de cabinet de François Léotard au ministère de la Culture et de la Communication en 1986-1988, il est l’artisan de la loi qui a permis la privatisation de TF1. Chargé par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin d’une mission sur la TNT, puis d’une mission d’accompagnement de la mise en place de la TNT (2002 – 2003), il est nommé directeur de cabinet de ce dernier à Matignon du 28 octobre 2003 au 1er juin 2005. Président d’une autorité administrative vidée de sa substance depuis que Nicolas Sarkozy l’a privée de son pouvoir de nomination des patrons de groupes audiovisuels, Michel Boyon, réputé d’une soumission totale aux caciques de l’UMP, est régulièrement critiqué pour son absence de courage et son manque d’indépendance. Jusqu’au bout, il a cru à la réélection de Nicolas Sarkozy. Il a ensuite essayé de se rapprocher de François Hollande, sans succès.(2) Par souci d’honnêteté et de transparence, il est utile de préciser que l’auteur de ces lignes, ayant participé à l’appel à candidatures du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel du 18 octobre 2011 (Projet D-Facto, la chaîne docs et débats), a déféré à la censure du Conseil d’État l’ensemble des autorisations délivrées selon des critères pour le moins contestables le 3 juillet 2012 et publiées le 19 juillet 2012.(3) Mais aussi ceux de l’Ain, de l’Ardèche, de la Loire et de la Drôme.Chapitre 2 (article initialement publié le 19/12/12)
Push-boys, les grands garçons poussifs du CSA
Michel, Pascal, Franck… et les autres
Le CPAA –Club Parlementaire sur l’Avenir de l’Audiovisuel- organisait le 13 décembre 2012 un petit déjeuner très chic à la Questure de l’Assemblée nationale. Entre croissants et jus d’orange, c’est un délicat concert de louanges, façon petite musique de chambre de Lully, avec Michel Boyon, président du CSA, en chef d’orchestre et Pascal Houzelot, patron de Numéro 23, en “Petit Poucet de la TNT” (sic).
Jusqu’au moment où, brisant cette douce harmonie matinale, un convive (Didier Maïsto) pose une simple question : “Messieurs Boyon et Houzelot, vous présentez ensemble Numéro 23 comme une chaîne thématique, culturelle et sociétale, axée sur la promotion de la diversité ; mais TF1 la commercialise comme une chaîne généraliste articulée autour de séries américaines, de magazines et de divertissements. Alors ? Qu’en est-il en réalité ?”. Un ange passe, Michel Boyon regarde Pascal Houzelot… lequel, incapable de répondre à la question, finit par lancer à l’importun : “Vous êtes agressif”.
Il y aurait tant de choses à dire, en somme. Mais dans ce genre de pince-fesses il est d’usage de se congratuler chaleureusement et de ne pas mettre ses Berluti dans le plat de bacon. Alors qu’il distribue frénétiquement des magazines grand format vantant sur papier glacé les mérites de son nouveau canal, Gérald-Brice Viret, directeur général de Chérie 25, “La chaîne qui a tout pour elles”, sauf, visiblement, son DG, assure à tous les convives que “le groupe NRJ, c’est comme le dit le grand patron Jean-Paul Beaudecroux, le pouvoir aux femmes… et un peu aux hommes qui aiment les femmes, ah, ah. (lire ici) D’ailleurs, regardez, je laisse la parole à la spécialiste des chiffres, je ne veux pas lui voler la vedette, c’est elle qui a fait tous les power point, ce ne serait pas courtois, ah, ah. On adore les femmes chez NRJ”.
“Le marché publicitaire va refleurir”
Puis le président du CSA ouvre le bal et se lance dans un discours basse définition dont il a le secret, tout connecté à sa gloire, dans un style ampoulé façon-Pierre-Bergé-censé-bannir-tout-anglicisme-pour-faire-honneur-à-la-langue-française. Les push-girls de Numéro 23 en seraient complètement retournées… (voir ici) Oui, il a eu raison de croire à la TNT, “avant et contre tout le monde“. Et non, il n’a pas eu tort d’affirmer que la crise était désormais derrière nous et que “le marché publicitaire allait refleurir, parce que, c’est sûr, ça ne peut pas rester comme ça“. C’est à “ça” justement que l’on reconnaît les purs politiques : n’ayant jamais créé un emploi, géré ou même travaillé dans une vraie entreprise, ceux-là n’ont qu’une vague idée de ce que signifie “le marché” et continuent pourtant à faire des prévisions économiques en prenant un air pénétré.
À tu et à toi
“Mon cher Michel, je te remercie pour ce brillant exposé“, lui lance tout sourire Franck Riester (ici), député UMP de Seine-et-Marne et co-président du Club, ajoutant, à l’adresse de Pascal Houzelot , “Mon cher Pascal, tu as maintenant la parole pour nous présenter Numéro 23″. C’est qu’au Club, on ne privilégie que les intérêts supérieurs (1), tout le monde est ami, se tutoie et s’appelle par son petit nom.
Certains arrivent dans la même limousine avec chauffeur. Tout et tous se mélangent : droite, gauche, saint-esprit, pouvoirs législatif et exécutif, ex et nouveaux députés, autorités de tutelle, patrons de chaînes, producteurs pénalisés par l’alternance, commerciaux, dircoms d’entreprises publiques et parapubliques, opérateurs de téléphonie, vieilles gloires de l’audiovisuel, attachés de presse et journalistes de salon, jusqu’au jeune reporter d’images de LCP-La Chaîne Parlementaire, qui passe l’essentiel de son temps à filmer les brocs de jus d’orange et la porcelaine fine de la Questure, en dépit de son look étudié de baroudeur contestataire.
Tous ? Je ne vois pourtant guère de noirs et d’arabes –mis à part le personnel de service- ni même de provinciaux, de pauvres ou d’handicapés dans cette noble assemblée prônant ostensiblement “toutes les diversités“, jusqu’à en faire une chaîne de télé. Quant aux femmes, il n’y en a qu’une seule à la tribune (représentant 6Ter… et de loin la plus convaincante et la plus sincère). “La France est une démocratie de basse intensité“, a pu écrire Edwy Plenel. “Mais les réseaux fonctionnent toujours en courant continu“, serait-on tenté d’ajouter.
Une clé USB
Au moment où je lève la main pour signifier que je souhaiterais poser une question, une collaboratrice du président du CSA griffonne en vitesse un petit papier et le remet à Michel Boyon : elle a sans doute écrit un mot du style : “Attention, c’est le type qui a fait les recours au Conseil d’État”. Le petit papier finit son parcours dans les mains de Pascal Houzelot, qui la remercie d’un clin d’œil, laquelle minaude en retour ; quant à Michel Boyon, il penche la tête dans ma direction, avec un regard vitreux.
Le lendemain, soit le 14 décembre, je reçois par coursier une clé USB avec un petit mot de ma voisine de table : “J’ai enregistré avec mon smartphone une partie de votre question. Hélas, je n’ai pas le début car j’ai réagi un peu tard. C’était une excellente question, qui n’avait rien d’agressif et que nous sommes nombreux à nous poser ! A bientôt“. Voici donc l’objet du délit. Avec un verbatim comprenant le début de la question (hélas non enregistré) et ré-écrit de mémoire.
http://www.youtube.com/watch?v=SmSk5AqlYyE
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Dans cet univers de paillettes et de carton-pâte, où les journalistes filment les jus d’orange et où les intervenants se tressent les uns les autres des couronnes de laurier, poser une question simple relève du crime de lèse-majesté. Comme on pourrait le dire chez Canal : La TNT ? Regarboyon mieux.
(1) Bien entendu, j’expliquerai lesquels et dans le détail, dans les prochains épisodes. Ces intérêts sont essentiellement financiers, les divers lobbies autour de la “diversité” –et notamment certains lobbies gay- utilisant l’alibi de la discrimination à des fins commerciales ne disant pas leur nom. Heureusement, certains acteurs du monde de la télé dénoncent les amalgames avec beaucoup de courage, comme par exemple le documentariste Jean-Pier Delaume-Myard, auteur de nombreux documentaires pour France Télévisions et lauréat 1998 du concours de scénarios « L’homophobie en question : Une trilogie », organisé par la LGP Films (ici)
Chapitre 3 (article initialement publié le 21/12/12)
Patrick Buisson : “Quand Sarkozy dit quelque chose, le président du CSA écoute”
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(S’ensuivent quelques échanges surréalistes et absolument aucune réponse sur le fond, et pour cause…)
Pascal Houzelot : Vous avez regardé, elle a démarré hier soir à 20h30 et il est temps d’en finir avec les procès d’intention. Revoyons-nous dans un mois ou deux et vous pourrez avoir un jugement, disons, fondé.
DM : Monsieur, ce n’est pas un jugement, c’est juste une question.
Franck Riester, gêné, volant au secours de son ami Pascal Houzelot : Bien, une autre question.
DM : D’accord. C’est donc la réponse.
FR : Oui… Non… Mais c’est important effectivement de regarder à l’issue des quelques premières semaines et premiers mois de diffusion, ce qu’il en sera, entre la réalité de ce qui aura été diffusé, des engagements qui auront été pris au moment de la présentation du dossier. Voilà, c’est la réponse, je pense, qui a été faite, je crois, par Pascal.
DM : Donc, TF1 dira à ses clients, “on vous vend une généraliste, mais on ne sait pas ce qu’est cette chaîne en fait”. C’est-à-dire que vous vendez un produit… et vous ne savez pas ce que c’est. Pourtant, en général, TF1… On ne peut pas balayer cette question d’une pirouette, sur le mode “attendez, vous verrez, vous allez voir ce que vous allez voir”.
PH : Je crois monsieur que vous avez été porteur d’un projet qui a été écarté…
DM : Oh… Ca c’est petit, monsieur ! (rires dans la salle.) C’est votre seule réponse ?
PH : Je crois qu’il vaut mieux attendre, regarder les programmes, juger un dossier dont on fait l’exposition aujourd’hui.
DM : C’est votre seule réponse ?
PH : Je ne suis pas là pour polémiquer.
DM : Mais moi non plus monsieur, je suis là pour poser une question, j’attends juste votre réponse, si vous en avez une.
PH : Je crois que cette chaîne est… ce qu’elle est.
DM : Merci de votre réponse.
PH : Vous êtes très agressif monsieur, malgré l’heure matinale. -
Dialogue de sourds
Didier Maïsto : Ma question s’adresse au président Boyon, à monsieur Houzelot et, ça tombe bien, au représentant de TF1 qui vient de s’exprimer dans la salle et dont, vous me pardonnerez, je n’ai pas retenu le nom. Monsieur Boyon, durant votre mandat au CSA, vous avez souhaité faire de la diversité votre cheval de bataille. Monsieur Houzelot, j’ai assisté à votre audition le 8 mars dernier au CSA, vous avez dit, je reprends votre propre expression,”chiche pour le passage à l’acte” et vous avez enfourché ledit cheval, pour une chaîne à vocation culturelle axée sur la diversité. -
Une juxtaposition de ghettos
Or, en y regardant de plus près, la représentation nationale s’en est émue et Martine Martinel, par exemple, députée socialiste et rapporteure pour avis des crédits de l’Audiovisuel, a pu dire que votre projet, plutôt que de promouvoir la diversité, n’était qu’une “juxtaposition de ghettos, dont finalement n’étaient exclus que les hommes blancs, bien portants et hétérosexuels”.La charge est importante, l’accusation est grave et vous vous êtes défendu en affirmant qu’il n’en serait rien, que ce serait une chaîne ouverte à tous, qui ferait la part belle aux débats et aux échanges, aux documentaires de création, aux oeuvres patrimoniales, qui serait une chaîne thématique et pas du tout une chaîne ghetto.Sur TF1, quand on va sur le site de la régie, quand on est simplement client, l’ex-chaîne TVous la Diversité, qui est devenue Numéro 23, chaîne plutôt neutre dans son titre, est vendue et commercialisée comme une généraliste, comme une mini-généraliste. Alors, est-ce une chaîne culturelle axée sur la diversité ? Ou est-ce une généraliste ? Merci. -
Suite à l’appel à candidatures du CSA du 18 octobre 2011, 34 dossiers seront déposés quai André Citroën et deux fusionneront opportunément, sur intervention du CSA. Le jour même de la clôture officielle des dépôts, soit le 12 janvier 2012, nous avions déjà la liste des 6 chaînes qui émettraient onze mois plus tard. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Aurions-nous le don de seconde vue cher à Balzac ?
http://www.youtube.com/watch?v=93vFkcxt7-c
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La vérité est plus prosaïque : l’appel à candidatures fonctionne à l’envers, et n’est lancé par le CSA que lorsque l’Élysée a donné son aval aux futurs bénéficiaires. Alors, dans ces conditions, pourquoi concourir quand même ? C’est que le pouvoir a nourri un doute grandissant sur le groupe NextRadioTv, dirigé par Alain Weill : situation financière et personnelle extrêmement fragile, chiffre d’affaires issu à 90% de la publicité, actionnariat de plus en plus dilué, positionnement éditorial jugé trop opportuniste… les principaux conseillers de Nicolas Sarkozy -Patrick Buisson, président de la chaîne Histoire, appartenant au groupe TF1, et Camille Pascal, ancien secrétaire général de France Télévisions- finiront eux-mêmes par douter du bien-fondé de leur décision initiale.
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Jusqu’à ce que Weill les menace, en pleine campagne présidentielle, de “lâcher tous les matins Bourdin contre Sarkozy“. On ignore si l’animateur était au courant, mais l’argument fut en tout cas décisif, puisque le groupe Next obtiendra finalement RMC Découverte, dont Weill fera, comme on pouvait s’y attendre, un robinet de docus-réalité bas de gamme, made in ailleurs.
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Alain Weill est coutumier de ce type de comportement, et nous l’avons nous-même expérimenté avec un certain amusement tout au long du processus destiné à désigner les nouvelles chaînes de la TNT. Inconnu du grand public, ce tueur de coûts aux méthodes radicales, qui, à l’instar de son modèle Lakshmi Mittal, ne s’embarrasse guère de questions sociales mais profite à fond de toutes les failles du système et rêve de produire de l’info sans journalistes, sait se faire complètement oublier pour jaillir au moment opportun, tel un crocodile mangeur d’hommes.
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A plusieurs reprises, quand il a appris que nous étions dans la course, avec quelques chances d’obtenir à sa place le canal qui lui avait été promis, il a fait écrire et publier contre nous des articles très ciblés et plutôt nauséabonds, sur le mode, “attention, le projet D-Facto est porté par des gens très à droite“. Assez piquant, quand on entend son animateur vedette Jean-Jacques Bourdin tous les matins sur RMC, relancer les auditeurs sur un mode populiste. A côté, les militants du Front national passeraient presque pour de gentils socialistes ! Bref, une posture autant qu’une imposture.
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Ainsi, juste avant notre audition au CSA le 8 mars, Alain Weill, qui paie ses salariés au lance-pierres (à l’exception notable de Bourdin émargeant à 23.000 euros mensuels) mais qui sait aussi s’appuyer utilement sur certains syndicalistes, fera publier une ignominie dans le n°2078 de La Lettre de L’Expansion du 5 mars. Selon la brève, les conseillers du CSA devaient concentrer notre audition sur nos positions politiques censées être proches de l’extrême droite… Évidemment, il n’en sera rien, mais cette lettre confidentielle sera pourtant largement photocopiée et distribuée.
C’est une méthode éprouvée, la sempiternelle histoire de la paille et de la poutre : quand on est incapable de convaincre par son propre talent, on tente de salir et de discréditer son compétiteur, en lui reprochant ses propres turpitudes. -
Un financier vorace et sans états d’âme
Alain Weill procèdera ainsi avec nous à plusieurs reprises, tantôt sur ses propres sites d’information, en n’hésitant pas à faire relayer des “articles” pourtant attaqués en justice, tantôt via La Tribune, un beau cadeau que lui a fait Bernard Arnault en 2008, avec plus de 40 millions d’euros de trésorerie… que Weill consommera en à peine deux ans avant d’abandonner le navire à Valérie Decamp, sa directrice générale, pour un euro symbolique. Depuis, La Tribune n’en finit plus de mourir. Simultanément à ses campagnes de presse, Alain Weill nous fait toujours envoyer un mail par sa régie afin, sait-on jamais, que l’on achète de la pub à ses chaînes. Business is business et, pourvu qu’il rentre, l’argent n’a pas d’odeur, et, en tout cas, il n’empeste plus “l’extrême droite“. -
De : <xxxxxxxxxxx@nextregie.fr>
Objet : RE: RDV BFM Business
Date : 18 décembre 2012 12:02:13 HNEC
À : Didier Maïsto
Cc : yyyyyyyyyy@nextregie.fr
Bonjour Monsieur,
Auriez-vous quelques disponibilités à me proposer à la période la plus propice pour vous ?
Merci d’avance.
Xxxxxx de Xxxxxxx
Directeur de la Publicité
BFM BUSINESS Radio / TV / Web
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12 rue d’Oradour sur Glane
75 015 Paris
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En ce qui nous concerne, en quarante-deux ans d’existence, nous n’avons jamais vendu une seule société, jamais procédé à aucun plan social, mais au contraire créé et sauvé plusieurs milliers d’emplois en France. En période de crise, nous naviguons au plus juste mais nous n’abandonnons pas nos matelots. C’est ce qu’Arnaud Montebourg appelle “le patriotisme économique” et Alain Weill “l’extrême droite“. Au commencement était le Verbe… -
Le plus drôle dans tout cela, c’est qu’au fil du temps nous nous sommes pris au jeu. Nous étions, au départ, quasiment sûrs de n’obtenir aucun canal, puisque, comme je l’ai déjà écrit, les jeux étaient faits en amont et que nous connaissions la liste des 6 chaînes. Et puis, dans ce petit monde médiatico-politique où l’addition des intérêts particuliers fait rarement l’intérêt du public, je décidai, en accord avec mon équipe, de jouer les candides. Le résultat fonctionna bien au-delà de ce que j’avais espéré !
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Je n’ai jamais trouvé d’explication satisfaisante, mais quand on prend l’air vraiment idiot –les mauvaises langues diront que je n’ai pas à me forcer- les gens vous parlent… et vous parlent beaucoup. En l’occurrence, je parviendrai même à les faire écrire. Pratique, ensuite, pour remonter le temps et ne pas commettre d’erreur. Car il faut savoir rester modeste et admettre que la mémoire, c’est comme la télé, ça peut jouer des tours.
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Mon rendez-vous avec Buisson
Le président d’un institut de sondage, auquel nous commandons de temps à autre des études, proposa de me mettre en contact avec Patrick Buisson, le principal conseiller de Nicolas Sarkozy, alors président de la République. “C’est lui qui tire toutes les ficelles, je peux t’organiser un rendez-vous. Il connaît tout ça par cœur, en plus c’est le patron de la chaîne Histoire, qui appartient à 100% à TF1”. Banco. Le grand manitou se fera un peu désirer et je devrai laisser deux messages avant qu’il me rappelle.Rendez-vous est finalement pris le 25 janvier 2012 à 18h00 au Royal Monceau. Ne souhaitant pas m’y rendre seul, je me ferai accompagner par le consultant qui nous a aidés à élaborer notre projet, bon connaisseur des arcanes du CSA et dont je tairai le nom, pour ne pas le gêner dans ses activités professionnelles. Le patron de l’institut de sondage sera également présent au rendez-vous. Tout vêtu de noir, Patrick Buisson arrivera avec une demi-heure de retard. Nous passons en revue les différents projets. -
Patrick Buisson : Bon, on ne va pas se raconter d’histoires, TF1 et M6 c’est fait, NRJ et TVous la Diversité aussi. Restent les cas BFM et L’Équipe, pour eux c’est un peu plus compliqué.
Didier Maïsto : Les autres chaînes je peux comprendre, mais TVous, franchement, ça me dépasse complètement. Comment peut-on sérieusement défendre un tel projet ? La diversité ça doit être transversal, ça ne peut pas être sur un seul canal, ça n’a pas de sens…
PB : Ne cherchez pas à comprendre, sa chaîne il l’a, c’est déjà fait, c’est comme ça.
DM : C’est ce que tout le monde me dit, mais moi j’aime bien ça, chercher à comprendre. C’est même mon métier. Et là, chaque fois que j’essaie d’en savoir plus sur ce dossier, il y a comme un malaise qui s’installe…
PB : Donc, comme je vous l’ai dit, il y aurait peut-être quelque chose à jouer pour vous. Weill est fragile en ce moment et pour L’Equipe, contrairement à ce qu’on raconte, rien n’est encore fait.
DM : Mais on m’a dit que madame Amaury en personne était venue plaider sa cause auprès de Nicolas Sarkozy…
PB : Oui, d’accord, mais ça ne veut pas dire qu’elle aura sa chaîne.
(A ce moment, Patrick Buisson prend notre volumineux document de présentation de la chaîne, puis le repousse d’un air un peu dédaigneux).
PB : D-Facto ça ne veut rien dire ! Quelle est la promesse de la chaîne ?
DM : Comment ça la promesse ? C’est écrit en toutes lettres ! D-Facto, la chaîne docs et débats.
PB : Ce n’est pas assez précis ça, pas assez thématique. La chaîne Histoire, on sait tout de suite ce que c’est.
DM : Vous préféreriez quoi ? D-Facto, la chaîne de Sarko ?
(Patrick Buisson, surpris sans doute par mon franc-parler, me regarde droit dans les yeux et esquisse enfin un sourire).
PB : Bon, faites-moi porter un exemplaire par coursier demain matin.
DM : Il paraîtrait que certains conseillers auraient des velléités d’indépendance, à cause des mauvais sondages…
PB : Pff… Quand Sarkozy dit quelque chose, le président du CSA écoute. Demain je suis à l’Elysée, je lui en parle. -
Sur les rives d’AtlanticoLe lendemain, c’est en fait le patron de l’institut de sondage qui me rappellera, pour me demander de recevoir, dans les meilleurs délais, le fondateur du site Internet Atlantico, Jean-Sébastien Ferjou (que j’avais déjà reçu quelques mois plus tôt, mais je n’avais pas donné suite). “Ça peut favoriser ton dossier” me glissera-t-il, il cherche des fonds pour se développer et Patrick a pensé que vous pourriez l’aider. Le procédé est plutôt inédit et pour le moins direct, mais je recevrai à nouveau Jean-Sébastien Ferjou, le lundi 30 janvier à 16h00, un homme au demeurant sympathique, intelligent et cultivé, avec lequel le courant est bien passé. Bien entendu, je ne m’engagerai sur rien, si ce n’est de nous revoir.
Pendant ce temps, Alain Weill continuera à s’agiter. Concurrencé par L’Equipe du côté de son projet de chaîne sport -laquelle venait d’obtenir le soutien du CNOSF -Comité national olympique et sportif français- concurrencé contre toute attente par notre projet du côté de sa chaîne documentaire de secours, il développera une stratégie vers trois directions.Primo, il continuera à tenter de nous discréditer dans la presse, jamais directement, mais par le biais de journalistes dociles restés dans son giron. Ainsi, dans La Tribune encore, pourra-t-on découvrir une nouvelle ignominie, à savoir que notre chaîne était “censée donner la parole à tous ceux qui n’apparaissent pas dans les grands médias” et faire valoir “tous les points de vue“… et bien sûr le journal fera perfidement le lien avec de prétendus “détracteurs” (lesquels ? ce n’est évidemment pas précisé) qui pointeraient nos idées “flirtant avec l’extrême droite“. Si j’ai effectivement rencontré Alain Weill (une fois) et Patrick Buisson (une fois aussi), je le jure, je n’ai jamais pris ne serait-ce qu’un café avec Jean-Jacques Bourdin. -
“Je vais lâcher Bourdin contre Sarko tous les matins”
Deuxio, il pleurnichera durant ses auditions sur le mode “on a tellement travaillé, vous ne pouvez pas nous faire ça mesdames et messieurs les Conseillers“, avec un incroyable talent d’acteur, qui arracherait des larmes dans les chaumières.Tertio, il déploiera ce qui sera sans doute le plus efficace, une véritable stratégie de terreur. N’oublions pas que nous sommes dans la période janvier/mars 2012, en pleine campagne présidentielle, Sarkozy est plombé, Hollande s’envole dans les sondages et Buisson est à la manœuvre. C’est une vraie partie de poker menteur qui va se jouer alors entre Sarkozy et Weill. En ce qui nous concerne, nous étions censés représenter, pour le pouvoir de droite, la solution de repli – et effectivement, nous étions jugés crédibles par les spécialistes car nous avions les reins assez solides pour cela, tant sur le plan financier que sur le plan professionnel.Dans un premier temps, Weill tentera de convaincre Sarkozy – qui se plaignait du mauvais traitement infligé, selon lui, par BFM- en affirmant qu’au contraire la chaîne était bien ancrée à droite, qu’elle était une chaîne libérale qui lui apporterait un soutien décisif dans la bataille difficile qui s’annonçait, et que déjà, avec le traitement en continu de l’affaire DSK, elle avait bien dézingué le PS. Pas assez convaincant et trop opportuniste, jugera Sarkozy.Dans une situation financière difficile, en proie à de sérieuses difficultés personnelles, Alain Weill jouera alors son va-tout, menaçant, selon sa propre expression, de “lâcher Bourdin contre Sarko tous les matins“. Sarkozy et son cabinet se débineront assez vite et finiront par lui délivrer un troisième canal, tant il est vrai qu’à l’époque le candidat Hollande était donné à 32% au premier tour… et gagnant à 58% au deuxième et qu’il fallait bien se raccrocher à quelque chose et tenter de fabriquer des obligés, surtout dans ce monde de la télé qui fascine tant les politiques, et réciproquement. -
Allô allô, y a plus d’eau dans le tuyau
Personnellement, j’aurai alors de plus en plus de mal –et pour cause- à obtenir des renseignements de la part de Patrick Buisson, mais également de la part de Camille Pascal -je reviendrai dans un prochain épisode sur mon rendez-vous totalement surréaliste à l’Elysée, avec un certain Norbert Balit (lire ici) et ce fameux Camille Pascal, qui fut la plume de Sarkozy durant la campagne, après avoir été l’ancien secrétaire général de France Télévisions (lire ici). Mais personne n’aura le courage de me dire simplement que “les carottes étaient cuites“… alors que j’étais par ailleurs informé de la situation en temps réel.Car ce qui caractérise avant tout le petit monde de la télé, c’est le fait qu’on s’y trahisse encore plus vite et plus fort que dans le monde politique, c’est dire. Pourquoi ? “Parce qu’en plus des questions d’ego il y a des questions de fric“, me confiera une collaboratrice du CSA le 15 février, à l’occasion d’un déjeuner en tête à tête à côté de la Maison de la radio. Alors, perdu pour perdu – et sincèrement, je peux le dire aujourd’hui, je ne pensais même pas arriver jusque là quand on s’est lancé dans l’aventure – j’ai décidé de m’amuser un peu… et de continuer à envoyer des mails à mes deux interlocuteurs sur le sujet.J’écrirai ainsi à Patrick Buisson le 13 mars à 20h15. Réponse à 23h22 : “Je m’occupe de votre dossier et vais en parler au Président. Bien à vous, PB“. Puis le 15 mars à 12h00, réponse à 12h12 : “Je viens de parler au PR. Je vous tiens informé“. Ensuite, le 16 mars à 15h04, à Patrick Buisson et à Camille Pascal, pour les informer du soutien de Yazid Sabeg et de Salima Saa à D-Facto. Réponse de Patrick Buisson, 9 minutes plus tard : “Tous ces “soutiens” sont totalement inutiles… Ne perdez pas votre temps“. Puis, le 19 mars à 15h38, réponse de Patrick Buisson à 15h51 : “Je préviens le PR“. Le 20 mars à 11h14, à Patrick Buisson et à Camille Pascal, réponse de Patrick Buisson à 11h30 : “Je suis le dossier avec l’intéressé“. Et enfin, le dernier mail, le 23 mars à 17h13, réponse de Patrick Buisson à 17h37 : “Je vous transmettrai les infos dès que nous en aurons. Bien à vous. PB“. -
D-Facto in memoriam
Las ! Le canal officieusement officiel ne me transmettra plus aucune info et le 27 mars à 14h05, je recevrai le mail suivant, d’une personne méritante et qui s’est bien démenée pour notre projet, au cœur de ce système si particulier et pour laquelle, là encore, je souhaite préserver l’anonymat afin de lui éviter des ennuis. -
De : <xxxxxxxx>
Objet : Réexp : Communiqué CSA : Sélection de six nouvelles chaînes en haute définition pour la TNT
Date : 27 mars 2012 14:05:39 HAEC
À : Didier Maïsto
Répondre à : <xxxxxxxx>
C’est malheureusement raté pour le magnifique projet D-FACTO, qui aurait pourtant apporté tellement d’air frais au paysage…
Le CSA a joué les pures cartes politiques :
– 1 “grosse” chaîne généraliste à chacun des groupes TF1 (HD1), M6 (6Ter) et NRJ (CHERIE HD), telles que ces groupes le demandaient
– 1 chaîne sportive, à L’EQUIPE TV, assez légitime
– 1 chaîne au groupe NEXTRADIO TV (RMC Découverte), malgré toutes les faiblesses de ce groupe et de ce dossier
– enfin 1 chaîne de pur affichage politique, TVOUS LA DIVERSITE, offerte à un faiseur de fric aux multiples réseaux.
D-FACTO était bien dans la “very short list” mais a été victime des arbitrages en faveur de RMC Découverte et de TVous la Diversité, dans des conditions qui, je l’espère, seront éclaircies un jour.Mais j’éclaircis, cher ami, j’éclaircis.
https://www.youtube.com/watch?v=BT0wSlLU4mA
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Chapitre 4 (article initialement publié le 02/01/13)
Quand la diversité devient une escroquerie intellectuelle
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Alors qu’il a placé son mandat sous le signe dede “la diversité” et que la chaîne offerte à Pascal Houzelot, TVous la Télédiversité, devait être la consécration de cet engagement philanthropique et désintéressé, le président du CSA a soudainement négocié, en décembre 2012, un virage à 180 degrés, déclarant désormais, à chaque sortie publique, qu’il avait nourri de sérieux doutes sur la ligne éditoriale de la chaîne, re-baptisée Numéro 23 juste avant son lancement. Tout en ajoutant que le tour de table des actionnaires l’avait rassuré. Histoire d’une manipulation.
Lors de son audition le 8 mars 2012 au CSA, Pascal Houzelot, porteur du projet, n’a guère convaincu, c’est un euphémisme. Michel Boyon et le tout Paris médiatico-politique avaient beau susurrer, sur l’air entendu de la confidence, que tout était déjà ficelé et que cette chaîne serait magnifique, personne, au fond, n’était dupe. Pas même la plupart des conseillers du CSA, qui, une fois n’est pas coutume, sont sortis de leur réserve pour attaquer frontalement le projet.
Patrice Gélinet, généralement très mesuré, lancera ainsi à l’adresse de Pascal Houzelot : “Est-ce que vous ne craignez pas que chacune de ces diversités ne s’intéresse, au fond, dans les programmes, qu’à ce qui la concerne et qu’au lieu, autrement dit de fédérer, votre télévision n’entretienne le communautarisme ?” Alain Méar enfoncera le clou, en rappelant que la diversité devait être promue sur tous les écrans de la télévision, et pas seulement sur un seul canal, ce qui serait contreproductif.
Rachid Arhab sera quant à lui encore plus direct : “Moi aussi je suis sensible, comme Alain Méar, à ce que vous avez rappelé de l’action du Conseil et notamment de Michel Boyon pour ouvrir ce dossier de la diversité. Mais sur l’ensemble des chaînes ! (…) Encore une fois, c’est plus qu’une différence philosophique et notre démarche a été de bien expliquer aux opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, que nous ne souhaitions pas une chaîne « alibi » dans un groupe, ou une chaîne « prétexte » pour la visibilité, simplement ce qui aurait eu, selon nous, comme un inconvénient majeur de dédouaner les autres chaînes de toute obligation de représentation de la diversité. C’est un rappel qui me paraissait important“.
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L’addition des différences fait-elle une cohérence ?
Mais la charge la plus lourde viendra de Françoise Laborde. Extraits : “Je vois bien ce que n’est pas cette chaîne : elle n’est pas communautariste, elle n’est pas alibi, ce n’est pas la négation des différences. Mais j’ai du mal à voir ce qu’elle est, du coup. Quelle est la différence de programmes ? Combien de programmes allez-vous produire en propre ? Qu’est-ce qu’une information, par exemple, en continu, sur la diversité ? En quoi un feuilleton sur la diversité est différent d’un feuilleton à succès tout court ? (…) Est-ce que l’addition des différences ça fait une cohérence ? C’est ça la question, est-ce que vous avez un public, à un moment donné, qui s’intéresse à une différence, quelle qu’elle soit –religieuse, culturelle, géographique, que sais-je- qui peut s’intéresser à la différence de l’autre ?“Du bon sens finalement, et des interrogations que toute personne sensible à ces questions est obligée de se poser, naturellement. En dépit de ces doutes de façade, le CSA finira par octroyer un canal sur la TNT à Pascal Houzelot et deux conseillers seulement voteront contre. Car, comme nous l’avons déjà écrit, les choix s’opèrent en amont et ailleurs, en l’occurrence à l’Élysée, le Conseil n’étant qu’une chambre d’enregistrement à la rebellion bien inoffensive.Il s’agit, pour chaque conseiller, de savoir jusqu’où aller trop loin, car à plus de 130 K€ annuels (et 200 K€ pour le président), avec voitures de fonction (et celle du président a un gyrophare bleuté sur le toit, comme dans Navarro), on accepte plus facilement de ravaler sa ration quotidienne d’amour-propre. -
Les grandes vacances permanentes
Quotidienne… ou presque. Car le Conseil calque ses congés sur une (large) partie des vacances scolaires : une semaine à la Toussaint, une à Noël, une semaine en février, une à Pâques, plus deux mois et demi de vacances estivales. Quand les Conseillers ne tombent pas “d’un prunier” et sont empêchés d’assister aux réunions, mais pas aux mondanités (ici).Numéro 23, chaîne alibi, chaîne prétexte, sans aucun doute. Mais certainement pas chaîne communautariste, ou revendiquant quoi que ce soit d’un moindre combat intellectuel ou sociétal, fût-il funeste pour la République. Re-baptisée opportunément et de façon la plus neutre possible Numéro 23 juste avant son lancement, la chaîne, commercialisée par TF1, n’a plus du tout l’ambition affichée au départ (lire encadré).Ainsi, elle n’est qu’une mini généraliste de plus, version séries américaines à petit budget. TF1 ne s’en cache même pas, qui écrit en toutes lettres sur son site commercial : “La grille des programmes de Numéro 23 s’articulera principalement autour de séries, de fictions, de magazines et de divertissements (…) De nombreuses séries inédites en télévision gratuite seront proposées aux téléspectateurs en 2013 dont les succès US Shameless et Community”. Prière de s’abrutir. But in English mal translated. -
Numéro 23 et Image 7, les bons comptes font les bons amis
Bien qu’il s’agisse surtout de chiffres, prenons Michel Boyon à la lettre et essayons de comprendre ce qui a bien pu le convaincre dans le tour de table financier qu’il évoque désormais avec insistance. C’est qu’il y a du beau monde au capital de Numéro 23. Du beau monde qui ne pouvait plus vivre sans doute sans une chaîne destinée à la promotion télévisuelle de la diversité et qui a du coup évité le suicide collectif.Plus sérieusement, toute cette histoire est incompréhensible si l’on ne s’attarde pas un peu sur Anne Méaux, présidente fondatrice d’Image 7, une société de conseil en communication créée en 1988. Diplômée d’Assas, Anne Méaux fut membre du GUD et de la direction du PFN – Parti des Forces Nouvelles (ici). Nous sommes en démocratie, chacun est évidemment libre de ses engagements, mais cette précision est simplement utile pour la suite.D’Arcelor Mittal à Goldman Sachs, en passant par Standard & Poor’s, Image 7 conseille ainsi une centaine de clients amis de la France et de l’emploi, comme cela est remarquablement détaillé sur son site Internet (ici), “dans les secteurs économiques les plus variés : industrie, luxe, finance, distribution, internet, sport, grande consommation… (groupes internationaux, sociétés du CAC 40, PME, start-ups). Elle conseille également des États, des institutions nationales et internationales, privées et publiques“.Au nombre de ses clients prestigieux, figurent aussi les mécènes –et non des moindres- de Numéro 23. Oui, mais quel est le rapport ? Marie-Luce Skraburski (ici), associée d’Anne Méaux et membre du comité de direction d’Image 7 depuis 1998, n’est autre que l’épouse du président du CSA. Mais cela ne signifie rien et tout n’est peut-être que coïncidences. -
“Corriger la perception injuste de la réalité”
Les coïncidences ne se limitent cependant pas à cette typologie de clientèle. Ainsi, Image 7 conseille également l’Audiovisuel extérieur de la France, Bouygues Telecom, Europacorp (la société de Luc Besson), Eutelsat Communications ou encore TDF… Et, toujours au chapitre des coïncidences (mais ce gros client ne figure plus comme référence sur le site Internet de la société), il convient de noter qu’Image 7 était liée par contrat à l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE) et touchait à ce titre 200 K€ annuels. Le Canard Enchaîné révèlera d’ailleurs l’affaire en juin 2011 et expliquera que la mission d’Image 7 était, entre autres, de promouvoir l’image de la Tunisie en décrochant des interviews favorables au régime de Ben Ali. Qui était particulièrement chargée du dossier Tunisie chez Image 7 ? Marie-Luce Skraburski. Laquelle s’est félicitée, dans une note au patron de l’ATCE, d’avoir “oeuvré en vue de corriger la perception injuste de la réalité politique tunisienne“.
Comme le révèlera sur son blog Nicolas Beau (ici), quelques mois avant la Révolution de Jasmin, Michel Boyon, en voyage de l’autre côté de la Méditerranée, déclarera à la presse tunisienne : “Je suis impressionné par le remarquable niveau de développement atteint par la Tunisie. Ce qui me frappe c’est la manière dont la Tunisie réussit à concilier authenticité et modernité (…) Je me félicite du développement des compétences du Conseil supérieur de la communication [NDLR : l’équivalent du CSA en Tunisie], ainsi que du renforcement du pluralisme dans sa composition. Les Français (…) soutiennent les efforts de ceux qui, comme la Tunisie sous l’impulsion du président Ben Ali, sont déterminés à lutter contre toute forme de passéisme ou d’obscurantisme qui conduirait à la régression sociale ou culturelle“. -
On pense encore à toi, oh Bwana
Coïncidences toujours, Marie-Luce Skraburski a organisé les vacances de personnalités françaises des médias en Tunisie. Image 7 s’en vantera noir sur blanc sur un document censé mettre en exergue son efficacité en matière de lavage de cerveaux. Le message est on ne peut plus clair : “Nous avons organisé de nombreux déplacements pour les dirigeants de médias et des journalistes français. Ceux qui ont participé à ces voyages ont spontanément reconnu avoir changé d’opinion sur le pays”. Rien ne saurait remplacer le journalisme de terrain. Pour la télé, Etienne Mougeotte et Alain Weill auraient ainsi bénéficié d’un voyage en 2009. On ignore si ce dernier (ici) a fait publier des articles nauséabonds dont il a le secret pour dénoncer les supposées accointances politiques d’Anne Méaux, et si son billet d’avion était parfumé au jasmin, ou au contraire charriait les miasmes de l’extrême droite.
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La tactique du gendarme
Toujours est-il qu’à la lumière de ces éléments factuels, il devient « spontanément » plus facile de comprendre ce que signifie sans doute “la diversité” dans l’esprit de Michel Boyon et de ses amis patrons de chaîne. Comme l’affirmait Michèle Alliot-Marie à l’Assemblée nationale, en pleine révolution tunisienne, dans un discours qui contribuera à sa chute, “on ne doit pas s’ériger en donneurs de leçons face à une situation complexe“. Tout en invitant les dirigeants à “mieux prendre en compte les attentes” des populations, elle avait par ailleurs suggéré que “le savoir-faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité, permette de régler des situations sécuritaires de ce type“.Le président du CSA et l’ex-ministre de la Défense auraient-ils le même conseil en communication ? Pour le gendarme de l’audiovisuel, ce serait une nouvelle coïncidence.Extrait de l’audition de “Tvous la Télédiversité” au CSA, le 8 mars 2012, 10h00“On est comme, si vous voulez, Arte est avec la culture, nous nous voulons être avec la diversité“Alain Méar : Vous vous présentez comme une chaîne de complément, une chaîne thématique axée sur la diversité. Mais quand on regarde bien la grille, est ce qu’on n’est pas aux franges d’une chaîne semi-généraliste ?
Pascal Houzelot : On ne rejette pas la proximité. On n’est pas du tout une chaîne mini-généraliste. On est comme, si vous voulez, Arte est avec la culture, nous nous voulons être avec la diversité.
Alain Méar : Le modèle c’est Arte ?
Pascal Houzelot : Non le modèle c’est… je n’emploierais pas ce mot. C’est un modèle qui existe, et qui peut nous donner à penser qu’on peut avoir une thématique particulière, être semi généraliste, pas être généraliste, pas être mini généraliste, pas faire de l’information, pas faire du sport, pas faire tout un tas de chose, pas faire de télé réalité, et aborder une thématique de manière transversale. Et l’exemple d’Arte est intéressant, en cela que ça a montré que ça n’a pas tari la présence de culture sur les autres chaînes. Au contraire, depuis l’existence d’Arte, on peut considérer que la culture s’est un peu développée sur les autres chaînes. Jamais assez, ça c’est certain, nous, nous participerons à développer ça. On peut considérer qu’il y a un certain nombre de coproductions aujourd’hui entre Arte, Canal +, Arte France 3, Arte M6, il y en a même eu entre Arte et TF1, participe à irriguer un peu plus de culture dans l’ensemble du paysage. Eh bien nous avons l’ambition de faire la même chose avec la diversité.
http://www.youtube.com/watch?v=oZfnZ5wZxMw
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Chapitre 5 (article initialement publié le 09/01/13)
Mes rendez-vous avec les pieds nickelés, du CSA à l’Élysée
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Michel Boyon, dont le mandat à la tête du CSA s’achèvera le 24 janvier, a tenu à nous faire savoir, le 16 décembre 2011, que si notre projet était”particulièrement intéressant“, il fallait”absolument être accompagnés par un grand professionnel de la télé pour être vraiment certains d’obtenir la chaîne” et “surtout bien le mettre en avant le jour de l’audition”. C’est ainsi qu’il nous fera appeler, trois jours plus tard, pour nous transmettre une liste “secrète” de quatre noms : Xavier Gouyou-Beauchamps, ancien président de France Télévisions (né en… 1937), Claude-Yves Robin, ancien directeur général de France 2 et de France 5, Henri Pigeat, ancien président de l’AFP (dans les années 70/80) et un certain Norbert Balit, vers lequel allait sa préférence. Suite croustillante de nos pérégrinations, du CSA en passant par l’Élysée, ce qui au fond est la même chose. PAF : quand le documentaire dépasse la fiction.
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Début janvier 2012, je rencontre donc Norbert Balit (lire ici) à mon bureau parisien. L’homme est obséquieux, d’une allure très soignée, ongles impeccables et manières apprêtées. Je n’en ai jamais entendu parler avant. “Comme vous le savez, à une voix près j’étais élu président de France Télévisions” est l’une des premières phrases qu’il prononce en me serrant la main, ajoutant aussitôt “j’ai aussi été otage au Liban, quand j’étais grand reporter de guerre pour TF1“. D’emblée, cette présentation me paraît suspecte, mais je sais bien que dans ce petit monde de la télé, les egos sont surdimensionnés…
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Norbert Balit participe à trois de nos réunions, de la fin janvier 2012 au 17 février 2012, plus un rendez-vous surréaliste dans un café avec les syndicats de producteurs, que je raconterai peut-être un jour. Une “collaboration” par conséquent très brève, tant nos philosophies sont différentes, tant je serai choqué par ses comportements. Cette séparation, que j’ai voulue en douceur, est toutefois assombrie par un coup de fil le 20 février à 21h18, durant lequel Norbert Balit se montre limite menaçant.
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Comme il est d’usage dans ce monde formidable peuplé d’amis formidables, on passe très vite au tutoiement : “Ne t’avise pas de raconter je sais pas quoi sur moi, je te préviens, ça me revient déjà aux oreilles” me lance-t-il sur un ton comminatoire, censé me faire peur. Je lui réponds, sur un air outragé : “Si quelqu’un te rapporte quoi que ce soit tu m’avertis, on l’appelle ensemble. Je suis comme toi, j’ai des valeurs Norbert“. Ce sera notre dernier échange.
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“Je peux l’appeler quand je veux, j’ai son portable“
En réalité, durant nos réunions de travail, il se moque bien de savoir quel est notre projet, et on ne peut pas dire qu’il ait jamais lancé la moindre petite idée, je ne suis même pas sûr qu’il ait lu le dossier D-Facto. Son truc à lui, c’est le carnet d’adresses, à chaque sujet abordé il lance “je connais le patron, c’est mon grand ami, je peux l’appeler quand je veux, j’ai son portable“. C’est ainsi que le 6 février à 10h00, nous serons reçus tous les deux à l’Élysée par Camille Pascal, plume, avec Henri Guaino, de Nicolas Sarkozy.Camille Pascal fut successivement directeur de cabinet de Dominique Baudis au CSA (2001), secrétaire général de France Télévisions (2007), puis directeur de la communication du même groupe (2008) ; il sera en fait le bras droit de Patrick de Carolis. Pour bons et loyaux services, Nicolas Sarkozy le nommera le 3 mai 2012 au… Conseil d’État ! Eh oui, nous sommes bien en France, pays champion toutes catégories des conflits d’intérêts. -
Dans son ouvrage, Scènes de la vie quotidienne à l’Élysée, Camille Pascal écrit que lors de son entretien d’embauche -dont il affirme ignorer la finalité- Nicolas Sarkozy s’intéressait particulièrement à l’affaire Alègre/Dominique Baudis (ici). Cette affaire, dont l’ancien maire de Toulouse avait été l’objet, fascinait littéralement Sarkozy, trop heureux de pouvoir faire un parallèle pour se victimiser dans l’affaire Clearstream (lire ici).
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Cela me rappelle une anecdote assez incroyable. En 2003, je me trouve au Conseil Économique et Social, juste à côté d’un conseiller du CSA, dont je ne dévoilerai pas le nom, par pudeur et parce que dix ans se sont écoulés, il y a prescription. L’affaire Alègre/Baudis vient juste de démarrer. Ce conseiller m’est présenté et, après quelques échanges de circonstance, j’évoque brièvement “l’affaire“, sur le mode “ça ne doit pas être facile pour votre président, en ce moment“. Contre toute attente, le “Sage” me répondra : “Vous savez monsieur, il n’y a pas de fumée sans feu“. Avec de tels amis, on n’a certes pas besoin d’ennemis et ceci nous éclaire sur les us et coutumes de ce petit monde charmant, guère effrayé par les crocs de boucher.
Dans les tourbillons antiques de la Sicile
Toujours est-il qu’à l’Élysée, en cette matinée hivernale, je ne suis pas au bout de mes surprises. Je tombe même de Charybde en Scylla, l’expression est adéquate, tant je me sens comme pris dans les tourbillons antiques de la Sicile. Camille Pascal nous accueille dans sa “soupente” du 4e étage du 55 rue du Faubourg Saint-Honoré. Une photo de Benoît XVI jouxte un portrait de Carla Bruni sur la cheminée. -
Tout à sa flagornerie, Norbert Balit lance, “j’adore cette photo, elle est magnifique“, sans que l’on sache à laquelle il fait allusion, puis il enchaîne “notre cher président va bien ?“. “Ah ça, on peut dire, oui, qu’il a la forme… Il n’arrête pas, il a la forme ça c’est certain, avec tous les discours que je dois lui écrire“. Comme le temps nous est compté, Camille Pascal entre immédiatement dans le vif du sujet.
“Bon, nous ne sommes pas dans une réunion de gitans qui vont se dire la bonne aventure. Quoi qu’on en dise, concrètement, TF1, M6, NRJ, L’Équipe TV et BFM auront leur canal, il y aura donc un seul nouvel entrant“. Rappelons que ce discours, pour ce qui regarde les heureux élus, diffère légèrement de celui tenu quelques jours plus tôt par Patrick Buisson, mais je ne relèverai pas, laissant Camille Pascal poursuivre. Je ne serai pas déçu. “Vous avez des chances sérieuses d’être ce nouvel entrant. J’ai lu votre projet, il tient vraiment la route, il comblerait un grand vide et il nous intéresse beaucoup, notamment dans sa dimension « utilité sociale », une valeur hélas délaissée par le service public“.
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Une vache à lait
S’ensuit un passage en apparence plus obscur. “Le consultant que vous avez choisi est un solide atout, il domine son sujet et connaît bien les arcanes du CSA. Quant à Norbert, il a un très bon réseau et avec son projet de chaîne dans le sud, que vous acceptez, si j’ai bien compris, de soutenir et pour lequel l’Élysée pousse aussi… eh bien tout ça ferait sens, dans la mesure où l’un pourrait diffuser 50% des programmes nationaux de l’autre“. En clair, Norbert Balit, qui a pour projet de répondre à un appel à candidatures du CSA pour une chaîne locale dans le sud-est de la France, se sert de nous auprès du pouvoir.Dans son esprit, il apporte une belle vache à lait susceptible de financer la moitié de ses programmes, en contrepartie l’Élysée est censé lui accorder sa fréquence de télé locale… et du même coup nous accorder une chaîne nationale sur la nouvelle TNT. Bref, un marché de dupes pour le moins alambiqué, que Norbert Balit tentera de nous faire signer par contrat, j’y reviendrai.Camille Pascal poursuit : “L’Équipe TV a bien plus de légitimité que BFM sur le sport et donc on devrait donner à Weill RMC Découverte. Pour éviter un combat frontal avec BFM, il conviendra à l’oral du 8 mars de vous différencier, de ne pas vous cantonner aux documentaires mais de préciser le propos. Vous devrez vous présenter comme la chaîne du décryptage de la société, c’est ce qui fera la différence“. Je lui réponds alors : “Ça alors ça tombe bien, c’est précisément le cœur de notre projet, on a donc notre chaîne, c’est bien ce qui me semblait mais je suis heureux que vous me le confirmiez aujourd’hui“.Le regard un peu fuyant derrière les lunettes rondes de celui qui veut être pris pour l’intellectuel qui compte, Camille Pascal, un brin gêné (un reste de culpabilité catholique ?) –et comprenant sans doute à ce moment précis qu’il s’était lui-même piégé- se croit dès lors obligé de me lancer : “Compte tenu des progrès techniques en termes de compression, je suis convaincu qu’un nouvel appel à candidatures aura lieu à l’horizon 2014-2015. Si vous n’êtes pas retenu cette fois-ci, vous aurez pris date et serez identifié par le CSA pour le prochain coup“. Cuites cuites, les carottes sont cuites. -
Dix jours plus tard, soit le 16 février 2012 à 20h07, Norbert Balit m’enverra le courriel suivant :
De : Norbert BALIT
Objet : Contrat N.B.
Date : 16 février 2012 20:07:43 HNEC
À : Didier Maïsto
Bonsoir Didier,
Ci-joint le projet de contrat dont je t’ai parlé. A charge pour vous et moi de le compléter.
N’oublies (sic) de demander au réalisateur le support des images qu’il souhaite.
Je te souhaite une bonne soirée.
A demain.
Amicalement.
Norbert.
En pièce jointe, je trouve le contrat “amicalement” évoqué par Norbert Balit, qui se révèle hallucinant. Outre les nombreuses fautes d’orthographe, les 4 pages au format Word semblent être un assemblage de divers documents antérieurs. On peut notamment y lire :”Ancien grand reporter, présentateur, rédacteur en chef, directeur de l’information, créateur d’émissions, directeur d’antenne et de programmes, directeur général de chaînes, producteur et réalisateur, Monsieur Norbert BALIT dispose aujourd’hui, pour sa part, d’une expérience particulièrement reconnue dans le monde des médias, publiques (sic) et privés, et dans le monde de l’audiovisuel en particulier”. -
Quand on se trompe, c’est au moins d’un zéro
Ce journaliste d’exception, qui semble nettement plus à l’aise avec les chiffres qu’avec les lettres, souhaite, en substance, obtenir d’ores et déjà 30 K€ HT pour les trois réunions auxquelles il a participé (soit 7,5 K€ de l’heure)… et être nommé directeur général de la future chaîne D-Facto, moyennant 350 K€ de rémunération fixe annuelle nette, hors notes de frais, véhicule de fonction et tout le toutim (ces deux points m’étant précisés par l’intéressé le lendemain au téléphone). Mieux, il exige que l’on s’engage à garantir à sa société, Adamis Production, un chiffre d’affaires annuel minimum HT de 2 millions d’euros et ceci pendant toute la durée au cours de laquelle il exercera ses fonctions au sein de ladite chaîne, toute séparation en cours d’année civile nous obligeant à régler une année complète…Enfin, toujours selon ce document grotesque, que je relis, incrédule, une dizaine de fois, nous serions tenus de nous engager à financer ses futures chaînes locales de Nice et Toulon (deux et non plus une), tout en convenant “expressément que Monsieur Norbert BALIT pourra assurer la responsabilité des deux chaînes locales précitées en complément des responsabilités confiées au titre de la chaîne nationale“. Cerise sur le gâteau, dans l’hypothèse où notre projet de chaîne TNT ne serait pas retenu par le CSA… nous serions quand même tenus de financer les deux chaînes locales. Le lendemain, j’indique donc à Norbert Balit au téléphone, de façon courtoise mais définitive, que nous en restons là. Comme le dit mon expert-comptable, quand on se trompe, c’est au moins d’un zéro. -
“Franchement, c’est jouable”
Deux jours avant cet épisode, soit le 15 février 2012, je déjeune près de la Maison de la Radio avec une vieille connaissance, perdue de vue depuis plus d’une décennie et devenue entre temps collaboratrice du CSA. Ce jour-là, elle m’apprend que c’est elle qui a soufflé le nom de Norbert Balit à Michel Boyon. “Tu comprends, me dit-elle, on essaie d’aider quelques amis à reprendre pied dans le système en les intégrant à des projets de chaînes“.Prudent, je m’ouvre a minima sur les difficultés rencontrées avec notre grand reporter de guerre et sur mes doutes sérieux quant à la poursuite de notre “collaboration“. “Oh, ne t’inquiète pas, je connais les limites du personnage et aussi son ego démesuré, tout à fait dans la moyenne du milieu, me confie-t-elle. C’est un mondain qui est absolument de tous les cocktails et de toutes les soirées. Mais c’est comme ça dans le milieu, ils sont tous pareils, c’est aussi pour ça qu’il sera un atout le jour de votre audition, parce qu’il sera reconnu par ses pairs comme un des leurs… Tu comprends ?“.Oh oui, je comprends. Cinq sur cinq. Cet échange m’incitera d’ailleurs à me séparer très vite de Norbert Balit, le contrat envoyé par ce dernier n’étant qu’une confirmation de ce qu’il me répétait depuis une semaine. On ne pourra jamais s’entendre. Incompatibilité absolue. -
Avec le recul, certaines conversations n’en deviennent que plus savoureuses. Je ne résiste donc pas au plaisir de relater une (petite) partie de ce déjeuner du 15 février 2012, avec cette proche de Michel Boyon, par ailleurs ex-petite main de la chiraquie.
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DM : Je ne veux pas te mettre en porte-à-faux.
XX : Tu plaisantes ? N’hésite jamais à m’appeler, franchement c’est jouable !
DM : Tu crois ? Ce n’est pas mon analyse.
XX : Mais si ! Le jeu reste complètement ouvert ! A ce stade, il semble difficile de ne pas attribuer de canal à TF1 et à M6, car il s’agit pour le CSA de consolider ces groupes, qui restent fragiles quoi qu’on en dise. Mais pour le reste, absolument rien n’est fait.
DM : Écoute, on sait tous les deux que Sarko va perdre. Il faut que le CSA ose, pour une fois, qu’il ose la qualité, qu’il s’émancipe, qu’il surprenne… Boyon aura au moins ça à son actif.
XX : C’est vrai, il veut laisser une trace… Mais il est persuadé que Sarko sera réélu… même s’il ne prend pas ses ordres à l’Élysée. D’ailleurs l’Élysée n’appelle jamais.
DM : Ce n’est pas ce que m’a dit Buisson.
XX : Pff ! Buisson, c’est la droite dure et Boyon n’en fait pas partie. Gélinet (ici) est proche de Buisson, c’est sûr, mais avec l’âge il s’est bien radouci.
DM : J’aimerais te croire, mais j’ai mes infos…
XX : Bon, il y a des renvois d’ascenseur, comme partout. Mais les conseillers du CSA sont assez indépendants et même assez frondeurs. Plus on leur conseille tel ou tel, plus ils prendront le contre-pied pour affirmer leur indépendance. Le lobbying lourdingue c’est contreproductif, il faut que vous restiez discrets.
DM : Mais tous les retours que j’ai me font penser le contraire… TF1 et M6 c’est fait, Chérie et L’Équipe, c’est fait, RMC Découverte et TVous la diversité, c’est fait !
XX : Je te confirme que la Diversité de Pascal Houzelot intéresse vraiment le CSA. Mais pour RMC Découverte rien n’est fait, car le CSA juge Weill quand même très low cost et puis l’affaire de l’abandon de La Tribune ne l’aide pas.
DM : Oui, je connais bien le dossier.
XX : En fait, nous avons été soulagés de constater que Canal Plus ne demandait rien. C’est vrai, ils ont racheté deux chaînes et on ne l’a su que trois heures avant le communiqué de presse, tu te rends compte !
DM : Canal, ça reste quand même une chaîne moins con que les autres.
XX : C’est vrai, on est souvent en désaccord avec eux mais Bertrand Méheut est un type brillant et respectable, c’est le seul aujourd’hui qui a une vision construite du secteur, il sait où il va et il y va.
DM : Alors… Puisque tout reste ouvert… Tu as d’autres conseils ?
XX : À l’audition, donnez bien du “Monsieur le Président” et du “Mesdames et Messieurs les Conseillers”. Le dispositif pour sourds et malentendants, le médiateur, la déontologie, sont tout sauf des gadgets, c’est au contraire déterminant. Votre dossier est bien construit, votre groupe est financièrement solide… Franchement, c’est jouable.
http://www.youtube.com/watch?v=k3rlVOvpAw4
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Chapitre 6 (article initialement publié le 09/01/13)
Quand RMC se transforme en radio filmée
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L’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 est d’ailleurs très clair : “Pour l’octroi des autorisations aux éditeurs de services de télévision au haute définition, le CSA tient compte des engagements en volume et en genre pris par le candidat en matière de production et de diffusion en haute définition de programmes, en particulier d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques européennes et d’expression originale française, ainsi que de l’offre de programmes dont les formats sont les plus adaptés à la haute définition et les les plus à même d’encourager la réception des services en haute définition par le plus grand nombre“.
Toujours en mission commandée pour son actionnaire, l’animateur Jean-Jacques Bourdin a par ailleurs affirmé : “C’est la première fois qu’une émission de radio va être diffusée en direct sur une chaîne de télé alors que cela se fait beaucoup aux Etats-Unis.” Interrogé sur le fait de savoir si le CSA avait donné son accord pour cette diffusion, alors que RMC Découverte est a priori une chaîne de documentaires, l’animateur s’est contenté de dire :”Écoutez, on verra bien… “. On ne sait si Bourdin a eu conscience du double sens de sa réponse… “Écoutez, on verra bien” : voilà un slogan tout trouvé pour cette nouvelle chaîne.
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Ou l’art du recyclage low cost. Alors que le groupe d’Alain Weill, NextRadioTV, a obtenu la chaîne RMC Découverte sur la TNT en haute-définition, Jean-Jacques Bourdin, animateur de RMC (la radio), que l’on peut déjà écouter en simultané sur BFM TV, a annoncé hier soir, dans l’émission de Jean-Marc Morandini, que sa matinale radio serait diffusée en direct sur RMC Découverte dès le 14 janvier. Comme on le disait sur France Inter dans les années 90 : “Écoutez, ça n’a rien à voir“. Un premier sujet, en tout cas, pour le futur président du CSA, Olivier Schrameck, qui succèdera le 24 janvier 2013 à Michel Boyon.
De la radio filmée sur une chaîne de documentaires censée émettre en haute-définition, voilà qui est original. D’autant que lors de l’appel à candidatures du 18 octobre 2011, auquel, je le rappelle, nous avons participé et qui au fil du temps s’est révélé n’être qu’une gigantesque farce, la diffusion en HD, souvent critiquée par les éditeurs pour son coût prohibitif, était censée constituer l’un des critères décisifs pour l’obtention d’un canal.
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Chapitre 7 (article initialement publié le 09/01/13)
Michel Boyon : “La télévision française est la meilleure du monde”
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Alors qu’il sera remplacé par Olivier Schrameck dans une dizaine de jours, Michel Boyon a fait, lors de la présentation du “Baromètre de Perception de la Qualité des Programmes“, le bilan de ses six années passées à la tête du CSA. Fidèle à ses habitudes, il a prononcé un discours dévolu à sa propre gloire. Tout en prônant désormais “la redéfinition de la réarticulation des régulateurs“. Le tout le plus sérieusement du monde. La presse télé semble quant à elle conquise. Extraits.
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“J’ai envie de dire, en partageant avec les trois collèges successifs et avec les services du Conseil qui sont très compétents, très précieux et très brillants, j’ai envie de dire, sur les six ans, mission accomplie. Sous différents aspects, finalement on a obtenu à peu près ce que nous souhaitions, qu’il s’agisse de la restructuration du paysage audiovisuel, à l’occasion notamment des occasions de concentrations, de regroupement, etc., qu’il s’agisse de la génération de la TNT, qu’il s’agisse de la préparation au numérique tous azimuts et pas simplement de la question de la TNT, mais toutes les conséquences de la génération de la numérisation a eu, ou aura, sur la conception des programmes, sur la fabrication et la réalisation des programmes, sur la manière dont la radio et la télévision sont acheminées.
J’ai envie de vous dire aussi que le CSA a réussi à créer avec les opérateurs audiovisuels, et pas simplement les chaînes, mais tous ceux qui gravitent autour de la radio et de la télévision, un climat qui, je n’hésite pas à le dire, n’avait jamais existé. Nous avons un dialogue constant et quotidien avec tout le monde, avec les chaînes, mais aussi avec les producteurs dans le cas de la télévision, mais aussi avec la filière technique, mais aussi avec les associations, sur un certain nombre des causes auxquelles le CSA est attaché, qu’il s’agisse de l’accessibilité aux programmes, qu’il s’agisse de la lute contre l’obésité, qu’il s’agisse de la prévention sanitaire, et notamment le thème de la diversité, probablement à mettre au premier plan, le fait que pour lui-même, le CSA ait été la première institution publique française à recevoir le label diversité à cause de sa gestion interne des ressources humaines, c’est quelque chose dont nous sommes extrêmement fiers.
Alors il y a d’autres points, et ce n’est pas le lieu, le moment, mais globalement, mission accomplie parce qu’on a fait à peu près ce que prévoyait la loi, et toutes les promesses et engagements que le CSA a pris au fil des ans, notamment à l’occasion des cérémonies de vœux, je l’ai vérifié, ils ont tous été tenus. Tous.(…)
Avec les contacts et les informations qui m’arrivent ici ou là notamment des pays européens, je crois que l’on peut dire, peut-être avec la télévision britannique, que la télévision française est la meilleure d’Europe et si elle est la meilleure d’Europe, c’est qu’elle est la meilleure du monde. N’hésitons pas à le dire. Faut-il partager ce podium avec la Grande-Bretagne ? Il y a dix ans je vous aurais dit, on est derrière la Grande-Bretagne, aujourd’hui, je suis moins convaincu, car je constate que même sur la BBC, on voit des émissions qui ne sont pas spécialement à l’honneur d’un service public.
Je ne regarde pas suffisamment les chaînes anglaises pour avoir une opinion là dessus (…). Mais j’ai le sentiment du devoir accompli et j’ajoute que j’ai la plus grande confiance dans la poursuite de ce mouvement. Le CSA a beaucoup fait pendant ces six dernières années, il y aura des nouveaux sujets qui vont apparaître, j’ai la plus grande confiance dans mon successeur et dans les membres qui ont été désignés. Beaucoup de gens s’amusent à rapprocher les parcours professionnels d’Oliver Schrameck et de moi, ça va peut-être donner des envies à d’autres, mais je suis convaincu qu’il fera tout ce qu’il faut.
Reste un dernier point, c’est la question de la redéfinition de la réarticulation des régulateurs. Question compliquée, mais il ne faut pas trop tarder. Il n’y a pas d’urgence absolue, attendre rendra l’exercice plus compliqué et il ne faudrait pas que dans deux ou trois ans, on dise que la France n’a pas su prendre le train au bon moment. Ce n’est pas de l’insatisfaction, c’est de l’attente qui deviendra vigilance un peu plus tard, un peu inquiétude encore plus tard, mais je crois que le président de la République est déterminé à avancer sur ce dossier”.
http://www.youtube.com/watch?v=aWPbhcbd61I
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Alors que le CSA a lancé son premier Baromètre de perception de la qualité des programmes et que les résultats sont médiocres pour la télé française (note moyenne d’à peine 5,52 sur 10), Michel Boyon n’y a rien vu d’inquiétant et s’est au contraire une fois encore autocongratulé. “Dans les faits, le rôle du CSA sur la qualité des programmes a été plus important qu’on ne peut l’imaginer, a t-il lancé sans rire en conférence de presse, devant un parterre de journalistes anesthésiés. Parce que toute une série d’initiatives que nous prenons, toute une série de décisions que nous adoptons, sont inspirées par le souci de parvenir à une meilleure qualité“.C’est vrai, ce n’est pas du tout ce que les téléspectateurs ont imaginé… Et ce n’est pas non plus ce qu’ils ont vu, ni jugé. Sans surprise, les programmes qui obtiennent la meilleure note de satisfaction sont ainsi les reportages, les magazines d’information et les documentaires, avec une note supérieure ou égale à 7 pour plus des deux tiers des téléspectateurs. A l’inverse, les programmes qui ont la plus mauvaise note sont ceux de la téléréalité (68% des personnes interrogées donnent une note inférieure ou égale à 4 sur 10).
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Chapitre 8 (article initialement publié le 16/01/13)
Baromètre BVA/CSA : des programmes jugés médiocres et un Boyon content de lui
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Dans notre projet D-Facto, la chaîne Docs & Débats, en réponse à l’appel à candidatures du CSA du 18 octobre 2011, nous écrivions déjà, un an avant l’étude de BVA : “D-Facto est un format de télévision thématique totalement inédit en France, additionnant les atouts d’une chaîne documentaire et d’une chaîne d’actualité. Résolument axée sur le réel, elle se situe dès lors diamétralement à l’opposé des antennes tournées vers l’imaginaire et le fictif, le sensationnalisme, la dramatisation du vécu et la mise en scène des individus, émissions dites paradoxalement de téléréalité et reportages pseudo-journalistiques“.
On sait, hélas, ce qu’il advint. Le choix des six chaînes étant déjà opéré en amont par l’Élysée, le CSA entérina… et nous n’avons dès lors pas obtenu de canal en haute-définition sur la TNT. Il est cependant assez drôle de voir aujourd’hui Michel Boyon et ses acolytes vanter les mérites d’une chaîne virtuelle que, visiblement, les Français attendaient et qu’ils n’auront pas ! En dépit des talents d’acteurs de Michel Boyon et de Françoise Laborde – la conseillère Francine Mariani-Ducray, technocrate de cabinet, reste encore un peu coincée- les faits sont têtus. Et les Français intelligents. Surtout, comme on dit chez Les Guignols, quand ils éteignent la télé et reprennent une activité normale.
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Chapitre 9 (article initialement publié le 18/01/13)
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CSA/TNT HD : Mensonges officieux, mensonges officiels, mensonges d’État
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Le 2 avril 2012, Michel Boyon nous communique, par le biais d’une connaissance commune –en l’occurrence un ministre du gouvernement Fillon- les “trois vraies raisons strictement confidentielles” pour lesquelles nous n’avons pas eu de chaîne sur la nouvelle TNT. Raisons pour le moins inattendues… Le 1er avril 2012 tombant un dimanche, j’ai d’abord cru à un gag un peu lourdingue. Mais non… Retour sur l’histoire de ces politiques qui ne doutent de rien. Et qui, tout gonflés de leur fatuité, n’imaginent même pas que la loi puisse également s’appliquer à leur auguste personne.
Quand, ce lundi 2 avril, le missi dominici, qui venait de ripailler avec le sieur Boyon, me téléphone pour me faire part des raisons invoquées pour notre non-sélection finale, je reste interloqué, me bornant à prendre acte d’un discours totalement ubuesque. J’écris dans la foulée un projet de lettre –fictive- au président du CSA, envoyé par courriel à toute mon équipe. Je me relis et j’ai du mal à me croire. Evidemment, je n’enverrai jamais cette lettre à l’intéressé, car elle était destinée à une information interne, sur un ton badin et amusé. Aujourd’hui, je ne peux vraiment pas résister au plaisir de la publier dans son intégralité, tant l’humour va au cœur des choses et les révèle de façon non agressive.
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De : Didier Maïsto
Objet : Rions un peu -
Date : 6 avril 2012 17:17:25 HAEC
À : XXXBonjour à tous,
Suite à mon échange téléphonique avec ………….., il m’a semblé utile d’écrire une courte lettre (ci-dessous) au Président du CSA, afin de le remercier pour sa franchise et son professionnalisme. Interdit de rire, la télé c’est sérieux… Et vous n’êtes pas professionnels 😉
Je vous communiquerai demain la date de notre prochaine réunion.
En attendant, bonne lecture !
DM -
Monsieur le Président,
Je suis heureux d’apprendre par notre connaissance commune les trois raisons profondes et cruciales pour lesquelles D-Facto n’a in fine pas été retenue par votre Conseil. Cela fera taire les mauvaises langues, qui affirmaient que BFM avait été élue pour faire la campagne du président-candidat en délicatesse avec les Français… et que TVous la télédiversité l’avait été pour faire rosir de plaisir vos amis, qui sont d’ailleurs les mêmes que ceux de Nicolas Sarkozy. N’est-ce pas une honte que de propager de telles rumeurs sans aucun fondement ? Nous n’avons, pour ce qui nous concerne, jamais douté de l’indépendance du Conseil supérieur de l’audiovisuel, comme de la probité et de l’honnêteté de ses membres actifs et de son président.Première raison que vous invoquez : “Trop de comptables étaient dans la salle“, et vous l’avez mal vécu.
Oui, je le concède, c’était une lourde erreur. Elle nous fut fatale. Ces types sont décidément trop sérieux avec leurs costumes gris et leurs lunettes en écaille, et pas du tout représentatifs de la diversité de notre pays. A notre décharge, nous avons été pris par le temps et avons versé, si j’ose dire, dans la facilité. Nous avions bien trouvé un nain népalais, un kanak unijambiste, deux lesbiennes noires albinos et un hermaphrodite tri-sexuel nord-coréen pour défendre notre dossier devant votre Conseil, mais les allers-retours en avion coûtaient trop cher. Economies de bout de chandelle… Cela nous servira de leçon à l’avenir.Seconde raison : “Il n’y avait aucun professionnel dans notre équipe“, et vous l’avez mal vécu.
Oui, je le concède. Nous sommes moins professionnels que votre ami Grand Reporter Otage au Liban (lire ici) que vous nous aviez gentiment loué pour l’occasion. Nous étions sur le point de trouver un accord, pourtant. En effet, nous avions accepté de lui verser quelques millions d’euros par an pour acheter des documentaires à sa société de production, nous l’avions nommé directeur général à vie de la chaîne, pour un salaire de quelques millions d’euros, nous avions aussi accepté de participer au financement de sa chaîne en PACA, pour un montant annuel de plusieurs millions d’euros et puis patatras, tout s’est écroulé car nous nous sommes bêtement braqués sur un point : il souhaitait une Aston Martin Vanquish comme véhicule de fonction -avec un pin-pon bleu sur le toit comme sur votre voiture- et nous n’avions qu’une vulgaire Mercedes Classe S à lui proposer. Economies de bout de chandelle… Cela nous servira de leçon à l’avenir. -
Troisième raison : Nous serions “passés de la chaîne des métiers à la chaîne des documentaires et des débats, créneau déjà promis à BFM”, et vous l’avez mal vécu.
Oui, je le concède. Nous étions sur le point de proposer à votre Conseil une chaîne muti-thématique, celle des stylistes-visagistes-capilliculteurs, des enfoirés mondains et des bouilleurs de cru. Mais au dernier moment, nous avons fait notre budget et, diantre, c’était cher pour notre petite multinationale. Economies de bout de chandelle… Cela nous servira de leçon à l’avenir.Néanmoins, qu’il me soit permis, au nom de D-Facto, de vous remercier pour votre franchise et votre professionnalisme. D’autant que ces trois raisons, même en y réfléchissant beaucoup, nous ne les aurions jamais trouvées tout seuls. En conséquence, comme la loi vous y oblige désormais, je vous serais extrêmement reconnaissant de motiver par courrier officiel ce que vous avez exposé oralement à notre connaissance commune. -
Dans cette attente, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de ma haute considération.
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Cette fameuse lettre officielle finira par arriver le 19 juillet 2012. Moins fantaisiste dans la forme, elle l’est tout autant sur le fond. Comme le disent les juristes, il y a le droit… et le tordu. Et cette lettre fait clairement partie de la seconde catégorie (voir ci-dessous).De : Didier Maïsto
Objet : Courrier RAR CSA. Concerne : Fiducial TV. Objet : Rejet candidature.
Date : 19 juillet 2012 15:44:04 HAEC
À : XXXBonjour à tous,
Vous avez participé, aux premières loges, à notre beau projet D-Facto et je vous en remercie une nouvelle fois vivement.
Comme vous le savez, le législateur oblige désormais le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, autorité administrative indépendante, à motiver juridiquement son refus par lettre recommandée.
Il s’agit principalement, pour le CSA, d’éviter des recours devant le Conseil d’Etat (lire ici).Si je m’interdis tout jugement de valeur et tout commentaire, il est évident que les plus juristes d’entre vous remarqueront le non-sens absolu de cette missive, qu’aurait pu écrire Pierre Dac.
Il convient de noter, en droit, l’imprudence inouïe de la démonstration.Pour résumer : compte tenu de la rareté de la ressource, le CSA a choisi des chaînes susceptibles d’intéresser un large public. Il a donc opté pour des chaînes thématiques, intéressant un public très restreint et a rejeté notre candidature, au motif qu’elle intéresserait les publics réunis de France 5, d’Arte… et de La Chaîne Parlementaire.
Il est bon de rappeler qu’un groupe concurrent, qui présentait 3 projets, s’est vu attribuer une chaîne sur le même créneau, stricto sensu, que nous.
Il est bon de rappeler au surplus que notre dossier était le mieux noté par les services du CSA, relativement aux 6 critères objectifs définis par la loi.
Bien cordialement,
DM
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