Moins d’un mois après les révélations du Lanceur quant aux pratiques désastreuses de la nouvelle direction du Cned, une enquête a été ouverte par l’Éducation nationale. Et un directeur général par intérim a été nommé pour pallier le départ de Jean-Charles Watiez. Car le directeur de la structure a pris la poudre d’escampette, après avoir tenté d’effacer quelques courriels fâcheux.
“Comme suite à la démission de Jean-Charles Watiez, Michel Reverchon-Billot, inspecteur général de l’Éducation nationale, a été nommé directeur général par intérim du Centre national d’enseignement à distance (Cned)…”, stipule sobrement un communiqué du ministère de l’Education nationale, ce vendredi 23 décembre. Rien que de très classique, à l’exception de deux minuscules détails : la nomination d’un DG “par intérim” semble trahir une certaine précipitation, destinée à pallier une “démission” du désormais ex-directeur général du Cned… jamais annoncée !
Se pourrait-il que ce remplacement en catastrophe soit lié aux révélations faites il y a un mois à peine par Le Lanceur ? La suite du communiqué semble l’indiquer, puisque Najat Vallaud-Belkacem y invite l’intérimaire à “apporter une attention toute particulière aux relations sociales internes au Cned et [à] établir un cadre de confiance avec l’encadrement, les personnels et leurs représentants”. La priorité numéro un est donc clairement établie pour M. Reverchon-Billot : pacifier une institution au bord de l’implosion. Si nous annoncions quelque peu prophétiquement “Une chose est sûre : le Cned n’est pas près de couler des jours paisibles” en conclusion du précédent article, on ne peut pas dire que les événements survenus au Cned cette dernière quinzaine nous aient donné tort !
Prévisions budgétaires douteuses et soupçons de favoritisme
C’est que les relations entre la direction générale du Cned et son ministère de tutelle semblaient bien s’être considérablement rafraîchies à l’amorce de l’hiver. Le “contrat d’objectifs et de performance” conçu par Jean-Charles Watiez, plan triennal pour la transformation du Cned et son évolution vers le numérique, ne recueille pas l’assentiment de la Rue de Grenelle, qui le retoque et prie l’intéressé de lui en fournir une nouvelle version pour février. Le budget prévisionnel de 2017 connaît le même sort : il est jugé “incohérent et à la sincérité douteuse”, notamment en raison de prévisions de chiffre d’affaires particulièrement optimistes.
Il faut dire que les résultats de 2016 ont accusé un déficit de 9 millions d’euros par rapport aux objectifs initiaux, et même 5 millions en dessous des prévisions réajustées en cours d’année, alors que la tempête soufflait déjà. Le ministère semble ainsi remettre en question les compétences d’un énarque pourtant armé d’un DESS de gestion des télécoms et d’un doctorat en sciences de gestion, mais il ne va pas s’en tenir là. Car, comme vous l’annonçait Le Lanceur le mois dernier, de forts soupçons de favoritisme dans l’attribution des marchés publics pesaient également sur Jean-Charles Watiez.
Des courriels difficiles à effacer
Est-ce pour faire disparaître toute trace compromettante des transactions conclues avec ses vieux amis Benoît Tézenas du Montcel (société 360 Degrés Fahrenheit) et Fabrice de l’Assomption (MNM Consulting) que l’ex-DG a pris soin d’effacer certains de ses courriels ? Las, l’ex-DG ignorait sans doute que, s’ils avaient disparu de son ordinateur, ils étaient bien au chaud dans les serveurs du Cned, qui effectuent à intervalles réguliers des sauvegardes de sécurité des données. Mais il ne va pas tarder à le découvrir : à la suite d’une réinitialisation de sa boîte de courrier électronique, défectueuse, par les services informatiques du Cned, il voit resurgir sur son écran les fantômes du passé. Selon nos informations, son sang n’aurait alors fait qu’un tour et il aurait immédiatement ordonné à un agent de la direction des services informatiques (DSI) que soient supprimés des serveurs tous les messages et fichiers antérieurs à quinze jours !
Une manœuvre très singulière, qui contrevient aux usages en cours dans l’Administration. Et surtout qui, en cas de future enquête diligentée par le ministère, pourrait être interprétée comme une action visant à “détruire, soustraire, receler ou altérer un document public ou privé ou un objet de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des coupables”, comme le stipule l’article 434-4 du Code pénal, qui prévoit pour ce cas des peines pouvant aller jusqu’à 75.000 euros d’amende et cinq ans de prison ! D’après ce que Le Lanceur a pu apprendre, l’agent de la DSI aurait refusé de s’atteler à cette tâche, exigeant au préalable une demande écrite et signée… qui, étrangement, ne vint jamais. Rétrospectivement, il n’est pas interdit de penser que bien lui en a pris, car enquête il y eut, et très vite.
Trois bouteilles de champagne et puis s’en va
Le 15 décembre au matin, deux inspecteurs du ministère de l’Education nationale débarquent au Cned. Que sont-ils venus faire là ? L’ensemble des personnes auditionnées permet de s’en faire une idée. Car, après avoir passé deux heures auprès de Jean-Charles Watiez, les inspecteurs demandent à voir successivement la directrice des affaires financières, le directeur des affaires juridiques (deux cadres qui se sont élevés contre la direction générale lors de la passation de marchés jugés douteux), le comptable public et l’acheteur… qui n’est plus dans les murs, ayant démissionné quelques mois auparavant. En clair, uniquement des personnels siégeant à la commission permanente des marchés (nom donné au Cned à la commission d’appels d’offres), avant de revoir M. Wattiez pour un ultime tête-à-tête.
Il n’est pas impossible que le rapport rendu par les inspecteurs ait pesé d’un certain poids dans la “démission” du directeur général. Lequel demandera à la DSI, à peine six jours plus tard, de désactiver le transfert automatique des communications entre sa ligne directe du Cned et son portable personnel, avant de demander qu’on lui monte trois bouteilles de champagne puis de s’éclipser, aux alentours de 14h, vers une destination inconnue.
Si, depuis ce 21 décembre, plus personne n’a aperçu le grand patron dans les murs, l’ensemble des personnels du Cned a reçu de lui, le même jour que le communiqué du ministère, un courriel surréaliste. Celui-ci commence par des formules d’usage, puis affirme qu’“en 2016 le CNED a dû faire face à une situation concurrentielle très vive, et en dépit d’un recul de l’activité commerciale, le niveau de trésorerie de l’Etablissement sera très supérieur aux prévisions établies”, avant de se clore sur un sibyllin “Au moment où je quitte le CNED, je vous souhaite pour vous-mêmes ainsi que tous vos proches de joyeuses fêtes et une très heureuse année 2017”. Si l’on en croit les nombreux témoignages que Le Lanceur a pu recueillir dans la maison, il est en effet probable que les bouchons de champagne ont sauté plus qu’à l’accoutumée chez bien des agents du Cned.