Tony Anatrella est l’un des experts du Vatican sur l’homosexualité. Il a aussi rédigé une directive à l’intention des nouveaux évêques sur le signalement ou non des prêtres pédophiles. Par ailleurs psychothérapeute, ses méthodes ont fait l’objet d’accusations d’abus sexuels de ses anciens patients en 2006. L’affaire avait été classée sans suite. Aujourd’hui, un nouveau patient témoigne de ces méthodes troublantes.
La parole se libère autour de l’Église et de ses affaires de mœurs. C’est au tour de l’un des spécialistes du Vatican sur les questions en rapport avec l’homosexualité, le père Tony Anatrella, d’être l’objet d’accusations graves. Ce curé du diocèse de Paris, élevé au rang de monseigneur et nommé conseiller pontifical pour la famille par le pape Jean-Paul II, est aussi psychothérapeute. C’est dans le cadre de ses activités “civiles” que Le Lanceur a recueilli le témoignage d’anciens patients qui se disent victimes d’abus sexuels du père Tony Anatrella.
Michel*, qui ne s’est jamais exprimé jusqu’à présent, a été suivi par le prêtre-psychothérapeute du milieu des années 2000 à 2011 : “J’étais mal dans ma tête. Je me posais des questions sur l’absence de référent masculin dans ma vie. J’étais dans un groupe de prière et mon curé m’a orienté vers Tony Anatrella. J’ai commencé une thérapie classique avec lui. Au bout de plusieurs années, comme je n’allais pas mieux, il m’a invité à aller sur le terrain physique.” Les séances changent de nature. Michel se déshabille, son psychothérapeute aussi. “Il y a eu des attouchements physiques à caractère sexuel mutuel. Ce n’était pas une incartade. Ces séances se sont répétées de manière structurée. C’était mon thérapeute, j’écoutais ce qu’il me disait. La thérapie durait depuis de longues années. Il avait une emprise sur moi”, explique aujourd’hui Michel, la quarantaine, qui a cessé de consulter le père Anatrella après une année de “psychothérapie physique”.
Une plainte en 2006
Aujourd’hui, Michel, majeur au moment des faits (qui sont prescrits), est à la recherche d’autres victimes présumées de la “méthode physique” du père Anatrella. En 2006, le conseiller pontificial pour la famille avait été l’objet d’une plainte de l’un de ses anciens patients. Plainte classée sans suite en 2007. La défense de Tony Anatrella avait pointé la confusion, chez les victimes, entre le fantasme de la personne en thérapie et la réalité.
Un argument que balaie un de ses anciens patients, qui a déjà témoigné contre lui. “C’était bien réel. Je ne fantasmais pas sur cet homme et j’ai en souvenir des détails anatomiques que je ne peux pas avoir inventés”, avance Marc*. Cet ancien séminariste avait été orienté vers le père Anatrella dans les années 1980, après avoir fait part à ses supérieurs de questionnements sur son attirance pour les hommes. “Il m’a été présenté comme le spécialiste de la psychothérapie de l’Église. De manière subtile, il m’a fait comprendre qu’il pouvait me soigner de l’homosexualité. Il m’a dit que je n’étais pas vraiment homosexuel, que j’étais un pseudo-homosexuel avec des pulsions. Il m’a expliqué qu’au travers d’exercices corporels avec lui je pourrais dépasser mes pulsions. Il me disait que, quand je les aurais vécues avec lui, j’en serais débarrassé”, se souvient Marc.
“Nous étions nus”
Après quelques séances classiques, le père Anatrella oriente la psychothérapie vers l’approche physique. Elle durera cinq ans, jusqu’en 1993, au rythme d’une séance par semaine. “Nous étions tous les deux nus et nous nous touchions. Il y a aussi eu une fellation. Je n’allais pas le voir car j’étais amoureux de lui mais parce qu’il m’a persuadé que je pourrais aller mieux. Je ne peux pas dire qu’il n’y avait pas de consentement mais c’était un consentement sous l’emprise d’une personne ayant autorité. Quand je lui ai dit que j’avais eu une expérience avec un homme, il m’a dit que j’allais me structurer dans l’homosexualité si je continuais. Je ne devais vivre ces choses qu’avec lui mais pas dans la vraie vie et qu’il me sortirait de l’homosexualité”, raconte Marc. Ce n’est qu’après avoir entamé une analyse avec un autre praticien, aux méthodes plus classiques, qu’il dit avoir compris que les actes de Tony Anatrella allaient au-delà du stade du malaise qu’il ressentait lors de ses années de consultation. “J’avais osé espérer qu’après l’affaire de 2006 il arrêterait ces méthodes, mais il continue à sévir”, s’indigne Marc, qui suit encore une psychothérapie pour évacuer les conséquences des années de soins avec le père Anatrella.
Un prêtre parisien saisit le Vatican
Les méthodes atypiques du conseiller pontifical à la famille refont surface, aujourd’hui, au sein de l’Église. Un prêtre du diocèse de Paris a ainsi recueilli le témoignage de deux anciens patients du père Anatrella. “Ils ont subi du harcèlement sexuel de sa part dans les années 1970 et aimeraient porter plainte”, confie ce prélat. Il a averti le nonce apostolique (l’ambassadeur du Vatican en France) des psychothérapies particulières du père Anatrella en 2012. Il n’a toujours pas eu de réponse.
Plus récemment, il s’est ouvert du sujet auprès du cardinal de Paris, Mgr André Vingt-Trois. “Sa réponse a été assez faux-cul. Il m’a dit que, s’il s’était passé des choses, c’était dans le cadre des activités de psychothérapeute du père Anatrella et que l’Église n’était donc pas concernée”, explique ce prêtre du diocèse de Paris.
Au-delà des aspects juridiques, il s’interroge aussi sur le plan moral : “Il est scandaleux qu’une personne capable de se comporter comme ça avec ses patients puisse siéger au conseil pontifical pour la famille. Ce qu’il a fait est grave et dégueulasse.” Le cardinal Lustiger avait aussi été informé en 2001 par un ancien patient. Contacté, Tony Anatrella n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
Spécialiste du Vatican sur l’homosexualité
Dans l’Église catholique, le père Anatrella est reconnu comme un spécialiste des questions sexuelles. Au point d’être nommé au conseil pontifical pour la famille et la santé, une fonction octroyée par le Vatican, qui en a aussi fait un “Monseigneur”. Après la plainte de 2006, il sera confirmé dans ses fonctions par le pape Benoît XVI.
Tony Anatrella décrit l’homosexualité comme un “inachèvement et une immaturité foncière de la sexualité humaine” qui “pourrait même être perçue comme une réalité déstabilisante pour les personnes et pour la société”. Il s’était aussi positionné contre l’entrée d’homosexuels dans les ordres. Plus récemment, son nom s’est retrouvé dans l’actualité en marge des affaires de pédophilie qui secouent l’Église. En février, le journal anglais The Guardian a publié une directive du Vatican à l’intention des nouveaux évêques. “En fonction des lois de chaque pays, où la dénonciation peut être obligatoire, les évêques n’ont pas nécessairement le devoir de dénoncer les suspects aux autorités (…) lorsqu’ils sont informés de crimes ou d’actes constitutifs de péchés”, stipule ce document. Il a été rédigé par Tony Anatrella.
Dans un article de l’agence de presse du Vatican, Tony Anatrella a expliqué que sa directive avait fait l’objet d’une mauvaise interprétation : “Je disais dans ce paragraphe que l’évêque ou son représentant va d’abord inciter le mineur victime et sa famille à porter plainte auprès de la police. S’ils ne le font pas, alors il revient à l’autorité ecclésiastique de faire un signalement.” Le pape venait de déclarer quelques jours plus tôt que l’Église devait pratiquer “la tolérance zéro” dans les affaires de pédophilie.