Équité fiscale, justice sociale, transparence ou volonté d’être entendu… Les combats des lanceurs d’alerte rejoignent-ils ceux des Gilets jaunes ? À moins que ce ne soit l’inverse ?
À l’aurore de la vague jaune, l’oncle Gaby. Dans un texte publié sur les réseaux sociaux, le journaliste Denis Robert, à l’origine des révélations sur la “banque des banques” avec l’affaire Clearstream, est “Gilet jaune à donf”. “Ce qui se prépare ici, c’est une jacquerie. Le message est clair et éminemment politique. Les pauvres en ont marre d’avoir froid, de jouer du crédit le 15 du mois, de faire des demi-pleins alors qu’à la télé ils entendent chaque jour se raconter une histoire qui n’est plus la leur.” Pour lui, entre lanceurs d’alerte et Gilets jaunes, il y a un “point de rencontre”, “un rapport de cause à effet”.
“Le travail au long terme de révélations de scandales financiers participe de l’information et de l’écœurement général. Il produit cette colère génératrice du mouvement. S’il n’y avait pas eu ce chapelet de scandales, il n’y aurait pas de mouvement des Gilets jaunes. Le hollandisme, le sarkozisme et le macronisme n’ont jamais entendu les lanceurs d’alerte, on nous a pris avec des pincettes”, rappelle Denis Robert, qui vient de lancer une campagne de financement participatif pour réaliser un documentaire sur “La (très) grande évasion”.
Mère de famille, Marine Martin se bat quotidiennement et depuis plusieurs années aux côtés des victimes de la Dépakine, commercialisée par le laboratoire Sanofi. Si elle n’a pas enfilé son gilet jaune et ne voulait pas mélanger les batailles, elle comprend le mouvement. “Dans mon combat, je formule une critique du laboratoire Sanofi, qui n’a pas informé les patientes sur les risques de son médicament et voit l’épilepsie comme un marché susceptible de faire des bénéfices. Avec les Gilets jaunes, il y a un signal fort envoyé au Président par rapport à une politique qui favorise les grandes entreprises, comme Sanofi, qui reversent énormément d’argent à ses actionnaires plutôt qu’à ses salariés ou aux victimes de la Dépakine. Pour l’heure, c’est avec de l’argent public, celui du contribuable, que l’indemnisation des victimes de la Dépakine sera payée.”
Injustice fiscale
Lanceur d’alerte dans l’affaire Luxleaks et la révélation d’accords secrets qui ont permis à des centaines de multinationales d’échapper à l’impôt, Antoine Deltour note des similarités entre lanceurs d’alerte et Gilets jaunes.“Comme les lanceurs d’alerte, les Gilets jaunes viennent de la base, de citoyens qui font le constat de défaillances des institutions, du système économique et démocratique. Les lanceurs d’alerte peuvent être une forme de réponse pour mettre en avant d’autres formes d’engagement. Mais on ne peut pas parler d’une entité cohérente et structurée, ni pour les lanceurs d’alerte, ni pour les Gilets jaunes.” Il confie avoir d’abord été réticent par rapport à ses convictions personnelles en faveur de l’écologie. “Que le déclencheur soit la taxation du carburant me gênait. C’est un mouvement dans lequel il y a à boire et à manger. Mais une forme de contestation du gouvernement actuel me semble indispensable pour limiter les dégâts. Le message le plus important, auquel j’adhère, est que le niveau qu’a atteint l’injustice fiscale devient insupportable.”
“Le lanceur d’alerte n’est en rien un Gilet jaune”
Pour Nicolas Forissier, lanceur d’alerte dans le scandale UBS, le mouvement des gilets jaunes est une “conséquence macro-économique de l’inaction des élus face à ce que dénoncent des lanceurs d’alerte depuis des dizaines d’années “. Mais faire une analogie entre les deux est faux. “Le lanceur d’alerte n’est en rien un gilet jaune et un gilet jaune un lanceur d’alerte. Le lanceur d’alerte dénonce de manière apolitique des dossiers qui sont pénalement répréhensibles, d’une gravité absolue et dont il a les preuves. Ce n’est pas comparable“,rappelle l’ancien responsable du contrôle interne pour UBS, qui lutte contre l’évasion fiscale depuis 2003.
Animaux à cinq pattes
Le rassemblement, “statique et pacifique”, a été déclaré en préfecture. Le dimanche 20 janvier, les petits commerçants porteront leur gilet jaune devant le ministère des Finances, à Bercy. La bataille de l’association En Toute Franchise contre l’impunité des enseignes de la grande distribution est partie prenante de la contestation. Un engagement qui rassure Stéphanie Gibaud, de l’affaire UBS. “Ce cri des Gilets jaunes… Ils sont en train d’expérimenter en nombre ce que les lanceurs dénoncent de manière individuelle depuis des années : il est question de justice fiscale et d‘intégrité. On est dans le même bateau ! On a montré qu’il y avait une véritable connivence, des réseaux organisés. La riposte a été d’essayer de montrer que les lanceurs d’alerte étaient des animaux à cinq pattes. Comme face au fondateur de Wikileaks, Julian Assange, on stigmatise les gens et on ne s’occupe pas du message qu’ils cherchent à faire passer. Moi, ce que je retiens des Gilets jaunes, c’est qu’on n’arrive plus à vivre, à nourrir nos enfants.”
*Mise à jour le 11/01 pour intégrer l’interview du lanceur d’alerte Nicolas Forissier.