Le Lanceur

Le nouveau combat d’Hervé Lebreton pour réveiller la démocratie

Hervé Lebreton, président de "Pour une démocratie directe" © NICOLAS TUCAT / AFP

Après avoir fait trembler députés et sénateurs en demandant le détail de l’utilisation des millions d’euros de la réserve parlementaire et avoir pointé l’enrichissement personnel des députés par de l’argent public avec l’IRFM, le professeur de mathématiques du Lot-et-Garonne montre la voie dans son premier livre, où il incite les citoyens à demander la transparence sur les dépenses des collectivités locales.

Depuis le village de Lacépède, Hervé Lebreton a bouleversé la vie politique française. Professeur de mathématiques dans le Lot-et-Garonne, il démontre dans son premier livre l’une de ses convictions. Celle que “le citoyen est le cinquième pouvoir”. Affichée dans sa salle de classe : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Son contenu semble pourtant bien éloigné de la réalité des pratiques qu’Hervé Lebreton découvre après avoir fondé l’association “Pour une démocratie directe”. Alors que l’article 14 stipule que “tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée”, il faudra deux ans et demi de travail et une décision de justice à l’encontre du ministère de l’Intérieur pour que son association puisse avoir accès au cru 2011 de la réserve parlementaire.

 

Encadrée par aucun texte de loi, la réserve parlementaire (164 millions en 2011) était versée en fonction du poids politique de chacun. Une enveloppe que les parlementaires distribuaient par subvention aux communes de leur choix. Et si le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, lui affirmait : “Jamais vous ne supprimerez la réserve parlementaire”, celle-ci n’existe plus depuis le second volet de la loi “Pour la confiance dans la vie politique”. La politique n’a pas de sens si elle n’est pas au service du bien commun et de l’intérêt général”, affirme Hervé Lebreton. Novice, il s’est frotté aux arcanes du pouvoir, passant par des chemins de traverse auxquels d’autres n’avaient pas pensé”. Candidat aux législatives dans la circonscription de Jérôme Cahuzac, il découvre les règles de financement des partis politiques, les passe-droits et autres atteintes à la vie démocratique. Malgré une succession d’anecdotes effarantes sur les pratiques auxquelles il s’est confronté, son livre, Je veux vivre en démocratie, veut témoigner de la possibilité qu’a le citoyen de “véritablement changer les choses pour sortir des petits arrangements”. Comme un passage de témoin à la fin de son récit, il propose au lecteur de réclamer une plus grande transparence des dépenses des collectivités locales.

“La racine du problème est que nous n’avons pas les budgets de façon fine” (Hervé Lebreton)

Le Lanceur : Après avoir raconté votre parcours dans votre premier livre, Je veux vivre en démocratie, vous terminez par une lettre détachable à l’attention d’Emmanuel Macron incitant à réclamer “la plus grande ouverture de données publiques en France”. Quels sont les enjeux de l’accessibilité du fichier @CTES émanant de la Direction générale des finances publiques ?

Hervé Lebreton : La réserve parlementaire, à côté, ce n’est rien. Ce fichier représente des milliards d’euros de dépenses des collectivités locales et pourrait faire apparaître les passe-droits ou les marchés captifs, négociés avant les appels d’offres. Car il y a clairement un problème de passation des marchés publics en France. En utilisant le Big Data, nous pourrions nous rendre compte que des entreprises sont reprises grâce à de l’argent public. L’ouverture de ces données peut engendrer un effet boule de neige. Normalement, toute personne qui touche de l’argent public ouvre ses comptes. L’entreprise Lactalis en a-t-elle par exemple touché ? Si quelqu’un apprend que c’est le cas, il a le droit d’accéder aux comptes de Lactalis. La transparence pousse à un certain nombre de réflexions. Mises sur la place publique, ces données ouvriraient un champ d’action aux économistes, aux juristes, aux associations et à tout un chacun.

Pensez-vous que l’Administration pourrait refuser de communiquer ce fichier ?

Je ne vois pas pourquoi. L’association n’a pas fait de demande à la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), comme nous l’avions fait pour la réserve parlementaire et l’IRFM, mais si c’est nécessaire, nous le ferons. Mais je trouve qu’il serait plus intéressant et plus fort que ce soit une ouverture des citoyens plutôt qu’une décision de justice. Cela montrerait l’envie des citoyens d’agir, de demander des comptes et de s’intéresser à la chose publique. Sinon, trois personnes dans un coin vont faire le job pour les autres, et ça ne fera que reboucher un trou là où deux autres autres vont se creuser juste à côté. Dans mon livre, je prouve avec les actions menées qu’il est possible d’agir. Mais, continuer comme ça, c’est se battre contre des moulins à vent. Faire émerger une action collective pourrait permettre d’assécher le marais. Si chacun agit avec sa pelle, cela pourrait mener à des choses contradictoires.

Ces données pourraient-elles éclairer les liaisons parfois dangereuses entre les élus et les associations ?

Le pouvoir de subvention des collectivités territoriales n’est pas assez cadré. Avoir accès à ces données pourrait permettre de discuter enfin de ce qu’est un véritable pouvoir discrétionnaire : une mairie n’a pas à subventionner une association sportive parce que le maire aime bien l’équipe et la route ne doit pas être refaite juste pour que l’élu ou un de ses proches puisse accéder plus facilement à son domicile. Il faudrait déjà définir la politique publique, lister un certain nombre de critères et les rendre accessibles. Aujourd’hui, les choses sont faites à l’envers. Quelqu’un qui connaît bien le maire ou le conseiller général peut faire marcher le piston comme on dit, et aller le voir pour réclamer une subvention.

Le contrôle de l’utilisation de cet argent public est-il défaillant ?

Dans la loi, il est écrit que quatre personnes “peuvent” contrôler le bon usage de l’argent de la subvention. Mais ce n’est pas le verbe pouvoir qu’il faut écrire, mais devoir ! Pour le donateur qui octroie la subvention, la moindre des choses serait de vérifier que l’argent est utilisé pour ce qui a été prévu au départ. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les chambres régionales des comptes peuvent accéder à ces données, mais leur rôle n’est pas forcément de tout vérifier. Si faire de la politique autrement intéresse, la transparence ouvre des possibles et nous pourrons faire preuve de pédagogie.

Vous pensez que les élus pourraient avoir un intérêt à cette ouverture de données ?

Je pense que des maires de bonne volonté pourraient être ravis de ne plus avoir à essayer de négocier, à expliquer que ce n’est pas possible d’attribuer une subvention n’importe comment et que ce n’est pas comme ça que ça marche. Avoir des critères d’attribution connus par tous leur permettrait justement de se détacher de ce lien malsain qui peut exister entre les demandeurs et ceux qui peuvent leur répondre. Ce qu’il faut lister, c’est ce qu’on attend de la politique. Après, n’importe quelle association doit pouvoir au même titre prétendre ou non aux mêmes subventions.

La transparence peut-elle changer, en soi, les pratiques ?

Il a fallu quatre ans, mais c’est ce qu’il s’est passé avec la réserve parlementaire. Les députés n’étaient pas à même de prendre le problème correctement. Ils ne se sont jamais posé la question de la séparation des pouvoirs et des problèmes électoralistes et clientélistes. Si la réserve parlementaire a été supprimée, c’est parce que les gens en ont marre de voir que la distribution de cet argent par les députés était un passe-droit, du clientélisme, et ne servait pas l’intérêt général. L’argent de l’État n’est pas fait pour ça. Lorsque notre association disait que cet argent était prélevé sur un programme prévu pour les catastrophes naturelles, tout le monde rigolait. Eh bien non, le 122-01, c’était ça… Les députés avaient essayé de faire rentrer dans un budget ce qui ne devait pas l’être. Plus tard, la Cour des comptes s’en est mêlée. Elle est d’ailleurs allée plus loin en disant que le budget était insincère.

Plus de deux ans de travail de votre association pour avoir accès à la manière dont les députés ont dépensé une partie de l’argent public, donc du contribuable, cela témoigne d’une problématique plus profonde…

La difficulté est qu’il n’y a pas de prise en compte générale, globalisée. Lorsque notre association pointe un problème, il y en a dix en réalité. Pourquoi des parlementaires ont-ils pu s’enrichir avec l’argent de l’IRFM ? Pourquoi les anciens présidents de l’Assemblée nationale sont-ils encore payés pour une fonction qu’ils n’exercent plus ? Pourquoi le régime de retraite des députés n’est pas aligné sur le régime général ou pourquoi les sénateurs peuvent se constituer une autre cagnotte après avoir baissé leur retraite ? Tous ces problèmes ne seront pas résolus sans s’attaquer à la racine : nous ne connaissons pas les décisions des questures et nous n’avons pas les budgets de façon fine.

Avez-vous eu un retour sur les 11 propositions que vous avez envoyées à Emmanuel Macron le 6 juin 2017 ?

Rien. Pas même un courrier que nous avions parfois lorsque nous écrivions à la présidence et qui, avec une tournure toujours très compliquée, indiquait que le courrier avait bien été reçu. J’ai juste l’accusé de réception de La Poste. Bien sûr, nous soulevons des problématiques qui ne font pas plaisir, mais nous ne sommes pas là pour faire plaisir ou provoquer l’effet inverse. À force, j’ai presque l’impression que nous sommes plus idiots que les Anglais ou que les Scandinaves.

Pourquoi ?

En Angleterre, l’affaire sur les frais des députés a duré six mois, 150 ont démissionné, d’autres sont allés en prison et une institution a été créée pour rendre les notes visibles aux citoyens. Désormais, c’est fini. Il y aura toujours peut-être des gens qui abuseront, mais pour celui qui se fait attraper s’ajoute la volonté de contourner le système, donc il sera doublement sanctionné. En France, des députés ont pu s’enrichir jusqu’à 200.000 euros en cinq ans en remboursant l’achat de leur permanence parlementaire avec leurs indemnités de représentation de frais de mandat (IRFM). En Norvège, lorsqu’une ministre a utilisé sa carte ministérielle pour un bouquet de fleurs, le lendemain elle n’avait plus sa place au gouvernement. Pour eux, c’est simple, je ne vois pas pourquoi pour nous ça ne le serait pas. À partir du moment où un élu, dans sa prise de décision, prend en considération un intérêt privé, il sort du cadre du mandat pour lequel il a été élu. En démocratie, les politiques doivent être au service des citoyens, point final. Les élus nous rendent des comptes, donc c’est transparent et, si ça ne va pas bien, on en change.

Ci-dessous, retrouvez l’interview de Philippe Pascot et d’Hervé Lebreton sur la moralisation de la vie publique lors de la 3e édition du salon des livres et de l’alerte

 

Quitter la version mobile