Alors qu’un volet de la loi Sapin II prévoyait d’obliger les représentants d’intérêts à déclarer régulièrement et de manière détaillée leurs activités à l’Assemblée nationale dans un registre public, le décret d’application de cette mesure les autorise, au contraire, à rester particulièrement flous.
Bonne nouvelle pour les 343 groupes déclarés comme lobbyistes au sein de l’Assemblée nationale. Pour les citoyens soucieux de connaître leur influence réelle sur la fabrication des lois, il faudra repasser. Voté en novembre 2016, le volet de la loi Sapin II qui imposait une plus grande transparence sur les activités de lobbying à l’Assemblée nationale a subi une transformation des plus étonnante sous la pression de représentants du Medef, qui, dans un document interne consulté par Mediapart, s’estiment tranquillisés sur le fait que le décret d’application ait été “amélioré sur un certain nombre de points”. Ils peuvent, semble-t-il, dormir à nouveau sur leurs deux oreilles. “Lobby, ce n’est pas un gros mot. Ce qu’il faut, c’est qu‘ils ne l’emportent pas sur l’intérêt général”, estime Catherine Lemorton (PS), spécialiste du renvoi de cadeaux de la part de lobbys et rare députée à régler avec son indemnité les repas et nuits d’hôtel des congrès pour témoigner de son indépendance. La parution de ce décret d’application “très en deçà des attentes” n’a pas non plus enchanté Transparency International, qui attendait bien plus “au regard de la loi et des débats législatifs”. “Évidemment, c’est décevant”, confie Elsa Foucraut, responsable du plaidoyer au sein de l’association.
Faire du registre un annuaire téléphonique
Selon ce décret, les lobbyistes ne devront pas préciser le nom des parlementaires ou des membres de la haute administration qu’ils rencontrent et pourront se contenter d’inscrire leur “catégorie”. “Pour les lobbys, déclarer des contacts avec “un ou des députés” ne veut rien dire ! s’indigne Catherine Lemorton. Je prends l’exemple des lobbys du vin, que je connais bien pour les avoir vus à l’œuvre sur la loi Evin. Pourra-t-on savoir s’ils sont allés voir les députés des régions viticoles pour faire pression sur eux par rapport aux emplois ?” Une déclaration floue qui ne va pas sans arranger les députés qui entretiennent des rapports des plus “conviviaux” avec les représentants d’intérêts. Une crainte s’éloigne pour eux, celle de se voir pointer du doigt dans le cas d’une proximité pas toujours assumée, parfois même gênante.
“En l’état, le contenu donné à ce décret d’application risque d’en faire un annuaire téléphonique des représentants d’intérêts”, estime l’association Transparency International. L’outil s’avérera donc a priori peu utile au citoyen “pour comprendre comment se nouent les interactions entre les représentants d’intérêts et les élus”. Effectué discrètement en coulisses, le basculement en faveur de l’imprécision laisse également un goût amer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Chargée de contrôler ce registre, l’autorité avait pourtant alerté dans un avis rendu public sur le risque de “restreindre de manière excessive la portée” de la loi, rappelant que l’intention du législateur était claire et qu’il était nécessaire que “les données déclarées soient suffisamment précises”.
C’est vraiment nous prendre pour des dindons !
Autre changement survenu en coulisses, la communication des informations ne sera obligatoire qu’une fois par an. Un rythme “insuffisant [pour] assurer l’efficacité du dispositif”, selon la HATVP. En clair, une action de lobbying effectuée au mois de janvier ne serait rendue publique qu’au mois de mars de l’année suivante… L’argument avancé pour expliquer ce recul ? Faire un rapport tous les trois mois “serait contraignant”. Une justification balayée de la main par la députée Catherine Lemorton, qui s’était vu opposer le même argument par le déontologue de l’Assemblée nationale lorsqu’elle avait émis l’hypothèse que les députés déclarent aussi les rencontres avec les lobbys. “Les plus gros lobbys ont des services juridiques entiers et, du côté des députés, nos collaborateurs font des agendas chaque semaine ! C’est vraiment nous prendre pour des dindons ! Ce décret signifie aussi que l’on ne saura pas quel type de lobbying se fait en dehors de tout contexte législatif urgent. Certains groupes rencontrent les députés tous les trimestres, c’est ce que j’appelle le lobbying insidieux, puisque que, dès qu’une loi qui les intéresse arrive, ils ont tellement entretenu un lien continu avec des députés bien précis qu’ils n’ont pas besoin de quatre jours pour les faire changer d’avis”, raconte-t-elle.
Les représentants des lobbys et du patronat auraient également fait pression pour que le registre ne porte pas atteinte au “secret des affaires”, estimant que les informations rendues publiques pourraient être utilisées par des concurrents. Un argument qui, de nouveau, “ne tient pas”, pour Catherine Lemorton, pharmacienne de formation : “Pour voter l’autorisation de génériques sur les aérosols antiasthmatiques, ce n’est pas Sanofi qui est monté au créneau : ils ne font pas d’aérosol. Mais c’est l‘industriel principal, GlaxoSmithKline, celui qui commercialise la marque Ventoline. Surtout que pour le lobbying l’industrie pharmaceutique se regroupe déjà au sein du LEM.”
La France vue comme un mauvais élève, Macron attendu de pied ferme
Les mesures de transparence imposées aux lobbys dans les pays anglo-saxons sont-elles si nuisibles ? Dans leur avis, la HATVP indique pourtant que “les exemples étrangers démontrent qu’il est possible de rendre publiques des informations plus nombreuses” que celles finalement établies par le décret, sans pour autant “compromettre le bon fonctionnement des pouvoirs publics ni l’activité des représentants d’intérêts”. Plus loin, le lecteur découvre également que ces déclarations sont faites respectivement trois et quatre fois par an en Irlande et aux États-Unis.
Signataire des 11 recommandations de l’association Transparency International lorsqu’il était candidat, Emmanuel Macron vient d’être interpellé par l’association, qui l’appelle à “renforcer le dispositif sur la transparence du lobbying”. Le nouveau locataire de l’Élysée, qui s’est engagé auprès de l’association à élargir le registre de déclaration d’intérêts de l’Assemblée nationale aux partenaires sociaux et aux représentants religieux, est attendu au tournant. “S‘il tient les engagements qu’il a faits auprès de notre association, le sujet du lobbying va être rouvert au cours du quinquennat. Nous espérons qu’il le soit le plus rapidement possible”, indique Elsa Foucraut. S’il s’est aussi engagé à mettre en place une “loi sur la moralisation de la vie publique”, le choix de nommer comme Premier ministre Édouard Philippe, ex-représentant d’intérêt pour Areva dans le privé et peu enclin à voter en faveur d’une plus grande transparence en tant qu’élu, peut cependant laisser perplexe.