Favori des sondages avec un discours bienveillant et sans aspérités, Emmanuel Macron frappe à la porte de l’Élysée. Son ascension politique fulgurante se nourrit à des réseaux économiques et financiers plus que d’une vague populaire pourtant réelle. Sa promesse de transparence totale pas vraiment assumée intrigue.
À Lyon, début février, Emmanuel Macron a réussi sa démonstration de force. Après moins d’un an d’existence, il a réuni 12 000 personnes au palais des sports de Gerland. Pour ses organisateurs, le meeting a rempli sa mission : démontrer que l’ancien ministre de l’Économie est une réalité politique, pas seulement une idée séduisante. En choisissant Lyon, Emmanuel Macron ne prenait pas un grand risque. La ville est d’une certaine manière le berceau d’En Marche. Réinventer un centrisme en empruntant à la gauche et à la droite, des idées et des hommes, le tout sous le regard bienveillant des forces économiques, c’est au fond le modèle lyonnais si cher au maire, Gérard Collomb. Rien de surprenant, donc, à voir la bulle Macron grossir à Lyon. En quelques mois, la métropole est devenue un bastion En Marche. Les réunions publiques s’enchaînent avec des organisateurs à chaque fois dépassés par l’affluence. Pour un apéro de vœux en janvier, les jeunes “marcheurs” étaient 450. Pour une conférence sur la banlieue, ils étaient 130 à la Duchère un lundi soir. À Lyon, le phénomène Macron repose sur des signes tangibles. Les notables et les patrons sont intrigués et plutôt séduits par le candidat soutenu avec zèle par Gérard Collomb. “Macron est le candidat de la mondialisation heureuse. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que Lyon marche derrière lui”, observe un conseiller régional PS.
La Macron-mania ne s’essouffle pas. Mais elle entre, même à Lyon, dans une ère incertaine. Le flou savamment orchestré – au point de devenir une stratégie – par l’ancien ministre de l’Économie sur son positionnement lézarde les certitudes de certains “marcheurs” proches du PS ou de simples curieux qui se sont rendus au meeting du 4 février. Emmanuel Macron s’adresse, globalement, à un électorat urbain suffisamment jeune pour ne plus se reconnaître dans un clivage gauche/droite vidé de son sens par le consensus autour de l’économie de marché. C’est donc vers le champion de la triangulation politique* qu’ils se tournent. Dans son meeting à Lyon, Emmanuel Macron a récupéré pêle-mêle une part d’héritage de Zola, Péguy, Hugo, de Gaulle, Séguin, Giscard, Chirac, Mitterrand.
Autant de figures qui trouveront forcément un écho auprès d’un électeur. Mais la triangulation politique n’est pas une martingale. En termes de clarté politique, cette stratégie est aussi précise qu’une boussole au milieu du triangle des Bermudes.
Grosse ficelle…
“Emmanuel Macron a découpé la France en clientèles. Il est comme un élu local qui s’adresse à toutes les composantes, les communautés qui peuplent sa ville. Il fait une campagne à l’anglo-saxonne”, analyse un élu lyonnais parmi les premiers à s’être engagé à En Marche. La stratégie lui a permis d’être considéré comme le favori de l’élection présidentielle, à soixante jours du premier tour. Mais les coutures commencent à craquer. La ficelle est parfois trop grosse. Fin février, il a par exemple tout à la fois estimé que les opposants au mariage pour tous avaient été humiliés et considéré que le refus de la PMA pour les couples de femmes constituait une injustice intolérable. “À force de vouloir faire le grand écart, on se prend les pieds dans le tapis”, regrette un proche de Gérard Collomb.
… et clients mécènes
Emmanuel Macron est devenu l’espoir d’une France qui crie son dégoût de la classe politique mais croit encore en la politique. Il a réussi ce que tous les aspirants à la fonction présidentielle cherchent en 2017 : se poser en candidat contre le système établi. Pour lui, c’est une prouesse. Ou comment l’homme de réseaux se pose en défenseur d’une société civile tenue éloignée du pouvoir. De l’ENA au gouvernement en passant par la banque Rothschild, il s’est constitué un carnet d’adresses hors norme, qu’il met aujourd’hui à profit. Les clients d’hier sont les relais et les mécènes d’aujourd’hui.
À 39 ans, Emmanuel Macron a eu plusieurs vies : énarque, banquier d’affaires, conseiller de François Hollande, ministre et maintenant candidat à une élection présidentielle qui se transforme en jeu de massacre pour les autres. Dans sa campagne, l’ancien spécialiste des fusions et acquisitions de Rothschild mêle habilement toutes ses facettes. Quitte à laisser flotter un parfum d’affairisme.
* La triangulation est une stratégie électorale inventée par un conseiller politique de Bill Clinton. Elle peut s’appliquer dans un système politique où deux blocs politiques s’affrontent sur des lignes idéologiques inconciliables. La triangulation consiste à se placer au milieu, donc à la pointe, d’un triangle isocèle ayant une base à gauche et l’autre à droite. De nombreux politiques français s’y sont essayé : Nicolas Sarkozy citant Jean Jaurès en 2007 ou en pratiquant l’ouverture, François Hollande depuis 2012 en mettant en place le CICE ou en proposant la déchéance de nationalité.
Cet article est extrait du dossier “Qui se cache derrière Macron” publié dans le magazine Lyon Capitale de mars 2017.