À l’institut médico-éducatif Moussaron, dans le Gers, trois éducateurs avaient été condamnés dans les années 1990 pour avoir dénoncé les dysfonctionnements de la structure privée financée par des fonds publics. Pour la première fois, la justice vient de relaxer Céline Boussié, poursuivie pour diffamation publique après avoir signalé, depuis 2013, les mêmes dérives que ses prédécesseurs.
“Cette relaxe, nous l’attendions pour les enfants. Je continue à maintenir que des enfants sont décédés dans cet établissement et à regretter que les plaintes déposées par les mamans de Maël et de Naïma aient été classées.” Le 21 novembre, le tribunal de grande instance de Toulouse relaxe Céline Boussié, poursuivie par l’institut médico-éducatif (IME) de Moussaron pour “diffamation publique” pour ses prises de parole sur la radio Europe 1 et la chaîne LCI en 2015. Une décision qui a fait l’objet d’un article sur le site Dalloz, référence en matière judiciaire. “C’est une formidable leçon d’espoir. Au-delà du médico-social, c’est un signal fort pour l’ensemble des lanceurs d’alerte que vient d’envoyer la justice à Toulouse”, témoigne Céline Boussié.
Didier, un éducateur de l’IME de Moussaron, a bénéficié d’un nouveau jugement en même temps qu’elle. Après avoir été condamné en 1995 pour diffamation, comme deux autres éducatrices du centre en 1999, il a également été relaxé. Tous alertaient sur le traitement effroyable des enfants lourdement handicapés au sein de l’institut médico-éducatif Moussaron, dans le Gers. Près de vingt ans plus tard, face aux nouvelles poursuites pour diffamation engagées par l’IME à l’encontre de Céline Boussié, la juge a estimé que “les termes de “décès, de manque de soin, de camisole chimique, d’enfants attachés, enfermés”, employés sur le plateau de LCI sont des expressions dépourvues de tout caractère diffamatoire en raison de l’intérêt sur le débat général des lanceurs d’alerte et de la maltraitance des personnes vulnérables et handicapées”. D’autant plus que, comme le rappelle le tribunal, des rapports de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’agence régionale de santé (ARS), mettaient en exergue “une maltraitance institutionnelle”.
Alerter aujourd’hui, c’est faire le choix d’un suicide moral, physique et financier”
Mais, derrière l’espoir provoqué par cette relaxe, ressurgit l’absence totale de protection des lanceurs d’alerte contre les représailles. “Aujourd’hui, faire le choix d’alerter, c’est faire le choix d’un suicide moral physique et financier. Mais je ne regrette rien, et s’il fallait le refaire, je le ferais, pour les enfants”, déclare Céline Boussié. Pourtant, comme elle le rappelle, les textes concernant le secteur médico-social existent, notamment grâce à la bataille menée par Jean Font, licencié de son poste de directeur adjoint d’un centre d’aide par le travail (CAT) pour avoir signalé des cas de maltraitance sur les travailleurs handicapés. “C’est à lui que nous devons la jurisprudence maltraitance, qui établit clairement que dénoncer des crimes ou délits dont les personnels ont connaissance constitue une liberté fondamentale qui doit profiter d’une protection légale renforcée”.
En janvier 2016, après que Céline Boussié avait adressé directement un courrier à l’ONU, l’organisation dénonçait les traitements indignes et dégradants des personnes handicapées et l’impunité des établissements en citant expressément l’IME Moussaron. “L’ONU avait également demandé à la France que les lanceurs d’alerte soient protégés, tout comme les familles qui, quand elles dénoncent les établissements médico-sociaux, encourent des sanctions extrêmement graves” ajoute la présidente de l’association Handi’gnez-vous ! En 2013, Céline Boussié lance l’alerte et l’affaire est médiatisée six mois plus tard. “Le premier message qui m’a été adressé sur les réseaux sociaux, c’est : Ah, toi, espèce de grande salope, le roue tournera un jour et tu le regretteras”, raconte-t-elle.
Une violence au-delà de l’entendement”
Après avoir été licenciée de l’IME en 2014, la militante syndicale, qui reconnaît “avoir eu la chance d’être soutenue par la CGT et par le mouvement de la France Insoumise”, a dû, entre autres, déménager et porter plainte pour dégradation. “Après mon alerte, la violence contre ma famille et moi est allée au delà de l’entendement, c’est inacceptable. Quel professionnel faut-il être pour fermer les yeux sur des enfants assis sur des seaux, enfermés dans 3 mètres carrés ou recousus à vif ?” s’insurge-t-elle. “L’administrateur provisoire nommé par la ministre avait écrit dans un rapport, en 2014, que pour l’avenir de cet établissement il allait falloir que les maltraitances soient reconnues, que les salariés étaient responsables et coupables de n’avoir rien dit et qu’il allait falloir protéger les lanceurs d’alerte des exactions de l’équipe de direction. Pourtant, rien n’a été fait”, ajoute-t-elle. Malgré des années de calvaire, pour Céline Boussié, “le combat ne fait que commencer”. En attendant le jugement aux prud’hommes, elle souhaite s’engager pour une réelle protection des lanceurs d’alerte et porter jusqu’à l’Assemblée nationale le débat sur la maltraitance institutionnelle.