À l’origine d’une loi sur l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et sur la protection des lanceurs d’alerte, la sénatrice du Nord Marie-Christine Blandin déplore que le texte de la loi Sapin II prévoie de supprimer un certain nombre d’avancées pour lesquelles elle s’est battue.
“Avec cette écriture, les lanceurs d’alerte seront moins bien protégés que quand il n’y avait pas de texte du tout, c’est quand même inquiétant”, estime la sénatrice EELV Marie-Christine Blandin, qui regrette que le texte actuel de la loi Sapin II se focalise sur les lanceurs d’alerte qui dénoncent des fuites fiscales, des dérives financières ou des marchés frauduleux, et écrase la loi qu’elle a portée. Étudié une dernière fois par le Sénat hier avant que l’Assemblée nationale ait le dernier mot le 8 novembre, le texte de la loi Sapin II indique que l’alerte doit “être authentique face à un danger ou un délit vraiment visible”. Or, si cette définition peut s’appliquer en matière de fraude fiscale, elle est difficilement transposable en matière sanitaire, selon Marie-Christine Blandin.
“En 1996, un rapport de l’Inserm dit que l’amiante est cancérigène et dangereuse, on peut dire qu’il s’agit là d’une alerte authentique. Mais, la même année, un rapport de l’Académie de médecine minore totalement les dangers issus des fibres d’amiante inhalés. Pour condamner un lanceur d’alerte en justice, il n’y a qu’à sortir ce rapport de l’Académie de médecine pour nier que l’alerte est “authentique”. Ce terme entraînera des contentieux juridiques qui fragiliseront les lanceurs d’alerte de demain”, considère la sénatrice.
“On ne gère pas une fuite de mercure de la même manière qu’une fuite fiscale”
En 2013, la loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte que propose Marie-Christine Blandin est votée. L’article premier, qui fonde un droit d’alerte en matière de santé et d’environnement à tout citoyen, est abrogé par le texte actuel de la loi Sapin II, lequel souhaite “uniformiser” une définition du lanceur d’alerte qui s’applique à tous. “Les deux lois pouvaient cohabiter sans problème, je l’ai dit au moins trois fois à Michel Sapin, on ne gère pas une fuite de mercure de la même manière qu’une fuite fiscale, que ce soit au niveau de l’instruction, des délais ou de l’exigence”, déplore la sénatrice.
Dans la définition actuelle de la loi Sapin II, “toute personne à l’origine d’un signalement déloyal engage sa responsabilité”. Là encore, le terme “déloyal” pose problème. “Prenons l’exemple de celles qui ont révélé que les prothèses mammaires PIP étaient remplies d’un solvant dangereux, le patron indélicat aurait très bien pu dire que cette alerte était déloyale vis-à-vis de l’entreprise. Les termes utilisés ouvrent la porte aux contentieux de demain et vont donner beaucoup d’arguments aux avocats des employeurs qui voudraient se retourner contre un salarié”.
La suppression du suivi des alertes sanitaires
Le texte actuel de la loi Sapin II abroge également plusieurs éléments de l’article 2 de la loi Blandin. Selon cette dernière, une commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement est créée. Cette commission devait notamment définir des critères qui fondent la recevabilité d’une alerte en rapport avec la santé publique et l’environnement. Cette mission est supprimée par le texte de la loi Sapin II, tout comme celle qui consistait à doter des institutions comme l’Inserm ou le CNRS de registres d’alerte pour permettre à la commission de mieux suivre les messages d’alerte.
“Lorsqu’une alerte est lancée par une médecin pneumologue qui dit qu’un médicament est dangereux et qu’il provoque de l’hypertension artérielle, comme ç’a été le cas pour le scandale du Mediator, il y a deux choses à faire : protéger le médecin qui fait une alerte utile à l’intérêt général d’une part, mais aussi donner un suivi sur l’alerte en question : déterminer ce qu’est cette molécule, savoir si elle tue vraiment des gens et faire en sorte qu’elle soit retirée du marché le cas échéant”, explique la sénatrice, qui demande que les articles de sa loi abrogés par le texte actuel de la loi Sapin II soient rétablis.
Le 8 novembre, l’Assemblée nationale aura le dernier mot sur le texte de la loi Sapin II. La sénatrice du Nord prévient : “Nous allons tout faire pour que l’Assemblée se réveille et réalise qu’en l’état actuel M. Sapin se contente de certaines rédactions dangereuses pour l’alerte sanitaire et environnementale.”