Le Lanceur

Marine Martin : “En tant que citoyenne, je ne pouvais pas me taire”

Martine Martin avec son avocat, Me Joseph-Oudin, sur un plateau télévisé.

Petite victoire pour Marine Martin. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, vient d’accepter sans délai de nouvelles mesures concernant les spécificités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium. Ex-responsable logistique dans les transports ferroviaires, le hasard de la vie a fait de Marine Martin la représentante des victimes du manque d’information sur les risques des traitements antiépileptiques pendant la grossesse. En procès contre Sanofi, elle secoue les politiques nationales et européennes pour faire cesser les mensonges. Entretien.

 

Le Lanceur : Êtes-vous une lanceuse d’alerte ?

Marine Martin : J’espère l’être, car c’est le plus beau compliment que l’on puisse me faire. Ce qui a déclenché l’envie de mener ce combat, c’est Irène Frachon et la révélation du scandale du Mediator. Quand j’ai vu le travail accompli par cette femme qui n’était pas directement touchée dans sa chair, j’étais très admirative.

Vous avez été directement touchée dans votre chair. Quand vous voyez Irène Frachon à la télévision, vous avez déjà de forts soupçons sur le fait que c’est l’antiépileptique commercialisé par les laboratoires Sanofi, la Dépakine, qui est à l’origine des malformations de vos deux enfants ?

Deux ans plus tôt, j’avais simplement tapé “médicaments dangereux pour la grossesse” sur Google. J’avais déjà suivi quelques pistes, comme les travaux sur les pesticides et les malformations neuro-génitales des fils d’agriculteurs ou ceux concernant l’autisme, mais ce n’était pas ça. En fait, j’ai découvert que les documents scientifiques étaient à ma disposition. Je suis tombée des nues en voyant les études épidémiologiques, notamment une recherche du docteur Elefant faite au Centre de recherche des agents tératogènes de l’hôpital Trousseau à Paris. Pour une fois, tout semblait coller. Il m’a fallu toute l’année 2010 pour me remettre des informations que j’ai découvertes sur Internet, ça m’a paru tellement énorme. Il fallait aussi trouver quel médecin pouvait diagnostiquer la maladie de mes enfants. J’ai fini par savoir qu’il fallait voir un généticien et j’ai eu le diagnostic. Pendant tout ce temps-là, j’ai beaucoup cogité, j’étais animée par la colère et la révolte. En tant que citoyenne, je ne pouvais pas me taire, c’était plus fort que moi.

Dépakine © Tim Douet

Vous racontez aussi qu’une nuit vous a poussée à agir. De quoi avez-vous rêvé cette nuit-là ?

C’est anecdotique, mais j’ai fait un cauchemar où j’avais l’impression d’assister à un viol dans le métro sans pouvoir bouger. Quand je me suis réveillée, j’ai pensé que tous les jours des enfants pouvaient naître sous Dépakine. Je me suis dit : toi, tu sais et tu ne fais rien. C’est criminel, c’est de la non-assistance à personne en danger. Mais j’étais face à des laboratoires tellement puissants qu’une procédure judiciaire n’était pas pensable. Je me suis alors dit que j’allais créer une association et tenter de faire du bruit dans la presse locale. J’ai eu tout de suite des retours et j’ai compris rapidement que nous étions très nombreux à avoir été touchés. C’est aussi à ce moment-là que j’ai vu Irène Frachon à la télévision. J’ai eu confiance. La famille avec qui nous avions monté l’association avait déjà fait une procédure judiciaire en 2008 et s’était fait complètement laminer par les laboratoires pharmaceutiques au moment de l’expertise. Leur petite avocate de Tours ne faisait absolument pas le poids face à Sanofi. J’ai décidé de contacter l’avocat qui s’occupait du Mediator, Charles Joseph-Oudin. Il a inspecté mon dossier et m’a dit qu’on partait pour une procédure judiciaire. Je suis la première à avoir déposé plainte au civil, en 2012, contre Sanofi et contre les trois médecins qui m’avaient prescrit la Dépakine pendant mes deux grossesses : le généraliste, le gynécologue et le neurologue.

Ils ont fait révoquer l’expert pédiatre après avoir fouillé dans sa vie personnelle”

Comment étaient les rapports avec les avocats de Sanofi ?

Dès la première expertise judiciaire, en 2013, ils ont tout fait pour dire que ce n’était pas la Dépakine, mais cela, on s’y attendait. Ils ont fait révoquer l’expert pédiatre après avoir fouillé dans sa vie personnelle. Ils s’étaient aperçus que cet expert – qui disait que les malformations de mes enfants ne pouvaient pas être dues à autre chose que la Dépakine – était pacsé avec une femme qui travaillait dans une filiale de Sanofi. Le temps qu’ils révoquent l’expert et que le juge en nomme un nouveau, ils ont gagné énormément de temps. Ce n’est qu’en 2015 que j’ai obtenu le rapport définitif de l’expertise qui reconnaissait que la Dépakine était bien responsable du handicap de mes enfants. Je suis très surprise de la position de Sanofi, qui refuse d’assumer ses responsabilités, même dans les dossiers où des experts indépendants, nommés par la justice, retiennent que c’est bien leur produit qui a causé des préjudices énormes à des enfants. Cette attitude de déni de responsabilité est inadmissible de la part d’un grand laboratoire.

Vous avez participé entretemps à réévaluer le bénéfice/risque du valproate de sodium au niveau européen. Quel résultat avez-vous obtenu ?

Je suis montée en juin 2014 à Londres à l’Agence européenne des médicaments, où j’ai donné la position des patients de France. Grâce à cela, aujourd’hui, on ne peut plus prescrire le valproate de sodium chez une femme enceinte, sauf en dernière intention après essai de tous les autres antibiotiques possibles. La prescription de ce médicament est réservée aux neurologues, aux psychiatres et aux pédiatres, mais plus aux généralistes. Et il faut surtout faire signer un protocole d’accord de soin informant la patiente sur le risque de 40 % que son enfant souffre de troubles graves du développement. L’Europe a ratifié ces changements à l’unanimité, ces recommandations sont applicables dans tous les États de l’Union.

C’est avant tout la pression médiatique qui fait céder les politiques et les institutions”

Un an plus tard, vous faites la une du Figaro. C’est un moment stratégique ?

Dès que la France a communiqué par rapport à la décision européenne de l’Agence de santé, maître Joseph-Oudin m’a dit : “C’est maintenant.” Pour moi, c’était déjà maintenant depuis quatre ans. Le choix de Me Joseph-Oudin était aussi celui-ci : c’était un avocat spécialisé dans le droit du médicament, mais aussi un avocat médiatique qui avait des contacts dans la presse. Depuis le début, je n’arrivais pas à toucher la presse nationale. C’est avant tout la pression médiatique qui fait céder les politiques et les institutions. Tant qu’on n’a pas ça, on peut crier du fin fond des Pyrénées-Orientales, personne n’entend. À partir de là, tout s’est accéléré. On a déposé en même temps une plainte au pénal contre X, pour ne pas bloquer la plainte civile en cours contre Sanofi, ce qui a lancé une enquête du parquet de Paris.

Vous ne vouliez pas non plus vous arrêter là. Comment avez-vous convaincu la ministre de la Santé, Marisol Touraine, de lancer une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales ?

Je pense qu’elle ne nous aurait pas écoutés si nous avions fait une simple demande. On a fait pression en lui disant que, si elle ne lançait pas cette enquête, nous déposerions d’un coup les 250 plaintes, ce qui aurait totalement encombré le tribunal de Paris. Elle a accepté et nous avons déposé les plaintes au fur et à mesure. Dans chaque procédure, c’est un match en trois temps : le premier est celui où le juge dit qu’il y a matière à expertise. Dans ces cas-là, Sanofi fait toujours tout pour l’éviter et dire qu’il y a prescription. La seconde partie, c’est l’expertise elle-même, qui détermine si oui ou non la prise de Dépakine est responsable de la maladie de l’enfant. La dernière, c’est de savoir qui est responsable et qui va payer : les médecins, le laboratoire, ou un peu des deux. Nous en sommes là.

On dit que l’autisme augmente chaque année, mais arrêtons déjà de prescrire des médicaments phytotoxiques aux mères”

Vous continuez donc à livrer bataille ?

Beaucoup de choses restent à faire. On vient de déposer un projet de loi pour faire changer les boîtes des médicaments qui sont dangereux pour le fœtus pendant la grossesse. On voudrait imposer un logo de femme enceinte barrée en rouge. Il y a bien déjà un triangle avec une voiture, pourquoi n’y aurait-il pas ce type de logo ? Je voudrais aussi la création d’un centre de diagnostic pour les enfants handicapés à cause de la prise de Dépakine pendant la grossesse et une meilleure prise en charge au niveau de la pathologie. Il faudrait aussi travailler sur des instructions ministérielles, pour que dans les centres de ressources autisme on pose systématiquement la question d’une éventuelle prise d’un médicament antiépileptique pendant la grossesse de la mère, de manière que l’on identifie les enfants. On dit que l’autisme augmente chaque année, mais arrêtons déjà de prescrire des médicaments phytotoxiques aux mères.

Aujourd’hui, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, vient d’annoncer par communiqué que vos requêtes étaient acceptées “sans délai”. Pendant toutes ces années, avez-vous ressenti une pression des laboratoires pharmaceutiques sur les politiques ?

Surtout dans ce que je lis à travers la presse. Quand notre président de la République fait de la publicité pour le Gardavil, c’est quelque chose que je ne comprends pas bien, car ce vaccin n’est absolument pas vu comme efficace, bien au contraire. Je ne comprends pas non plus pourquoi M. Macron est ami avec l’ex-PDG de chez Sanofi. Je ne suis pas dupe, je sais que le lien entre politique et grande entreprise française est important. J’ai conscience que nous sommes en face de lobbys qui sont aussi importants que le tabac ou l’alcool. Mais j’ai fait en sorte d’expliquer au ministère que c’était un problème de santé publique majeur et qu’il fallait vraiment qu’ils le prennent en compte. Au niveau des médicaments, il y a beaucoup à faire. Il n’y a pas de transparence et les laboratoires sont avant tout des commerciaux qui vendent leurs produits. Ils sont prêts à mentir sur les effets secondaires d’un traitement pour avoir plus de parts de marché. Tant que les citoyens ne sont pas là à dire “stop, ça suffit, ce n’est pas normal”, ils continuent. Je sais très bien que l’indemnité que pourrait nous verser Sanofi ne représente que quelques milliers d’euros. Pour eux, ce n’est pas grand-chose. Par contre, au niveau de l’image, être associés à un scandale sanitaire par rapport à l’un de leurs produits leur fait beaucoup plus mal. Dès lors que j’ai compris ça, je savais où il fallait que j’appuie pour obtenir gain de cause. Au niveau du Gouvernement, c’est pareil, ils sont terrorisés par l’image.

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C’est une guerre de l’image, c’est triste, mais il n’y a que ça qui leur fait peur”

Le 23 février dernier, le rapport que vous aviez demandé à Marisol Touraine est dévoilé à la presse : il indique que les patientes ont effectivement manqué d’informations et que 450 enfants sont victimes de troubles neurologiques à cause du valproate de sodium. On vous avait prévenue des résultats de ce rapport ?

C’est une journaliste qui m’a appris qu’il y aurait une conférence de presse le vendredi 19 février pour la sortie de ce rapport de l’Igas ; j’avoue que j’ai eu une petite attaque cardiaque. J’étais outrée qu’ils ne m’aient pas prévenue. France 2 faisait une émission sur cette affaire, j’avais les caméras avec moi et j’ai prévenu BFM. J’ai directement envoyé un mail au ministère pour prévenir de ma venue, mais je n’ai eu aucune réponse. Mon avocat a réussi à les avoir plus tard au téléphone et on nous explique que nous ne sommes pas les bienvenus. Ils savaient qu’on venait avec des caméras. Quand j’ai appris le lendemain que la conférence de presse était annulée, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai appelé le directeur du cabinet, qui a proposé de me recevoir tout de suite si je le souhaitais. Il s’est excusé d’un “cafouillage dans l’emploi du temps”. Ils se sont aperçus qu’ils avaient fait une grosse gaffe. Au début, ils ne voulaient pas inviter la presse, mais seulement des médecins pour la sortie du rapport. Même s’ils m’ont donné le rapport deux heures avant la conférence, je souhaitais quand même y aller, mais ils étaient terrorisés que j’arrive avec des caméras, ils ne voulaient pas que je sois là. C’est une guerre de l’image, c’est triste, mais il n’y a que ça qui leur fait peur. Maintenant, ils nous prennent au sérieux et disent qu’ils vont prendre en compte les associations de patients.

Que conseillez-vous aux femmes qui souffrent d’épilepsie et qui souhaitent avoir un enfant ?

C’est bien là tout le problème. On croit que c’est facile d’avoir un enfant quand on est épileptique et sous haut traitement : ce n’est pas vrai. Je pense que c’est pour ça que les neurologues ont tardé à réagir, car pour les femmes qui ne peuvent pas se passer de traitement, il y a toujours des risques que leurs enfants souffrent de handicap sévère. Mon combat est d’abord un combat pour que les couples soient informés de cela et pour que toutes les boîtes de médicaments dangereux pour le fœtus soient marquées d’un logo de femme enceinte barrée. L’enjeu est important : on continue à mentir sur les effets réels des antiépileptiques sur les fœtus. Moi, j’ai choisi de ne pas avoir d’autres enfants, une femme enceinte sous Dépakine en Bretagne a fait le choix d’avorter et de lancer une procédure d’adoption. Aujourd’hui, tous les antiépileptiques sont tératogènes, et donc peuvent être dangereux pour le cerveau du fœtus et provoquer des handicaps. Le minimum, selon moi, c’est que les couples fassent leurs propres choix en toute connaissance de cause.

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