Après la réserve parlementaire et l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), l’association “Pour une démocratie directe” jette un nouveau pavé dans la mare sur la question du train de vie des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’association accuse les plus hauts dignitaires des deux chambres de se répartir près de 1,5 million d’euros. En toute illégalité.
“Ça a été un travail de Romains pour rassembler le maximum d’éléments et passer au tamis tous les textes”, confie Hervé Lebreton. Une habitude chez cet homme pugnace, prof de mathématiques, qui milite pour la libre information des citoyens sur la chose publique, notamment quand il s’agit du train de vie des membres des assemblées.
Dans un courrier envoyé ce mardi aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, Hervé Lebreton et ses amis mettent les pieds dans le plat. D’entrée, le ton est donné : “Arrêt des versements des suppléments illégaux aux hauts parlementaires”, peut-on lire en guise de préliminaire de la missive. Quelques lignes plus bas, les auteurs précisent le sujet à l’ordre du jour. “Il semblerait, écrivent-ils, que certains hauts parlementaires perçoivent, contrairement à la loi, des suppléments d’indemnité portant par exemple le nom d’“indemnité spécifique de fonction” : président de l’Assemblée nationale, questeurs, vice-présidents, présidents de groupe, présidents de commission, rapporteurs généraux, président de délégation, président de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques, secrétaires.”
Dans le détail et sans usage du subjonctif, les principaux dignitaires du bicamérisme à la française empochent chaque mois entre 681,61 et 7 057, 55 euros (voir ci-dessous), selon leur position sur l’échelle de la notabilité parlementaire. Ces sommes sans justification légale s’ajoutent aux indemnités qu’ils touchent déjà, et qui elles sont prévues pour leur permettre de vivre et exercer dignement leur mandat : 14 940 euros bruts par mois pour les sénateurs, 12 870 euros bruts pour les députés.
“Qu’on mette des moyens supplémentaires pour le questeur est normal, mais il n’y a pas de raison qu’il gagne plus, glisse Hervé Lebreton au Lanceur. Un parlementaire est un parlementaire à 100%, ceux qui touchent ces indemnités ne travaillent pas plus, surtout quand en plus ils cumulent.”
Si les règlements des deux assemblées prévoient bien des variations des indemnités de fonction, il s’agit de… diminutions/sanctions, en cas de manquements divers (absences, comportement violent…). Mais aucune trace d’une possible augmentation/gratification dans les dizaines et dizaines de pages et de textes souvent arides épluchés par Lebreton et ses amis. Or, la loi organique est formelle : pour qu’il puisse y avoir variation de l’indemnité, elle doit être prévue dans les règlements. “Les textes sont clairs, simples et sans ambiguïté pouvant prêter à interprétation, commente notre interlocuteur. Nulle part il n’est indiqué que le président de l’Assemblée touche plus, point final.” Il n’empêche : au total, d’après les relevés et les croisements de Pour une démocratie directe, ce sont 1 087 667 euros et 563 694 euros par an que se répartissent respectivement les barons de la vie parlementaire au Sénat et à l’Assemblée.
Ces sommes, l’association est tombée dessus alors que ses adhérents effectuaient des recherches sur l’IRFM, autre sujet de son intérêt. Pour la petite histoire, c’est l’obstination des assemblées dans leur refus de répondre à leurs demandes réitérées de communication de pièces et infos qui les mettra sur la piste de cette manne cachée. “À partir de là, on a déroulé la pelote.” Un travail long et fastidieux. Les militants ont également passé au crible les déclarations de patrimoine des parlementaires à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Ils ont pu constater que ces sommes n’y figuraient pas, à de (très) rares exceptions près…
Dans leur courrier à Gérard Larcher et Claude Bartolone, respectivement deuxième et quatrième personnages dans l’ordre protocolaire de l’État, les auteurs font la démonstration de leur parfaite maîtrise du droit constitutionnel. Ils rappellent que les rémunérations des parlementaires sont encadrées. Et que leurs indemnités, en vertu de la Constitution (article 25), sont fixées par une loi organique. Celle de 1958 définit “les deux seules indemnités parlementaires possibles” (parlementaire et de fonction), comme souligné par le courrier, et leur montant précis. Au moment de sa rédaction, ce souci de formalisme répondait aux très vives critiques qui avaient ébranlé le régime des IIIe et IVe Républiques. Notamment sur le fait que les parlementaires fixaient eux-mêmes le montant de leur indemnités…
“La loi organique préserve ainsi les parlementaires de toute tentation de s’augmenter eux-mêmes”, souligne Hervé Lebreton, qui demande le… remboursement des sommes perçues par les parlementaires ! Avec des montants conséquents, quand on fait comme l’association le cumul sur les quatre dernières années : 317 590 euros pour Claude Bartolone, 236 520 pour Bernard Roman et Philippe Briand, 221 738 pour Marie-Françoise Clergeau ou encore 211 727 pour Jean-Pierre Bell. “Quand un agent de l’État touche un trop-perçu, l’Étatdemande un remboursement, ça peut arriver, il n’y a pas mort d’homme, justifie Hervé Lebreton. Il n’y a pas de raison qu’ils ne remboursent pas, autrement il va falloir qu’ils se justifient. Et on ne s’amuse pas à changer la loi quand un fonctionnaire touche en trop. La loi doit être la même pour tous.”