François Pillet, sénateur du Cher, rattaché au groupe Les Républicains, est le rapporteur de la loi Sapin II au Sénat. Adopté en fin de semaine dernière, le texte, dans sa nouvelle version, est souvent présenté comme limitant la protection des lanceurs d’alerte. Une analyse qu’il conteste, défendant une écriture “équilibrée” et présentant la notion de “lanceur d’alerte éthique”.
LeLanceur.fr : Pourquoi avez-vous estimé nécessaire de réécrire la définition du lanceur d’alerte telle qu’elle était sortie de l’Assemblée nationale ?
François Pillet : Elle était assez imprécise, à notre avis. On a voulu une construction globale. Qu’est ce qu’un lanceur d’alerte, comment il lance l’alerte, comment il est protégé et quelle pourrait être sa responsabilité si, à la fin, on s’aperçoit que ce n’est finalement pas un lanceur d’alerte.
On a voulu que le lanceur d’alerte ne puisse pas être confondu avec un délateur ou un lanceur de rumeur. Il lui fallait une définition précise pour s’assurer de sa bonne foi et qu’il agissait dans l’intérêt général, sans être personnellement intéressé.
De nombreux observateurs ont jugé que le Sénat limitait la protection des lanceurs d’alerte. Est-ce que vous partagez cette analyse ?
Non le Sénat n’a pas limité la protection des lanceurs d’alerte. On a encadré ce statut, à la fois dans l’intérêt des éventuelles victimes d’une fausse alerte, mais aussi pour protéger le lanceur d’alerte. Quand la personne entrera dans notre définition du lanceur d’alerte éthique, il aura alors une protection qui est très efficace et très rare.
Le Sénat n’a pas réduit, il a encadré, dans l’esprit de notre Etat de droit. Il rétablit l’équilibre en faveur des uns et des autres et s’assure que le lanceur d’alerte a une démarche éthique. On lui donne une immunité pénale qui est importante puisqu’on va le mettre à l’abri des peines qu’il pourrait encourir en cas de violation du secret professionnel, par exemple.
Il faut qu’on protège le lanceur d’alerte éthique, de bonne foi et sans intérêt personnel”
Vous avez mis en place une procédure du lancement de l’alerte qui doit d’abord se faire en interne, via les supérieurs hiérarchiques. Pourquoi ?
Tant qu’on ne sait pas si l’alerte est une alerte éthique, on fait en sorte que le lanceur d’alerte commence par l’autorité hiérarchique. S’il n’y a pas de réaction dans un délai de trois mois, il peut alors intervenir auprès des autorités judiciaires ou administratives. Ce n’est que s’il n’y a pas d’effet à ces différents niveaux qu’il peut basculer vers l’annonce publique.
Est-ce que cela ne risque pas de décourager certaines personnes ?
Le lanceur d’alerte peut passer outre, c’est prévu dans le texte. Ce n’est pas une obligation systématique. Si la hiérarchie a couvert des agissements qui font l’objet de l’alerte, évidemment, le lanceur d’alerte n’a pas à passer par sa hiérarchie. Il y a une alerte qui fonctionne très bien, c’est la lettre au procureur de la République dans laquelle on lui donne connaissance de faits illégaux.
Quel est le risque d’une trop grande publicité, trop tôt, de ces alertes ?
C’est aussi pour protéger les lanceurs d’alerte. Même si elle est de bonne foi, une personne qui révèle une situation qui, finalement, s’avère légale ou qui n’agirait pas dans l’intérêt général peut être considéré comme n’étant pas un lanceur d’alerte. Et là, il devient personnellement responsable des préjudices qu’il a causés.
Je pense à un lanceur qui ne serait que le mercenaire d’un concurrent et qui dénoncerait un comportement environnemental dangereux dans une entreprise, par exemple. Une fois révélée, l’affaire entraîne une chute de l’image de l’entreprise, une liquidation judiciaire, des licenciements… Les préjudices peuvent être considérables.
On ne voit que les bons lanceurs d’alerte, mais il ne faut pas que le système laisse passer les mauvais, parce que quand un aura eu deux ou trois affaires de la sorte, le législateur reviendra sur sa loi. Il faut un équilibre. Il faut seulement qu’on protège, et sans aucune contestation possible, le lanceur d’alerte éthique, celui qui le fait de bonne foi et sans intérêt personnel.
Au regard du droit français, Antoine Deltour était déjà protégé”
L’Assemblée avait prévu une aide financière versée par le Défenseur des droits que vous avez supprimé, avant qu’elle ne fasse son retour, sous la forme d’une avance des frais de procédure, lors des discussions au Sénat. Pourquoi avoir voulu la supprimer ?
Le droit français existant est suffisant en ce domaine. Le lanceur d’alerte, qu’est-ce qui va lui arriver ? Il va être licencié, mis au placard, harcelé. Devant le conseil de prud’hommes, il a déjà la possibilité d’être indemnisé, et même très rapidement en référé. On pensait qu’on était en train de créer un mécanisme un peu compliqué alors qu’il n’y en avait pas besoin.
Finalement, le Gouvernement a présenté un amendement qui allait un peu en-deçà du texte de l’Assemblée et qui a trouvé une forme de consensus.
Avec Raphaël Halet, Antoine Deltour a récemment été condamné au Luxembourg, dans l’affaire Luxleaks. Est-ce qu’il aurait été mieux protégé en France, avec le texte tel qu’il est sorti du Sénat ?
Au regard du droit français, Antoine Deltour était déjà protégé, parce que si un ministre avait fait ce qui avait été fait au Luxembourg, il était hors la loi. La confusion vient de ce qu’on pense que le Luxembourg a exactement le même système qu’en France. Non. Au Luxembourg, il pouvait accorder des facilités fiscales à certaines entreprises, ce qui n’est pas possible en droit français. Si ça avait été fait en France et qu’Antoine Deltour avait dénoncé cela, il serait évidemment tombé sous le statut du lanceur d’alerte parce qu’il aurait dénoncé une situation illégale.
Une commission mixte paritaire mi-septembre
Le texte faisant l’objet d’une procédure accélérée, la loi Sapin II ne repassera pas une deuxième fois à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Dès la rentrée, aux environs de la mi-septembre, une commission mixte paritaire sera chargée de trouver un compromis entre la version de l’Assemblée nationale et celle issue du Sénat. Des tractations qui ne devraient pas sensiblement modifier les mesures concernant les lanceurs d’alerte, ce volet ne faisant pas, de l’aveu de François Pillet, “l’objet de profonds désaccords”.