En mai 2017, Le Lanceur publiait la carte de France du népotisme. Un an plus tard, la loi de moralisation de la vie politique a incontestablement amené des progrès à l’Assemblée nationale et au Sénat mais, comme le montre ce premier bilan réalisé avec le magazine de France 2 Complément d’enquête (diffusé ce jeudi à 23h), le favoritisme familial est toujours autant en vogue au sein des collectivités locales.
Les suites politiques des affaires Cahuzac et Fillon
Alors que les lois “de moralisation de la vie publique” ont été adoptées le 15 septembre dernier, le retour de la confiance dans la vie politique n’est pas (encore) à l’ordre du jour. Les petits arrangements dans les cercles familiaux ont toujours cours et ne risquent pas de disparaître dans l’Hexagone. Ces lois, voulues par le président Macron et son ancien garde des sceaux François Bayrou, répondent à deux affaires qui ont phagocyté la dernière campagne présidentielle : les affaires Cahuzac et Fillon.
Pour ce qui est de l’affaire Cahuzac, on peut dire que les lois pour la confiance dans la vie politique ont répondu aux dérives mises en évidence par le cas de l’ancien ministre délégué au Budget. Aujourd’hui, les parlementaires doivent avoir satisfait à leurs obligations fiscales (article 4), de plus le régime des incompatibilités et l’encadrement des activités de conseil des parlementaires sont renforcés (art. 6 à 13) ; chaque assemblée parlementaire fixe les règles de prévention des conflits d’intérêts et tient à la disposition du public un registre des déports (art. 3).
En ce qui concerne l’affaire Fillon, le résultat est plus mitigé. Il est vrai que l’embauche d’un membre de sa famille est devenue chose rare. Il y a un an, 103 députés sur 572 avaient des liens familiaux avec leurs assistants ; aujourd’hui ils se comptent sur les doigts d’une main. Même état des lieux au Sénat, puisque au lendemain des sénatoriales il ne restait plus que 16 sénateurs employant des collaborateurs possédant le même patronyme. Alors que les préavis de licenciement courent jusqu’à la mi-mars, il ne devrait plus y avoir de parlementaire qui partage le patronyme de l’un de ses collaborateurs. Car il risquerait d’être démissionné par le Conseil constitutionnel et de voir son inéligibilité courir pendant trois ans. L’élu dans ce cas encourrait également une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
La loi ne répond pas à la problématique des emplois fictifs”
En revanche, et malgré le tollé provoqué par l’affaire Fillon, les lois de moralisation de la vie publique ne semblent pas remettre en cause les emplois fictifs. Selon un représentant de l’association Regards Citoyens, “la loi de moralisation ne répond pas à la problématique des emplois fictifs, puisqu’il est toujours possible d’employer des collaborateurs qui ne travaillent pas”. De plus, selon ce même représentant de Regards Citoyens, la loi du 15 septembre 2017, dite de moralisation de la vie politique, est une loi d’affichage puisque, “sur le volet népotisme, il est toujours possible, à travers un mécanisme qui s’appelle les “emplois croisés”, de contourner la loi puisqu’il est possible de travailler pour un autre député ou sénateur”.
Ces emplois croisés sont assez simples à mettre en œuvre, comme l’expliquait dans les colonnes de Sud-Ouest le sénateur de Charente-Maritime Daniel Laurent : “Ou je me sépare de ma fille, car la loi l’impose. Soit, avec Corinne Imbert [sénatrice LR qui emploie aussi sa fille, NdlR], on intervertit nos filles et on fait un cabinet commun.” Un scénario que le parlementaire n’a pas mis à exécution après que la fille de sa consœur Stéphanie Imbert s’est offusquée sur Twitter de cette offre de “bidouillage”.
Quoi qu’il en soit, des emplois croisés au sein de l’Assemblée nationale, le questeur (LREM) Florian Bachelier “n’en a pas connaissance”. Quant à voir des parlementaires continuer à employer des membres de leurs familles, il n’y a aucun doute pour lui : “À terme, tous les députés respecteront la loi !” Reste à espérer que les députés français ne suivent pas l’exemple de certains de leurs collègues européens et plus spécifiquement au sein du groupe L’Europe des nations et des libertés (ENL), qui regroupe l’extrême droite européenne. En effet, les emplois croisés y sont chose commune : la députée FN Marie-Christine Arnautu a fait embaucher son époux, Philippe Chevrier, comme assistant parlementaire de la députée FN Marie-Christine Boutonnet ; la députée FN Dominique Bilde a fait embaucher son fils, Bruno Bilde, par la députée Sophie Montel (Les Patriotes) avant que celui-ci ne démissionne ; autre cas, la députée FN Mylene Troszczynski qui a fait embaucher comme assistant parlementaire de la députée FN Joëlle Mélin son mari, Laurent Guiniot – lequel a également pu bénéficier du soutien de son père, Michel Guiniot, pour devenir l’un des attachés au groupe FN du conseil départemental de l’Oise.
Dans une autre mesure, c’est la loi du 14 février 2014 sur le non-cumul des mandats qui entraîne de nouveaux cas de népotisme. Preuve en est la situation rencontrée dans l’Aube avec la députée LR Valérie Bazin-Malgras. Après son élection, la jeune parlementaire a embauché la fille et la belle-fille de son suppléant et prédécesseur, Jean-Claude Mathis. Celui-ci, maire des Riceys, avait préféré conserver son mandat local, se positionnant en suppléant. Ce qui avait amené la nouvelle députée à se justifier au micro de nos confrères de LCI : “Ces collaborateurs ne sont pas des personnes de ma famille et il n’y avait pas d’emploi de complaisance.”
Les emplois familiaux se font plus rares au sein des Parlements nationaux, non sans une certaine amertume. Le sénateur LR Philippe Dominati déclarait dans les colonnes de Challenges au sujet de son fils et ancien assistant parlementaire : “J’aurais aimé lui donner le virus de la politique, comme mon frère Laurent qui a été l’assistant parlementaire de mon père Jacques Dominati avant d’enchaîner deux mandats de député.”
Le népotisme dans les collectivités locales
Alors que le niveau des emplois familiaux a nettement baissé au sein des assemblées nationales, la France reste néanmoins classée au 23e rang du classement de l’ONG Transparency International “Indice de perception de la corruption”. Une des principales raisons à cela, c’est la corruption dans les collectivités locales… bien souvent liée à des cas de népotisme.
Pour les référents d’associations telles qu’Anticor, il est souvent difficile de lutter contre ces “barons locaux” et autres “princes de la vallée”, fréquemment aux commandes d’une collectivité depuis plusieurs dizaines d’années. Ces barons locaux ont su nouer des liens privilégiés avec les autorités judiciaires locales, lesquelles sont accaparées par d’autres délits que la prise illégale d’intérêts ou le trafic d’influence. Autre difficulté pour ces défenseurs de l’éthique en politique : la multiplication des strates administratives – mairie, régie municipale, centre communal d’action sociale, agglomération, communauté de communes, syndicats intercommunaux, département, région… – qui complique toute investigation pour ces chevaliers de la lutte anticorruption.
À découvrir dans Complément d’enquête : le comportement de l’adjointe aux ressources humaines à Aigues-Mortes, dénoncé par un conseiller municipal d’opposition. Elle avait recruté sa fille, ses nièces, son gendre et une demie-douzaine d’autres membres de sa famille au sein des services de la mairie et de la communauté de communes. Ils pourraient être au total près de onze à avoir bénéficié des faveurs de Jeanine Soleyrol. Un signalement auprès du procureur de la République va être fait par le référent Anticor du Gard afin de mettre un terme à ses pratiques.
Ces embauches se font bien souvent au détriment de fonctionnaires méritants. Comme à Hautmont (59) où l’ancien maire M. Willmotte a embauché en janvier 2014 sa belle-sœur au service comptabilité en lieu et place de Monique Moularde, mutée contre son gré à la piscine de la ville. Une situation qualifiée de prise illégale d’intérêt par le syndicat CGT, porteur d’une plainte auprès du procureur du TGI d’Avesnes-sur-Helpe… restée pour l’heure sans suite.
Avec la mise en œuvre des lois de moralisation de la vie publique, l’embauche comme collaborateurs de cabinet des membres de la famille des exécutifs locaux est interdite (art. 15 à 19). Cependant, rien n’interdit à un président d’exécutif de voir sa progéniture à la tête d’une association que “sa” collectivité subventionne. Michel Pélieu, président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées (PRG) depuis 2011, dont il était vice-président depuis 1988, a été invité à démissionner de la présidence d’honneur de Hautes-Pyrénées Tourisme Environnement par les magistrats de la chambre régionale des comptes. Hautes-Pyrénées Tourisme Environnement dont la direction est depuis 2006 entre les mains d’Isabelle Pélieu, sa fille. La chambre indique dans son rapport que “le fait, pour un élu, d’intervenir, ne serait-ce que par un avis, et a fortiori par une signature, dans la décision d’octroi d’une subvention à une association dans laquelle il a un intérêt personnel, direct ou indirect, peut être, aux yeux d’un juge, de nature à caractériser la prise illégale d’intérêt”.
Un fauteuil qui reste en famille
Outre les embauches, la meilleure façon de favoriser un membre de sa famille est de lui céder son fauteuil. Souvent en cours de mandat, afin de faciliter le passage de témoin. Cet héritage est blanchi par le suffrage universel, au grand dam des amoureux de la morale en politique. Les cas les plus connus sont ceux des familles Balkany à Levallois-Perret et Ferrand au Barcarès (Pyrénées-Orientales). En découlent des dynasties comme celle d’Aix-en-Provence avec la famille Joissains. Maryse Joissains-Masini (LR) a repris la mairie après le passage de son mari, Alain Joissains (maire de 1978 à 1983) ; aujourd’hui, sa fille Sophie Joissains, sénatrice des Bouches-du-Rhône, déclare : “J’ai très envie de devenir à mon tour maire d’Aix.”
Autre dynastie, celle du conseiller territorial et ex-président du conseil général de Haute-Corse Paul Giacobbi. Il est le fils de l’ancien député et sous-secrétaire d’État François Giacobbi, le petit-fils de Paul Joseph Marie Giacobbi, qui fut ministre après-guerre, lui-même fils de Marius Giacobbi qui fut également député et sénateur de Corse à la fin du XIXe siècle. L’ancien député de la circonscription de Calvi-Corte a été condamné en janvier dernier en première instance à trois années de prison ferme, plus cinq ans d’inéligibilité et 100 000 euros d’amende, pour détournement de fonds publics dans l’affaire des Gîtes ruraux.
Permis de construire et logement de convenance
Plans de prévention des risques inondation (PPRI), plan local d’urbanisme (PLU) ou délivrance des permis de construire sont de la compétence des élus locaux. Souvent à la discrétion du maire, ils peuvent permettre à certains élus d’être agréables aux membres de leur famille. De plus, lorsqu’un maire intervient dans le cadre de l’art L. 480-1 du Code de l’urbanisme, il n’agit pas en tant que maire mais en tant que représentant de l’État, comme le ferait un fonctionnaire d’État. S’il commet une faute supposée, la plainte n’est pas dirigée contre lui mais contre l’État, représenté par le préfet. Rares sont les sanctions à son endroit, sauf en cas de faute lourde détachable du service.
C’est ce qui s’est produit à Urrugne (Pyrénées-Atlantiques). La maire, Odile de Coral (LR), a été condamnée à 4 mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende pour son vote en 2007, lors d’un conseil municipal, en faveur d’un plan local d’urbanisme qui rendait constructible un terrain appartenant à son mari et à sa belle-famille. Terrain qui, par la suite vendu, a rapporté 4 millions d’euros. Mais elle garde son fauteuil de maire, aucune peine d’inéligibilité n’ayant été prononcée contre elle. Après deux reports, les juges de la cour d’appel de Pau ont finalement rendu leur arrêt. La maire d’Urrugne a renoncé à se pourvoir en cassation et, malgré la demande de démission émise par l’opposition, la première édile reste à la tête de cette cité basque.
Autre prérogative des élus locaux, le logement. Souvent responsables d’un parc immobilier conséquent, certaines habitations ou appartements peuvent être attribués en dehors des conditions de revenus qui régissent les HLM. À Paris, Jérôme Chodron de Courcel, frère de Bernadette Chirac, bénéficie ainsi (toujours) d’un logement social au cœur de Paris, dans un petit immeuble de trois étages calme et cosy du Marais. Le beau-frère de Jacques Chirac y loue un appartement spacieux à prix modique depuis 1984, époque où l’ancien président de la République était maire de Paris. Cela n’a rien d’illégal, puisque c’est un loyer libre, établi par la RIVP sans barème. Mais l’immeuble, géré par le bailleur social, a été entretenu avec des subventions publiques et le loyer y est 30 à 40 % moins cher que dans le privé.
Le népotisme est dans les détails
Être propriétaire d’une maison avec son père, rien de plus banal… La louer à papa pour ses activités politiques, mais aussi à son épouse pour sa permanence de députée européenne, est de l’ordre du népotisme. C’est la situation rencontrée à Noyon (60) par Laurent Guiniot.
Être la fille du président du conseil exécutif de Martinique, Alfred Marie-Jeanne (Mouvement indépendantiste martiniquais), permet de bénéficier de fonds destinés à la coopération régionale pour la construction de l’école Roosevelt-Douglas à la Dominique. Ce qui n’empêche pas Maguy Marie-Jeanne et son compagnon architecte, Mark Frampton, d’être mis en examen pour recel de prise illégale d’intérêts…
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Après la mise en lumière de cette enquête dans le magazine de France 2, le tour de France se prolonge jusqu’en juin. Nous continuons notre travail : suivez notre actualité sur Le Lanceur pour découvrir la carte de France du népotisme 2018.