Rédigé pour “mettre la pression” à la commission Juncker, le rapport d’initiative pour une protection européenne des lanceurs d’alerte vient d’être voté par la commission des affaires juridiques. “Un moment clé” pour la rapporteure du texte, l’eurodéputée française du Parti radical de gauche Virginie Rozière.
Difficile d’enterrer le dossier de la protection des lanceurs d’alerte quand la prise de pouvoir de la Commission européenne rime avec un scandale retentissant. Pourtant, l’instance exécutive de l’Union a opposé une fin de non-recevoir à leur protection pendant deux ans. En novembre 2014, alors que Jean-Claude Juncker s’installe aux manettes, il est directement mis en cause, en tant qu’ex-Premier ministre du Luxembourg, dans le scandale LuxLeaks. Grâce aux informations d’Antoine Deltour et de Raphaël Halet, les accords fiscaux secrets du Luxembourg qui ont permis à des centaines de multinationales de contourner les impôts dans des dizaines de pays sont révélés au grand jour. Ce n’est qu’après la directive sur le “secret des affaires” et la condamnation des deux lanceurs d’alerte, en première instance, à de la prison avec sursis et à des amendes que la Commission a, petit à petit, changé d’état d’esprit, notamment en ouvrant une consultation publique de trois mois entre mars et mai 2017 sur le sujet.
En parallèle, afin de “mettre la pression” à une Commission qui a longtemps estimé “ne pas avoir de compétences en la matière”, des parlementaires européens se sont attelés à la rédaction d’un message clair dans un rapport d’initiative, voté ce 2 octobre en commission des affaires juridiques. “Nous voulons un cadre horizontal, qui couvre tous les secteurs et qui soit contraignant pour les États membres. Nous ne voulons pas de recommandations ou de bonnes pratiques, mais une protection juridique européenne pour les lanceurs d’alerte”, résume la rapporteure du texte du groupe socialiste, Virginie Rozière. Le texte définit de façon large ce qu’est un lanceur d’alerte et prévoit deux niveaux de protection : l’un envisage des sanctions pénales face aux mesures de représailles et à toute forme de pression vis-à-vis d’un lanceur d’alerte, l’autre prévoit une protection juridictionnelle, à savoir une aide financière en cas de besoin. À la fin du mois, ce rapport sera présenté en séance plénière pour être voté par l’ensemble des députés européens. “Il s’agit de prendre une position forte pour donner ses orientations à la Commission, celle que le Parlement considère que la protection des lanceurs d’alerte reste un sujet important et une priorité politique. Ce rapport permet aussi de marquer le territoire en envoyant un signal aux Etats membres”, ajoute l’eurodéputée.
L’enjeu : confirmer la capacité pour un lanceur d’alerte de passer par la presse
Adopté avec 17 voix pour, 1 contre et 5 abstentions, le rapport parlementaire n’a cependant pas manqué de faire débat, en particulier concernant le rapport à établir entre la presse et les lanceurs d’alerte. “Ils n’ont pas eu le culot de vouloir exclure complètement le recours aux médias, raconte la socialiste Virginie Rozière, en évoquant l’opposition du groupe du Parti populaire européen (PPE/droite). Mais ils voulaient conditionner le fait de pouvoir aller dans la presse à celui d’avoir épuisé toutes les voies internes et administratives.” Et l’eurodéputée du Sud-Ouest d’ajouter : “On ne peut pas limiter la capacité du lanceur d’alerte au signalement interne, même s’il est souhaitable, car on sait bien qu’il y a énormément de situations où ce n’est pas possible. Il y a une protection des lanceurs d’alerte au Luxembourg, mais elle tombe à partir du moment où vous communiquez les informations à la presse, c’est pour ça qu’elle n’a pas joué pour protéger Antoine Deltour et Raphaël Halet”, rappelle-t-elle.
Conditionner l’accès aux médias à l’épuisement des voies internes et administratives, comme le fait la loi française, peut être, selon Virginie Rozière, “une bonne manière de vider la protection des lanceurs d’alerte de sa substance”. Mais cela n’a pas été le cas pour le vote du rapport. Malgré les débats et l’opposition du groupe PPE, la mesure est restée, se réjouit Virginie Rozière. Ainsi, la protection des lanceurs d’alerte ne serait pas définie par le respect d’une hiérarchie dans le signalement (alerter en interne, puis auprès des instances administratives et en dernier et ultime recours et uniquement si les autres chemins n’ont rien donné, la presse). Ce point précis a cependant eu pour résultat de provoquer l’abstention de l’opposition sur l’intégralité du rapport. “Un des gros enjeux de la plénière sera de confirmer la capacité pour un lanceur d’alerte de passer par la presse sans que les voies internes aient forcément été épuisées. Si on commence à mettre des conditions pour parler à la presse, c’est une atteinte au droit à l’information, insiste la juriste. Si l’information n’est pas avérée et ne relève pas de l’alerte, mais qu’il s’agit d’une atteinte à la vie privée ou de diffamation, il y a des textes pour cela et ils s’appliquent pleinement. Par contre, si les faits sont avérés et sont effectivement attentatoires à l’intérêt général, il faut protéger les lanceurs d’alerte.” Le rapport sera débattu, puis voté, entre le 23 et le 26 octobre, juste avant que la Commission européenne communique les conclusions de sa consultation publique.
Quelle protection des lanceurs d’alerte a été voté en commission au parlement européen ? by Le Lanceur on Scribd