Pour le dernier jour du procès en appel de l’affaire Luxleaks, les avocats d’Antoine Deltour et Raphaël Halet continuent de plaider pour la relaxe face aux accusations de leur ex-employeur, le cabinet d’audit luxembourgeois PricewaterhouseCoopers. La décision finale est attendue le 15 mars.
La justice luxembourgeoise va-t-elle reconnaître que l’intérêt général peut primer sur la loi pénale ? C’est en tout cas l’un des enjeux du procès de l’affaire Luxleaks. Pour avoir révélé des accords fiscaux secrets qui ont permis à des centaines de multinationales, dont Amazon, Pepsi, Apple, Ikea ou Engie, de contourner pendant des années l’impôt dans des dizaines de pays, les deux ex-salariés du cabinet d’audit PwC, les Français Antoine Deltour et Raphaël Halet sont poursuivis pour “vol domestique, accès ou maintien frauduleux dans un système informatique, divulgation de secrets d’affaires, violation de secret professionnel et blanchiment-détention des documents soustraits”.
En première instance, en juin dernier, Antoine Deltour avait été condamné à un an de prison avec sursis et 1.500 euros d’amende et Raphaël Halet à neuf mois de prison avec sursis et 1.000 euros d’amende. Le journaliste Édouard Perrin, auteur de l’enquête diffusée dans l’émission Cash Investigation, avait été relaxé après avoir été accusé d’être coauteur, sinon complice, des infractions reprochées aux lanceurs d’alerte. Face à ces condamnations, le procès s’est poursuivi en appel.
La fin des lanceurs d’alerte ne justifie pas tous les moyens”
Le procès en appel devrait permettre une réduction des peines pour Antoine Deltour et Raphaël Halet. Le 19 décembre, lors de la deuxième audience, l’avocat général a cette fois requis 6 mois de sursis pour Antoine Deltour et seulement une amende, dont le montant n’a pas été précisé, pour Raphaël Halet. Comme le rapporte le journal luxembourgeois Le Quotidien, même si l’avocat général a affirmé le dernier jour du procès ce lundi qu’“Antoine Deltour et Raphaël Halet sont à qualifier de lanceurs d’alerte”, ils ne pourraient bénéficier que d’une “protection partielle”. En cause, le fait que la violation du secret professionnel pour dénoncer des informations d’intérêt général aurait dépassé le “nécessaire et proportionné” dans le cas d’Antoine Deltour. “Si les documents avaient uniquement donné lieu à l’émission Cash Investigation, on pourrait discuter sérieusement d’un acquittement pour Antoine Deltour”, a déclaré John Petry, l’avocat général, répétant que “la fin des lanceurs d’alerte ne justifie pas tous les moyens”.
Lorsque les deux émissions sur l’évasion fiscale ont été diffusées, en France, en 2012 et 2013, elles sont passées relativement inaperçues et ne concernaient qu’une petite partie des documents transmis par les lanceurs d’alerte. Ce n’est que le 5 novembre 2014 que le scandale “LuxLeaks” a éclaté : la copie de 20.000 pages de documents faite par Antoine Deltour en octobre 2010 et transmise au consortium international des journalistes. Après la publication des pratiques d’évitement fiscal mises en place au Grand Duché dans une quarantaine de journaux à travers le monde, des mesures furent prises pour réduire le dumping fiscal et les techniques d’évitement fiscal dont les multinationales avaient pu profiter. Le scandale était planétaire.
PwC voit son chiffre d’affaires augmenter “malgré” le vol des documents
Un seul reproche est désormais fait par l’accusation à Raphaël Halet, celui d’avoir transmis 14 déclarations fiscales au journaliste Edouard Perrin après qu’il avait vu en 2012 la première émission Cash Investigation. Des documents jugés “peu pertinents” par l’avocat général, qui estime donc qu’il n’était pas forcément “nécessaire” de les révéler. À la sortie de l’audience, Raphaël Halet s’est exprimé au micro de France Bleu Lorraine : “Même si le procès est fini et qu’il y a la relaxe au bout, on va continuer d’une autre manière. Maintenant, des millions de citoyens européens sont au courant et ils veulent voir des actes. S’il y a des redressements fiscaux colossaux qui sont faits – car Engie, c’est 300 millions, et Apple en Irlande, c’est 13 milliards, donc on ne parle pas d’une arnaque à 10.000 balles ! – c’est la preuve qu‘il y a des choses illégales. L’évasion fiscale, apparemment, c’est 80 milliards d’euros, seulement en France. Si elle peut récupérer ne serait-ce que 2 ou 3 milliards, je pense qu’elle pourrait faire pas mal de choses avec.”
Interrogé sur le fait que le chiffre d’affaires de PwC a continué d’augmenter, le représentant du cabinet d’audit luxembourgeois s’est défendu en déclarant que ces chiffres avaient été réalisés “malgré le vol” des documents et non “à cause du vol” de ces derniers.
Antoine Deltour, quant à lui, a estimé face aux juges qu’il “ne pourrait pas comprendre une condamnation pour avoir agi (…) en citoyen soucieux de l’intérêt général européen”. Très attendu, le délibéré sera rendu le 15 mars.