Après que Patrick Drahi a fini par remporter la bataille contre Martin Bouygues pour le rachat de SFR en avril-mai 2014, le premier a constaté son absence de poids politique en France. Racheter L’Express était donc un moyen, pour ce résident suisse dont la nationalité n’est pas certaine (française ? israélienne ? franco-israélienne ?), de s’acheter une place au sein de l’establishment. Le financier avait déjà “sauvé” Libération, emblématique quotidien de gauche, pour tenter de s’attirer les grâces de François Hollande et de son gouvernement. Sauf que rien ne se passe comme prévu : le plan social à L’Express (officialisé le 28 septembre) a mis le feu aux poudres et les journalistes ont même engagé contre leur patron une campagne sur Facebook et Twitter baptisée “Alerte à L’Express”.
Si tous les salariés de L’Express ont bien compris la nécessité d’une réforme, notamment pour ce qui concerne le numérique, et s’ils ne contestent pas le principe d’un plan de sauvegarde de l’emploi, ils s’interrogent sur l’absence de stratégie d’Altice en termes de contenu. Ils ont l’impression, comme le résume l’un d’entre eux, d’être “traités comme des boîtes de petits pois” au nom “du sacro-saint principe du cost killing”. En assemblée générale, une salariée a parfaitement synthétisé la situation : “Nous ne savons toujours pas pourquoi Patrick Drahi a acheté L’Express.”
Outre la volonté déjà évoquée d’une reconnaissance, un banquier d’affaires européen – qui a insisté pour qu’on ne cite ni son nom ni sa banque – apporte d’autres éléments de réponse. Il s’est confié à Lyon Capitale le 17 octobre : “Ce qui compte pour Patrick Drahi, c’est d’avoir du contenu captif pour vendre et justifier ses contenants. Il raisonne comme un ingénieur et comme un financier, pas du tout comme un homme de médias, c’est ça que vous avez du mal à comprendre en France. Son rêve serait de câbler la terre entière, et si, pour y parvenir, il faut mettre quelque chose dans les tuyaux, il n’hésitera pas. Mais cet aspect est pour lui vraiment secondaire. C’est un pragmatique qui aime et qui fait de l’argent, ce n’est pas un rêveur.”
La loi de 1986 limitant les capitaux étrangers dans la presse est-elle respectée ?
Étonnamment, ce que nul ne semble avoir relevé – c’est pourtant le point le plus important – c’est que les étrangers ne peuvent, depuis la promulgation de la loi n°86-897 du 1er août 1986, procéder à une acquisition ayant pour effet de porter, directement ou indirectement, leur part à plus de 20 % du capital social ou des droits de vote d’une entreprise éditant une publication de langue française.
À supposer que Patrick Drahi soit de nationalité française – ce qui à ce jour n’est toujours pas clair –, en vertu de la loi est “étrangère toute société dont la majorité du capital social ou des droits de vote est détenue par des étrangers, ainsi que toute association dont la majorité des dirigeants est étrangère”. L’article 12 de la loi du 1er août 1986 établit que “toute personne, qui en son nom personnel ou comme représentant d’une personne morale, aura été partie à cette convention prohibée, sera punie d’une peine d’emprisonnement d’un an au plus et d’une amende maximale de 30 000 euros”.
Le choix du Panama ne doit rien au hasard
Cela bien entendu sous réserve des engagements internationaux souscrits par la France et comportant soit une clause d’assimilation au national, soit une clause de réciprocité dans le domaine de la presse. Ainsi, le choix du Panama pour la maison mère de L’Express ne doit rien au hasard et la fiscalité n’explique pas tout. Les relations de la France et du Panama sont, de l’aveu même de notre diplomatie, “au beau fixe”.
L’entretien de François Hollande avec le président Varela, en marge du sommet Union européenne et Communauté des États latino-américains et des Caraïbes, le 10 juin 2015, “a relancé ce dialogue de haut niveau. Notre relation avec le Panama s’articule autour de deux priorités : la diplomatie économique et la coopération dans les domaines de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur”, peut-on lire sur le site Internet des Affaires étrangères.
Un maquis à défricher pour les lanceurs d’“Alerte à L’Express”
“La présence économique de la France dans ce pays s’est fortement consolidée depuis les années 2000 (…) Nos entreprises ont pris part à de nombreux projets de grande ampleur, accompagnant le développement du Panama. (…) Les investissements français sont relativement diversifiés : ils sont le fait de près de 20 filiales de grands groupes. (…) Une moitié de ces grands groupes s’est implantée au cours des cinq dernières années et la plupart utilisent le Panama comme plate-forme régionale d’action et d’animation de leurs réseaux de filiales et de clients dans la région, tout en gardant un regard sur le marché local.”
Tout cela est bel et bon. A ceci près que le Panama reste un paradis fiscal de première catégorie et que, pour être considérée comme une société de nationalité française, il ne suffit pas à la société actionnaire d’avoir un siège social en France ou d’être régie pour sa constitution et son fonctionnement par le droit français des sociétés. Elle doit aussi faire l’objet d’un contrôle par des intérêts français. Il convient par conséquent de s’assurer de la nationalité de chaque actionnaire (personne physique ou personne morale) par application des critères déjà évoqués (par exemple, siège social et contrôle), et ce jusqu’à la connaissance certaine de la nationalité du détenteur indirect d’actions de la société.
Par ailleurs, se pose la question de l’origine des fonds, lesquels ne deviennent pas européens par le simple fait qu’ils transitent par des établissements ayant leur siège au sein de la Communauté Européenne. Un maquis à défricher, voire à déchiffrer, pour les lanceurs d’“Alerte à L’Express”, qui ont déjà compris que Christophe Barbier, bombardé directeur général délégué, était surtout devenu le barbier de Drahi, sinon celui de Séville. Comme Beaumarchais le faisait dire à Figaro dans la scène 2 de l’acte premier : “Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?” Si la vente de L’Express à Altice est bien illégale, à quel titre Christophe Barbier envoie-t-il ses confrères à Pôle Emploi ? Il ne serait que le mandataire désigné d’une personne non propriétaire.
MAJ 17:38